vendredi 30 décembre 2016

Souvenirs d'Adrienne Monnier


« Rencontré Paul Valéry chez Adrienne Monnier. » (Journal, 30 décembre 1922). Gide, comme à peu près tous les écrivains de son temps, était un habitué de la Maison des amis des livres, librairie et bibliothèque de prêt ouverte le 15 novembre 1915 par Adrienne Monnier. Paul Fort, Pascal Pia, Jules Romains, Léon-Paul Fargue, Louis Aragon et André Breton comptent parmi les premiers abonnés, bientôt rejoints par André Gide, Paul Valéry, Valéry Larbaud, André Salmon, Max Jacob, Pierre Reverdy, Blaise Cendrars, Jean Paulhan, Tristan Tzara, Jean Cassou... Fin 1920, la librairie a 580 abonnés et en 1926 elle compte 18 400 volumes.

Comme on le lira plus bas dans une transcription d'extraits des entretiens données par Adrienne Monnier à la Chaîne Parisienne en 1947, c'est en 1917 que Gide franchit pour la première fois le seuil de « la Maison ». Mais dès 1916, Adrienne Monnier avait écrit à Gide pour lui demander un exemplaire des Nourritures terrestres pour sa bibliothèque de prêt. Gide participera assez rapidement aux « séances », des soirées de conférences, lectures, mais aussi parfois concerts, donnés dans la librairie.

Des soirées pas toujours à son goût, car si Adrienne Monnier loue son talent de lecteur, Gide semble avoir plus de mal avec certaines lectures, comme le révèle les passages des Cahiers de la Petite Dame :

« Nous allons chez Mlle Monnier, à une conférence que Valéry [sic] Larbaud donne sur Samuel Butler. […] La conférence de Larbaud est charmante et ingénieuse (comparaison avec Épicure), mais elle est suivie d'une interminable et languissante lecture. Gide, impatienté, me fait des signes désespérés et nous sortons avant la fin. »

Une soirée consacrée à Jean Schlumberger, en mai 1931, sera plus réussie... Mais la Petite Dame ne semble pas porter la libraire dans on cœur : « Les discours d'Adrienne Monnier sur la sincérité, qu'un instant après sa conduite dément devant nous, sont d'une belle impudeur. », note-t-elle sans concession le 8 novembre 1932. On sait enfin que Gide faisait partie des soutiens de la première heure lors de la souscription à l'édition de la traduction de l'Ulysse de Joyce, lancée par Sylvia Beach et Adrienne Monnier.


 Adrienne Monnier devant sa librairie de la rue de l'Odéon


L'incroyable foyer littéraire de la rue de l'Odéon revivait il y a quelques jours grâce à la rediffusion des entretiens d'Adrienne Monnier sur France Culture. Consignons ici les passages concernant Gide :

— Vous nous avez raconté, Mademoiselle, comment vous aviez connu Léon-Paul Fargues, Breton, Apollinaire... Nous en étions restés je crois en 1916. Est-ce à cette époque que vous avez connu Gide ?

— J'ai dû le connaître un peu plus tard, au début de 1917. Je lui avais écrit en 16 déjà. Je lui avais écrit en 16 parce que la bibliothèque de prêt que j'avais fondée, qui fonctionnait déjà assez bien, ne possédait pas les Nourritures terrestres. Ce qui me semblait une lacune terrible. Alors je lui avais écrit pour lui demander s'il voulait bien en donner un exemplaire à ma bibliothèque, que ce n'était pas pour moi mais pour les jeunes qui venaient à la Maison. Il m'avait répondu qu'il était fort surpris d'apprendre que c'était épuisé, il n'en revenait pas, d'ailleurs il n'était pas à Paris à ce moment-là, il était à Cuverville. Et j'ai dû le voir au début de 17, un peu avant Valéry qui est venu au printemps 17, fin avril je crois, un peu avant la parution de la Jeune Parque. Et nous avons tout de suite... Enfin Gide également a joué un très, très grand rôle à la Maison, mais un rôle peu familier au début, naturellement. C'était un maître, un maître très respecté, qui a d'ailleurs toujours été pour nous d'une gentillesse étonnante et qui nous a aidé à faire des séances, qui a fait des lectures. Il lit d'une façon merveilleuse comme vous le savez. Il a lu des poèmes de Valéry à la Maison, de Fargues, enfin nous parlerons de ces séances tout à l'heure un peu plus longuement.

[…]

— Parlez-moi un peu de ces fameuses séances, Mademoiselle.

Eh bien je vous ai déjà touché deux mots de la grande séance Claudel organisée au Gymnase, mais les séances que j'aimais beaucoup et que les gens aimaient beaucoup, c'était celles qui avaient lieu à la librairie. Naturellement on étouffait car on était empilé dans cette petite librairie que vous connaissez bien, on était facilement 150. Enfin il y a eu des choses historiques, on peut le dire. Par exemple Romains nous a lu en 17, ça a été la première séance, son poème Europe.

Il y a eu en 18 une séance Fargues avec Ricardo Viñes le grand pianiste qui jouait des morceaux de musique choisis par lui qui étaient ravissants, du Debussy, du Ravel et puis Jean Lionel qui lisait des poèmes, et Fargues et moi aussi d'ailleurs.

Maintenant, qu'est-ce que nous avons eu d'important ? Il y a eu le Socrate de Satie [ndr : le 21 mars 1919] avec Suzanne Balguerie et l'auteur, et Cocteau qui avait fait une présentation. A cette séance, comme chacun sait, étaient présents Claudel, Gide et Jammes.

La première séance Paul Valéry a eu lieu en avril 19. Et là Gide lisait, c'est là qu'il a lu La Pythie de cette façon absolument épatante, il l'avait d'ailleurs dactylographiée, elle n'avait pas paru. Fargues lisait aussi, André Breton, moi-même. Et Fargues avait fait au début un petite causerie très intéressante où il rappelait l'élite à ses devoirs.

Il y a eu une deuxième séance Fargues en mai, qui était également tout à fait mémorable puisque Réjane, la grande Réjane est venue lire les vers de Fargues. C'est là qu'elle a lu Aeternae Memoriae Patris , ce magnifique poème, qu'elle a lu d'une façon tellement simple, tellement émouvante et certainement moins actrice que nous amateurs. La encore Gide a lu, Francis de Miomandre, d'une façon charmante, Jacques Porel.

(Extraits des Entretiens avec Adrienne Monnier, premières diffusions les 28, 30 mai, 4 et 6 juin 1947 sur la Chaîne Parisienne, rediffusés le 17 décembre 2016 sur France Culture)

mercredi 28 décembre 2016

Madeleine révèle une source enfantine de Paludes


Le Journal de Madeleine Rondeaux, récente publication de l'Association des Amis d'André Gide, complète les extraits donnés par Jean Schlumberger dans Madeleine et André Gide (Gallimard, 1956). Si l'on y voit en effet la lutte de Madeleine pour se détacher, selon les vœux de la famille, du projet de mariage avec son cousin, on voit aussi combien lui manque alors l'influence intellectuelle qu'André exerce lorsqu'il est près d'elle.


Leurs lectures partagées, leur réciproque émulation manquent à tous deux. Dans son introduction, Pierre Masson montre bien l'erreur de Jean Schlumberger qui avait écrit dans le chapitre de son livre consacré au Journal de Madeleine : « Parmi les papiers de Gide se trouvaient, rue Vaneau, deux petits carnets dont aucun de ses amis ne savait l'existence et dont lui-même semble n'avoir pas compris l'importance exceptionnelle. »


Gide s'est au contraire inspiré de plusieurs de ces pages, comme il le faisait des lettres de Madeleine pour dessiner les traits de certains de ses personnages féminins, allant même, comme le montre encore Pierre Masson, jusqu'à recopier dans La Porte étroite des passages du Journal de Madeleine. Parmi tous les rapprochements signalés par Pierre Masson, même celui qu'il qualifie d'hasardeux ne l'est nullement : lors d'une de ses promenades près d'Arcachon, Madeleine découvre une file de chenilles processionnaires :

« Vie douce, unie. On finit par prêter beaucoup à ces pins, ces dunes, ces teintes de vielles tapisseries, et par s'y attacher d'autant.

Incidents :
L'apparition des chenilles processionnaires. La Gileppe. Phil et Lami, les deux coléoptères, ne rencontrent-ils pas une colonie de processionnaires déménageant devant l'inondation montante. Je me souviens de l'effet qu'avait produit sur mon imagination d'enfant la description de ces longues files de semi-petites nonnes toutes blanches, au clair de lune. »

A rapprocher de la fin du chapitre « Angèle ou le petit voyage », dans Paludes :

« Du haut des pins, lentement descendues, une à une, en file brune, l'on voyait les chenilles processionnaires — qu'au bas des pins, longuement attendues, boulottaient les gros calosomes.
« Je n'ai pas vu les calosomes! dit Angèle (car je lui montrai cette phrase).
— Moi non plus, chère Angèle, — ni les chenilles. — Du reste, ça n'est pas la saison; mais cette phrase, n'est-il pas vrai — rend excellemment l'impression de notre voyage... »

Outre le ton de Paludes, qui moque Angèle-Madeleine, on découvre ici une lecture enfantine de Madeleine et que Gide a très certainement partagée : La Gileppe, roman de l'entomologiste belge Ernest Candèze, sous-titré Les infortunes d'une population d'insectes (Bibliothèque d'éducation et de récréation, Hetzel, Paris, 1879)*.


Ce roman entomologique raconte les conséquences pour la petite faune de la création, à partir de 1875, du barrage de La Gileppe. On y suit les aventures d'un hydrophile, nommé Phile, et d'un lamie, nommé Lamie, qui croisent un certain Calosôme (sic) qui leur explique que la chenille processionnaire est son mets préféré.
« — C'est ainsi, dit le calosôme. En naissant, je me suis trouvé, avec mes frères et mes sœurs, au milieu d'un nid de processionnaires. Notre mère y avait pondu ses œufs afin que nous n'eussions nulles recherches pénibles à faire pour nous procurer ces chenilles, qui constituent notre nourriture exclusive. Quant à ce jeune coucou qui vient de naître, si j'osais, j'irais l'étrangler.
— Pourquoi? demanda le grillon.
— Mais pour ses crimes d'abord ; et puis aussi, s'il faut tout dire, parce qu'il va me faire concurrence, et une rude concurrence. Les coucous sont, comme les calosômes, grands amateurs de chenilles processionnaires; mais ils en détruisent bien plus que nous. Ce n'est pas sans raison que sa mère l'a établi sur cet arbre. Vous allez voir que dès demain la fauvette lui en apportera. »

Cette lecture enfantine ne manqua pas d'encourager la fibre naturaliste chez Gide. On sait d'ailleurs qu'elle influença toute une génération puisque Ernst Jünger mentionne lui aussi La Gileppe parmi les livres qui développèrent chez lui le goût de l'entomologie. Et Francis Jammes lui-même ne se mit-il pas à écrire un essai sur les fourmis à la suite de sa lecture ? Mais plus que la source, n'est-ce pas son évocation, déjà dans le style paludéen, du Journal de Madeleine qui aura directement influencé Gide pour l'écriture de Paludes ?


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* Voir le livre en ligne sur Gallica

lundi 26 décembre 2016

Gide au bac : conseils aux lycéens


 « Comment dégoûtez des milliers 
de jeunes gens d'un auteur ? 
Foutez-le au bachot ! »

André Gide a eu le grand malheur d'être livré cette année en pâture au pédagogisme et à l'inculture de la salle des profs. Le cri de détresse qui s'élève des pupitres du fond porte un autre nom : le phénomène gidobaque.

Alors, chers lycéens, courage ! Dans quelques années vous découvrirez que les Faux-monnayeurs, « C'est un peu rasoir. Mais il y a des choses très bien. »

En attendant, quelques ressources pour régurgiter ce qu'on attend de vous :

- des résumés et analyses en vidéo, chapitre par chapitre : https://www.mediaclasse.fr/lectures/110

Rassurez-vous, la plupart de vos professeurs de français n'avaient pas lu une ligne de Gide avant cette année. N'hésitez pas à aller fouiller dans les documents que d'autres professeurs ont réalisés pour eux afin de fournir la matière prémachée aux cours qu'ils vous donnent :

- http://www.lettresvolees.fr/gide/index.html

- https://www.ac-strasbourg.fr/pedagogie/lettres/francais-lycee/ressources-en-terminale/

Ce document d'une trentaine de pages sera une mine. C'est écrit dans le style pédagogique le plus aride et à la fois le moins français possible : évitez les copier-coller mais inspirez-vous des axes retenus et des éléments qui viennent les étayer.


Le nom de Guillaume Gaulène

« Que vaut Le Mémorial secret de Guillaume Gaulène, très prisé de Robert Poulet ? », demande Morand à Chardonne dans une lettre du 12 février 1960. Deux ans plus tard, alors que Gaulène vient de publier Le vent d'autan, et L'assaut, Morand insiste : « Avez vous-lu ce Gaulène, dont je lis le nom partout ? »

Guillaume Gaulène est de ces romanciers dont le nom surnage, et une œuvre surtout, Le Mémorial secret, qui annonce Voyage au bout de la nuit. Un livre connu aujourd'hui surtout des milieux anarchistes, et dont on se passe le titre au dessus des boites des bouquinistes. C'est l'expérience que vient de vivre Pascal Zamor, qui l'a partagée avec nous sur Facebook et à présent sur son blog.

Lors de ses recherches, notre ami est tombé sur une page des Nouvelles littéraires du 14 juin 1924 dans laquelle on peut lire ce qui est probablement la seule interviou du discret Gaulène. Et dans laquelle ce dernier mentionne Gide, au grand dam de son interviouveur, thuriféraire de Massis... Un grand merci à Pascal Zamor.

Un écrivain languedocien
Guillaume Gaulène

(extrait*)

« Je dois beaucoup à Duhamel. Parmi les écrivains d'aujourd'hui, Duhamel est un de ceux que je préfère.
– Et quels sont les autres ?
– André Gide, dont j'aime l'inquiétude.
– Une inquiétude où il se complaît et qui ne laisse pas d'être malsaine. Rappelez-vous ce qu'en dit Massis.
– Pour moi, c'est justement par ce qu'il y a d'inquiet, voire de malsain en lui qu'il rejoint les écrivains catholiques.
– A qui pensez-vous ?
– A Mauriac. Il est malsain, j'aime ce qu'il y a en lui de voluptueux et de tourmenté. Dans Génitrix, d'ailleurs, il atteint pleinement à la maîtrise.
« J'aime la foi pour son âpreté dans les passions, la belle sensualité, le bouleversement que le catholicisme met dans l'âme des hommes.
– Voilà une conception de la religion qui risque de devenir démoniaque. Et certes, je n'ignore pas que le catholicisme donne à la vie un sens tragique et qu'il crée des luttes poignantes. Mais il ne s'en contente pas : il lui faut la victoire et la paix ; il est faiseur d'ordre, non de désordre. Saint Augustin a dit que notre cœur est inquiet jusqu'à ce qu'il se repose en Dieu. Encore une fois, rappelez-vous tout ce que dit Massis en la deuxième série de ses jugements.
– Et moi aussi, j'aime beaucoup Massis ! Mais c'est que je le trouve également inquiet. J'aime la violence de son objurgation pathétique à Rivière. Suis-je loin de Pascal, qui n'approuvait, que ceux qui cherchent en gémissant ?
– Il faudrait, pour causer de tout cela, une conversation que vous ne m'accordez pas. Dites-moi vite quels sont encore vos auteurs préférés.
– Cherchez toujours dans le même sens. Il y a Baumann**, dont L'Immolé est le chef-d'œuvre. Force, tragique, souffle épique. Il y a Estaunié, pudeur, sourire sur de la tristesse, force apaisante, mélancolie, œuvres qui font en nous de la solitude et du silence. Il y a Bachelin***, si grave, en pleine possession de son métier, le Péché de la Vierge est un roman solidement construit et qui ne peut nous laisser indifférents. Il y a Ramuz, poète dans le roman, et Montherlant qui nous donnera une œuvre si le succès ne l'a pas gâté, et Escholier**** qui est un maître dont j'aime le sourire trempé de larmes. Il y a... »

Mais le train emportait Gaulène et je n'entendis plus d'autres noms. Du reste, je ne suis pas bien sûr qu'il ne se soit pas encore trompé de direction, et qu'au lieu de filer à Toulouse, il n'ait obliqué à Narbonne vers l'Espagne ! »

Jean SOULAIROL.


Complétons ce billet sur Gaulène en citant la critique du Mémorial secret par Marcel Arland, critique qui referme la NRF numéro 155 du 1er août 1926, ouverte avec... la première partie du Journal des Faux-monnayeurs de Gide !

LE MÉMORIAL SECRET, par Guillaume Gaulène (Rieder).

Parmi les œuvres de jeunes écrivains parues en ces derniers mois, voici une de celles qui m'ont le plus vivement touché. Pour l'aimer, j'ai dû négliger plus d'une protestation qui s'élevait en moi contre une forme souvent pénible, contre des procédés souvent faciles, contre telle attitude, que j'eusse peut-être souhaitée plus pure. Mais il y a dans cette œuvre une telle vigueur, un tel élan passionné et sincère, qu'à la fin, ce ne furent plus que ces qualités dont je voulus garder le souvenir.

L'histoire est simple; c'est celle d'un homme, en déroute lui-même, qui s'acharne presque inconsciemment contre une femme et n'a de cesse qu'il ne l'ait avilie et fait déchoir à jamais. La scène est une ville de l'Est, après la guerre ; l'air est pesant ; tout est sombre, parfois un peu mélodramatique, parfois tragique ; les personnages ont des gestes gauches, ils ne cherchent même plus une raison de vivre ; à peine trouvent-ils encore la force de s'étonner de leurs gestes ou de se plaindre.
Une sorte de démon triste semble, derrière la scène, tirer les ficelles de ce monde misérable, — à moins que ce ne soit une Providence aux voies fort détournées : si je me risque à ces images, c'est que M. Gaulène choisira sans doute entre elles quelque jour.

Le conflit posé, ce qui m'intéresse le plus en ce roman, c'est la manière dont il se précise et dont il croit en violence. Nous assistons à une progression incessante dans les sentiments des personnages et dans le drame qu'ils amènent. Le plus haut degré qu'atteint ce progrès, c'est à la dernière page qu'il l'atteint ; nous fermons le livre, et le conflit persiste encore : c'est que de semblables histoires ne peuvent pas avoir de dénouement ; si parfois elles en proposent un, il n'y faut voir qu'une concession au lecteur, ou que de la fatigue.

Le précédent roman de M. Gaulène : Du Sang sur la Croix manifestait des qualités fort rares d'évocation et de peinture. Or il me semble que ces qualités, très apparentes aussi dans le Mémorial Secret, s'exercent un peu au détriment de la vie intérieure des personnages. Je suis tenté de regretter que cette vie intérieure ne soit pas plus profonde, et que la psychologie des personnages ne soit pas parfois un peu moins rudimentaire. Je crains que l'auteur ne se soit ménagé une partie trop belle. Et sans doute la plupart de ces personnages, il les a choisis d'humble condition ; sans doute aussi les princesses de Racine prêtent-elles à de plus fines analyses que les ouvrières de Zola. Mais je crois qu'il est faux de diminuer d'autant plus la vie intérieure des personnages qu'on les choisit de plus modeste extraction. C'est aller à la fois contre la vérité particulière de ces personnages, et contre leur signification générale. Car je vois assez bien comment une ouvrière de Zola pourrait se reconnaître dans une princesse de Racine ; mais l'inverse, je ne le vois nullement, et je regrette de ne pas le voir. Je ne forcerais qu'à peine ma pensée, en disant que Zola peint ses ouvrières en grand seigneur, tandis que Racine peint ses princesses en homme. Ce doit être la qualité d'un romancier que d'être humble avec les humbles et grand avec les grands.

MARCEL ARLAND

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** Emile Baumann (1868-1941), professeur au lycée de La Roche-sur-Yon, auteur de livres imprégnés de liturgie catholique, remarqué par Bloy dont il sera proche.
*** Henri Bachelin (1879-1941), romancier et spécialiste de musique, religieuse surtout, auteur de romans de formation et de tableaux de la vie provinciale, inspirés de sa vie à Nevers. Lors de ses passages à Paris, il fréquentait Charles-Louis Philippe, Jules Romain et André Gide.
**** Raymond Escholier (1882-1971), journaliste, romancier, critique et grand passeur d'art (il fut conservateur de la Maison de Victor Hugo et directeur du Petit Palais). Il co-dirigea la revue Demain. On lui doit des poèmes mais aussi des romans régionalistes écrits avec sa première femme, Marie-Louise Ponse-Tande.

samedi 17 décembre 2016

Les tombes Gide à Uzès définitivement détruites : honte à la ville et aux descendants des Gide !

[actualisé le 7 janvier 2017 : voir à la fin du billet]

En 2010, les Amis d'André Gide, des Uzétiens soucieux de leur histoire et de leur patrimoine, et le blog e-gide lançaient une alerte pour sauver les tombes de la famille Gide à Uzès, tombes laissées à l'abandon par les descendants des Gide et par la ville d'Uzès (voir cet ancien billet).

Le maire, Jean-Luc Chapon, avait alors répondu ceci :

« Monsieur,

j'ai bien reçu votre lettre du 20 novembre 2010, dans laquelle vous attirez mon attention sur la nécessité de conserver le souvenir de la présence de la famille Gide à Uzès, en préservant les tombes de la famille Gide au cimetière protestant.
La municipalité d'Uzès, au travers d'expositions, de conférences et d'achats au profit de la médiathèque et du musée Georges Borias, a le souci de mettre en valeur et de faire connaître les œuvres et la personnalité de Charles et d'André Gide.
Je ne peux donc que partager votre sentiment et je vous remercie de votre proposition de participer avec l'Association des Amis d'André Gide et la Fondation Catherine Gide à la préservation de ces tombes. Je ne manquerai pas de vous contacter lorsque le projet de restructuration du cimetière sera mis en œuvre. »

Alors que nous avions encouragé nos lecteurs à adresser des messages à la ville d'Uzès, l'un d'entre eux avait eu la chance de recevoir cette réponse :

« Monsieur,
je tiens à vous rassurer sur le fait que les tombes de la famille GIDE seront préservées par les services techniques de la Mairie. »

De notre côté, nous alertions le ministre de la culture de l'époque, Frédéric Mitterrand, qui sollicita les services de la DRAC. Le responsable des Monuments Historiques alertait lui aussi la municipalité d'Uzès.

Force est de constater, six ans plus tard, que ni la préservation par les services techniques de la ville, ni l'entretien par les descendants n'ont été assurés, comme le montrent ces photos du mois dernier :






Comme on le voit sur cette seconde image, depuis 2010, les arbres près des tombes sont tombés sur les dalles, dalles désormais fracturées alors qu'elles étaient encore intactes en 2010 (voir photos plus bas). Pire encore s'il est possible : des déchets s'entassent tout autour... Cette partie du cimetière ressemble aux rues de la ville lorsqu'y déferlent les hordes de touristes, à qui l'on ne propose que camelote, souvenirs gardois made in China et musée du bonbon industriel...

La ville d'Uzès a clairement fait le choix de renier ses patrimoines, et ses promesses, dont celle de l'adjoint au patrimoine en 2011 dans VMF  :



 Les descendants de la famille Gide n'ont pas été davantage à la hauteur de leurs ancêtres.

Que faire ? Que reste-t-il à préserver ? Plus grand chose... hélas !

Saluons le courage d'un habitant d'Uzès, M. Blanc qui a publié dans la presse locale l'article suivant :



En guise de réponse, une fois de plus : un article dilatoire d'une page sur les procédures de reprise, qui laisse bien comprendre qu'il faut faire place nette pour plus de rentabilité, et les mêmes promesses déjà bafouées (les journalistes sont-ils même allés voir l'état des tombes ?).

Ajout du 7 janvier 2017 :

La nouvelle mobilisation autour de ces pauvres tombes aura peut-être porté ses fruits : des informations provenant d'Uzès indiquent qu'un des descendants de Charles Gide s'est manifesté pour réaliser les réparations qui doivent être effectuées. L'Association des Amis du Musée d'Uzès devrait lui apporter son soutien financier. Bravo et merci à eux !

Madeleine intrigue encore



Madeleine intrigue encore. Ainsi après avoir fait l'objet d'une pièce de théâtre aux Etats-Unis, Madeleine Remains: In Memory, A Wife of Genius, de Michael Martin, monologue récemment repris par Karen Ball, ou encore d'une estampe de David Maes à voir jusqu'à fin décembre au musée d'Uzès, Madeleine fait l'objet actuellement d'une exposition photographique à Paris : La Madeleine de Gide.


http://librairie.artcurial.com/events.php?blid=6286#359848


"La librairie d’art d’Artcurial présente La Madeleine de Gide, nouvelle exposition de la photographe Pupa Neumann du 15 décembre au 10 janvier 2017 : une série inédite consacrée à une femme peu connue du grand public, Madeleine Gide, cousine et épouse de l’écrivain André Gide.

Qui est cette femme avec qui Gide a passé plus de 40 ans de sa vie, sans même avoir posé une main sur elle ? Quelle sorte de femme accepterait cette situation sans bouleversement ? Était-elle une femme soumise ? Une tordue ? Une idiote ?… ou simplement une femme libre ? De là s’est révélée la série La Madeleine de Gide et le fantasme que Pupa Neumann projetait sur cette femme. Une femme entre un mur et une table, qui attend…

La Madeleine de Gide, nouveau travail de Pupa Neumann est né d’une participation au concours “PHOTO-ROMAN” d’Havas Paris pour Les Rencontres de la photographie d’Arles dont le principe était de mettre en images des mots.

Pupa Neumann a ainsi imagé trois lignes extraites de Si le grain ne meurt d’André Gide : “Ma cousine était très belle et elle le savait. Ses cheveux noirs qu’elle portait en bandeaux faisaient valoir un profil de camée (j’ai revu sa photographie) et une peau éblouissante.

Au lieu d’illustrer simplement le texte, Pupa Neumann a cherché à en savoir davantage sur Madeleine.

Texte de Nathalie Fiszman, extrait de la préface du catalogue de l’exposition

Le personnage de Madeleine Gide avait tout pour séduire Pupa Neumann. J’écris « le personnage », car la vraie Madeleine Gide n’est présente, ici, que par ce qu’elle représente : la pureté poussée à son extrême, associée à de la tristesse ou peut-être un sens aigu du sacrifice.
La vraie Madeleine était la cousine d’André Gide et n’a jamais consommé son mariage avec lui. Il l’aimait d’un amour bien trop pur pour la toucher, réservant cela aux garçons. Si lui dissociait l’amour en pur et impur, qu’en était-il de cette femme qui est restée mariée avec lui, l’a accompagné, l’a protégé, l’a aimé ? Détruisant ainsi sa beauté pour se consacrer aux autres et aux tâches domestiques ? Renonçant à la vie en quelque sorte.
La Madeleine de Pupa Neumann, est toujours très belle. Elle incarne, par son teint pur et ses poses la fragilité et la grâce. Elle est tantôt sexuée, tantôt pas, illustrant ainsi son combat intérieur. On découvre une jeune femme résignée, au teint d’opale, les cheveux lisses, sur d’autres clichés, une effrontée, très sexuelle, en pâmoison, ou tenant un médaillon – religieux ? – entre les dents. Ses bras sont des cygnes, ses cheveux, un indice de son état. Parfois elle crache. Et parfois, elle redevient une petite fille qui joue avec de drôles de hochets. Elle joue, mais elle est figée. Madeleine est une poupée mécanique qui assume son destin. Ses cheveux ne sont plus naturels, et la photographe lui a ajouté des rubans qui ont perdu la légèreté des rubans qui volent au vent quand les petites filles courent. Ceux-là sont lourds, immobiles, et révèlent le poids et l’absence de mouvement.
Finalement, les photos où Madeleine est la plus vivante sont les plus inquiétantes aussi. Pupa Neumann donne à voir une Madeleine sexuelle, peut-être en secret dans ses fantasmes. Une Madeleine en soutien gorge avec un serre tête de petite princesse, qui est aussi une petite fille qui découvre un jouet lapin.
La force de cette série de photos, c’est de nous interroger sur les femmes en général, qui sont bien entendu libres d’être des maîtresses, des femmes qui aiment le sexe ou qui en rêvent, ou des femmes dégoutées, amusées, étonnées et même très sages. Des femmes- enfants, des petites filles très éveillées ou perverses, de drôles de poupées. La Madeleine de Pupa Neumann nous donne certainement un goût de nos propres démons ou en tout cas nous oblige à nous demander quelles sont les femmes qui sommeillent en nous."

Pupa Neumann : http://www.pupaneumann.com/
Artcurial, librairie d’art : 61, Avenue Montaigne – 75008 Paris
Accès : Métro Franklin-Roosevelt Bus : 28, 42, 80, 73, 93
Heures d’ouverture : Du lundi au vendredi de 9h00 à 19h00. Le samedi de 10h30 à 19h La librairie sera ouverte les dimanche 4, 11 et 18 décembre de 10h30 à 19h
Exposition du 15 décembre 2016 au 10 janvier 2017


vendredi 2 décembre 2016

Obsession célinienne

A la vente de Livres & Manuscrits du 14 décembre chez Cornette de Saint Cyr à Paris, on verra passer au lot 77 deux lettres de Louis-Ferdinand Céline. Dans la seconde, datant de 1954 et faisant allusion à la remise du prix Nobel à Hemingway, Céline revient sur son obsession :
"Moi, regarde si j'avais conseillé à tous les jeunes gens de se faire enc… j'aurais remporté le Nobel, comme Gide ! le parlement aurait voté un budget spécial pour acheter ma maison ! la convertir en musée !"