samedi 22 août 2015

De Lussan à Uzès, berceau des Gide


Jean Lambert, dans Gide familier, se souvient d'un panneau planté au pied de la route grimpant à Lussan et qui signalait l'entrée dans le berceau de la famille Gide. Ce panneau a aujourd'hui disparu mais la petite commune gardoise ne renie rien de ses liens avec les Gide, et les rappelle a plusieurs reprises dans les panneaux d'explications historiques disséminés à travers ses rues.


L'un des panneaux explicatifs de Lussan


Depuis son promontoire rocheux, Lussan domine la vallée de l'Aiguillon, où passait une ancienne route gallo-romaine reliant Nîmes (Nemausus) à Aubenas (Albenate) et Alba-la-Romaine.Tout autour du plateau calcaire des « Garrigues de Lussan », d'une altitude moyenne de 300 mètres, poussent chênes verts, buis et plantes aromatiques comme le thym ou la lavande, encore parcourus par les troupeaux de chèvres et de moutons. L'espace agricole est également occupé par des cultures céréalières et fourragères, des oliviers, des chênes truffiers et ponctuellement par des mûriers qui témoignent du passé séricicole de la commune au XIXe siècle.

Vue depuis Lussan


L'eau et les grottes des Concluses de Lussan, gorges creusées dans la roche par l'Aiguillon, affluent de la Cèze, sont propices à une installation des populations préhistoriques. Au pied de Lussan, à l'emplacement actuel du château de Fan – dont nous reparlerons puisqu'il a appartenu à la famille Gide – une statue gallo-romaine représentant une nymphe a été retrouvée qui ornait un sanctuaire, ou fanum.



 Dominant les Concluses de Lussan, les grottes qui ont abrité 
hommes préhistoriques puis brigands, camisards et résistants



Si au loin se distinguent la chaîne des Cévennes dominée par le Mont Lozère, le Mont Ventoux et même les Alpes par temps clair, deux monts proches et aux formes assez semblables barrent la vue au sud : le Serre de Fons (472 m) et le Mont Bouquet (629 m). La position dominante fait de ces rochers un site idéal pour une installation fortifiée.

 Vue depuis Lussan


Le rempart, ici l'ont dit barri, ceinture le plateau sur 800 mètres de long. Construit au XVe siècle en même temps que le château du haut, aujourd'hui reconverti en mairie – et qui a lui aussi appartenu à la famille Gide ! – ce barri a été remanié au XIXe siècle et couvert par des blocs de pierre taillée. Des tournelles, tours plus hautes que l'enceinte et ouvertes vers l'intérieur, ponctuaient l'ouvrage défensif.

Le château-mairie et à son pied la route qui monte au village


Une dizaine de hameaux, avec le village et les mas, composent aujourd'hui la carte administrative de Lussan qui s'étend sur 4 700 hectares. La commune compte 500 âmes, et possède encore une école, l'école Jules Ferry et ses deux classes. Le tourisme reste ici une activité heureusement contenue et le visiteur se voit offrir des panneaux historiques détaillés, mais aussi un parcours artistique original (présentant notamment une grande œuvre consacrée à Gide), des expositions gratuites, la visite d'une forge animée par une association dynamique... Mais revenons aux Gide.



Le château (XVe s.) et sa tour horloge.


C'est à Lussan que les ancêtres de Gide sont installés depuis au moins la fin du XVIe siècle. Un registre notarial porte une reconnaissance de dettes de Jehan Gido, datée du 11 février 1587. Le Compoix de Lussan (cadastre rudimentaire de l'époque) précise qu'il est ménager avec une maison de dix cannes de couvert, soit environ 38 m2, un jardin potager, un pré, une canebière, une vigne et deux champs, le tout d'une surface de moins de deux hectares. Le terme « ménager » signifie qu'il était propriétaire des bâtiments et des terres, mais aussi du matériel et des animaux de labour, propriétés certes modestes, mais non pas « ouvrier agricole » comme l'indique Frank Lestringant au seuil de sa biographie consacrée à Gide.


Asperges, vignes, fruits et légumes : une parcelle 
comme celle que cultivait Jehan Gido en son temps ?


Deux générations plus tard, le nom de famille est francisé en Gide. Théophile Gide est « tisserand à sarge » (fabricant de serges, les étoffes de laines qui font alors la richesse de la région), son fils Etienne est cardeur de laine. Etienne donne naissance à un autre Etienne (1686-1772), qui sera facturier en laine, et à un nouveau Théophile (1682-après 1765), lui aussi tisserand puis négociant en tissus. Dénoncé pour sa participation aux « assemblées du désert », Théophile s'enfuira en 1710 vers l'Allemagne où il fera fortune mais n'aura pas de descendance. C'est lui qu'on peut voir sur l'austère portrait qui est au musée d'Uzès.


A droite : le portrait de Théophile Gide (1682-après 1765)
A gauche le portrait de Joseph Etienne Théophile Gide (1750-1835)
au Musée Georges Borias d'Uzès


La génération suivante essaime un peu partout : un nouvel Etienne, après avoir essayé de reprendre les affaires de Théophile en Allemagne, rentre en France et s'installe à Paris où il fonde la branche parisienne des Gide. Un nouveau Théophile fonde une branche genevoise. Un Xavier inaugure une branche lorraine. Resté à Lussan, Jean Gide (1723-1803) facturier en laine et négociant, épouse en 1749 Anne Guiraud, fille d'un lieutenant de juge. Il offre à son fils aîné des cours de droit et en 1774 une charge de notaire royal à Uzès : Joseph Etienne Théophile Gide (1750-1835) est le premier d'une lignée de notaires et magistrats désormais installée à Uzès.



 Face aux grottes des Concluses, un panneau rappelle
que c'est ici que Théophile Gide s'est caché sous la Terreur.


Il faut noter qu'il est question de Joseph Etienne Théophile Gide sur le chemin qui descend aux Concluses de Lussan. Figure de la Révolution – il participa à la rédaction des cahiers de doléances comme secrétaire du district d'Uzès aux côtés de Rabaut-Saint-Etienne – ses sympathies Girondines font peser sur lui de graves menaces sous la Terreur. Le 17 juillet 1793, il rejoint Lussan où, aidé par son frère, il gagne les bois des Concluses pour s'y cacher. Il y restera jusqu'en septembre 1794, s'abritant dans une grotte (la baumo de Moussu Gide), aidé par des paysans sympathisants. A la chute de Robespierre, il reprendra ses activités politiques et deviendra président du directoire départemental de 1795 à 1799.



Paul Tancrède Gide (1800-1867)


Son frère Jean Pierre Gide (1754-1826), propriétaire et greffier du juge de Lussan, épouse en secondes noces Anne Pagès avec qui il a deux filles, et un fils : Paul Tancrède, le grand-père qu'André Gide ne connaîtra pas. Né à Lussan le 8 avril 1800, Paul Tancrède est juge de paix à Uzès en 1830, puis juge, puis président du tribunal de 1839 à sa mort le 1er juin 1867. Enterré à Uzès, sa tombe avait fait l'objet il y a quelques années d'une indélicate procédure de reprise de la part de la commune.



Le tribunal d'Uzès


Paul Tancrède est « médiocrement placé à la tête du tribunal d'Uzès où on se plaint de sa lenteur, d'une faiblesse qui tient à l'extrême douceur de son caractère », notent ses supérieurs. Une autre note de ses chefs le décrit « magistrat instruit, capable, consciencieux, mais manquant absolument des qualités essentielles d'un chef de corps, la fermeté, l'activité. M. G. est un obstacle à la répression de nombreux abus que la cupidité des gens d'affaires et la nonchalance de certains magistrats ont introduit dans cet arrondissement. »


 Maison natale de Charles Gide face à l'église Saint-Etienne à Uzès




C'est son fils cadet, Charles Gide (1847-1932) qui consigne ces remarques, avec cette rigueur toute protestante pour la vérité, fut-elle déplaisante à entendre. Son fils aîné est Paul Gide (1832-1880), le père d'André. Tous deux naissent à Uzès, dans une maison face à l'église Saint-Etienne, louée par l'oncle Théophile. Puis la famille s'établira non loin de là dans un appartement de l'hôtel du Sollier, propriété de la famille Chastanier. Une famille de Lussan, qui y a notamment fondé une filature de soie, et est apparentée aux Gide par un premier mariage de Jean Pierre Gide.



 L'entrée de la maison de la grand-mère de Gide
à Uzès, du côté de la Place aux Herbes


C'est dans cet appartement traversant, donnant d'un côté sur la place aux herbes par une ruelle étroite (la maison voisine ayant été détruite, ce côté prend aujourd'hui l'aspect d'une placette adjacente à la grande place), de l'autre sur le boulevard par une terrasse, qu'André Gide passera ses vacances à Uzès auprès de sa grand-mère Clémence Gide, née Granier, ainsi qu'il le raconte dans Si le grain ne meurt.



 La terrasse de la maison de la grand-mère de Gide
donnant sur le boulevard à Uzès



Suite :

Le château du Fan (à venir)
Musée Georges Borias à Uzès (à venir)

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