samedi 2 janvier 2016

Lettres à quelques-uns et à n'importe qui

Après avoir échangé des lettres (L'Ermitage, 1898-1900) et des billets (NRF, 1921) avec Angèle*, Gide envoie des Lettres à « des êtres réels » via la NRF, à partir du numéro du 1er juin 1928. L'événement est assez important pour ouvrir un sommaire qui se poursuit avec Le village indien d'Hemingway, la fin de La Gonfle, farce paysanne de Roger Martin du Gard, Le mystère Laïc de Cocteau ou la suite des Conquérants de Malraux (Gide continue aussi de tenir dans ce numéro sa Chronique des faits-divers).



La première de ces Lettres est adressée à Jean Paulhan et annonce le programme de cette nouvelle série qui prendra fin en janvier 1929, avec les lettres à René Schwob et à François Porché :


LETTRES
1.
A JEAN PAULHAN

Paris, le. 25 avril 1928.
Mon cher ami,

Depuis plus d'un an, la Nouvelle Revue Française inscrit à son programme des Lettres d'André Gide. Je me suis longtemps demandé ce que promettait cette annonce. Mais voici que Paul Souday, dans un récent article, parle élogieusement d'une lettre de moi à François Mauriac, parue dans une publication du Capitole ; j'ai pensé qu'elle intéresserait, peut-être, ceux de nos lecteurs qui ne la connaîtraient pas encore, et que j'y pourrais joindre une seconde, également adressée à Mauriac, au sujet de sa Vie de Racine. André Rouveyre, dans une récente chronique dramatique, cite une lettre que je lui écrivis à propos de l'absurde querelle soulevée contre Paul Valéry. J'ai pensé qu'elle était de sorte à n'intéresser pas seulement les lecteurs du Mercure, et que j'y pourrais joindre une nouvelle lettre à Rouveyre sur le même sujet. J'ai pensé que, dans les numéros suivants de la N. R. F., je pourrais livrer de même certaines lettres dont le caractère privé n'exclut pas l'intérêt général. Dans l'Ermitage et dans les premiers numéros de la revue que vous dirigez aujourd'hui, j'adressais ainsi des lettres ouvertes à une Angèle imaginaire. Le caractère un peu factice de cette fausse correspondance me gênerait aujourd'hui ; il m'apparaît préférable de m'adresser à des êtres réels. Je retrouve dans mes tiroirs d'anciennes lettres non envoyées ; j'en ressortirai peut-être quelques-unes. J'en pourrai donner certaines autres dont je me trouve avoir gardé le double, sans du tout songer pourtant à cette publication ; d'autres enfin, qui ne sont pas encore écrites, des lettres à n'importe qui...
Ceci me permettra de tenir votre imprudente promesse.


Il nous a semblé intéressant de donner dans de prochains billets ces lettres parues dans la NRF :

Octobre 1928 : à André Gide [lettres de Rouveyre prolongeant les parutions d'août 1928] Barbizon 6 août 1928, à André Rouveyre [lettre de Gide], Paris, 10 août, 1928
[Dans le numéro de décembre 1928, Gide donne des Feuillets.]
Janvier 1929 : I. à René Schwob, II. à François Porché

Ainsi s'achèvera cette série de « lettres ouvertes », Gide ne reprenant la plume que dans la NRF d'avril 1929 avec des Pages retrouvées, où l'on s'amusera à lire un brouillon du Journal et des Feuillets de 1929, avec notamment cette première version d'une phrase qui deviendra célèbre : « Quand les gens intelligents font les bêtes, il est naturel qu'ils y réussissent mieux que les sots. »**

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* Sur ce sujet voir : Dubois Elsa : Des Lettres aux Billets à Angèle : modalités et enjeux d’une nouvelle causerie (Formes de la critique littéraire, Journée d'étude des doctorants de l'École doctorale 3-4 février 2012 – Paris-Sorbonne)
** Qui deviendra : « Quand les gens intelligents se piquent de ne pas comprendre, il est tout naturel qu'ils y réussissent mieux que les sots. » en ouverture des Feuillets de 1929.

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