samedi 8 août 2015

Le grand jeu des citations


On le sait, Gide est l'un des auteurs les plus régulièrement cités sur la toile. Mal cité, le plus souvent... Mais n'est-ce pas ainsi que les citations vivent : transposée dans les mots de chacun, l'idée demeure ?

Ainsi une citation, notamment, fait florès aux Etats-Unis :

« One does not discover new lands without consenting to lose sight of the shore for a very long time. »

Qu'on rencontre parfois sous cette forme :
« Man cannot discover new oceans unless he has the courage to lose sight of the shore.»
Il est à noter que ces deux versions donnent lieu à des créations à l'esthétique plus ou moins douteuse, qu'on pourra admirer ici et .

Pas étonnant alors, qu'au retour en France, un éditeur de jeux vidéos l'utilise dans la bande-annonce de sa prochaine création, sous cette forme :




Wikiquote nous apprend même que cette citation est parfois attribuée à... Christophe Colomb !


Alors ayons le courage de ne pas perdre la source, qui se trouve à la fin des Faux-Monnayeurs, dans un dialogue entre Edouard et Bernard :
« On ne découvre pas de terre nouvelle sans consentir à perdre de vue, d’abord et longtemps, tout rivage. Mais nos écrivains craignent le large ; ce ne sont que des côtoyeurs. »

3 commentaires:

Connaissance ouverte a dit…

Le genre de la citation est, avec l'allusion, le renvoi, le plagiat, l'annotation, l'index, le lien hypertexte et la référence, une forme d’intertextualité, un moyen de croisement de l'expression et de la pensée avec celles des autres ; en somme, la citation fut un lien hypertexte avant la lettre.

AG : « Il est aussi naturel à celui qui emprunte à autrui sa pensée d'en cacher la source, qu'à celui qui retrouve en autrui sa pensée, de proclamer cette rencontre.
Les artistes les plus originaux ne sont pas nécessairement les plus incultes.
Si rare et si hardie que soit une pensée, il ne se peut qu'elle ne s'apparente à quelque autre ; plus vive et plus féconde est sa joie à se retrouver dans le passé des parents. » (Journal, Cuverville, juin 1927).

Cette rencontre des pensées est une condition nécessaire à la fois de consistance et d’objectivité, et découle du caractère social, intersubjectif, du langage. Assez souvent, dans un texte, se détache une formule qui fait mouche, que l'on a envie de noter d'abord, et de citer ensuite. La rencontre primaire d'une citation peut être l'occasion d'une rencontre secondaire avec une œuvre, voire avec un auteur (pour ceux qui ne sont pas "trop fiers pour s'instruire"). Un certain anti-citationnisme primaire (refus de savoir, obscurantisme.) a qualifié la citation d' "esprit des autres" (comme on a pu dire des affaires que c'était "l'argent des autres"), ou de "talonnettes de l'esprit". Cet esprit critique serait mieux employé à vérifier les citations qui circulent, soit que leur texte est souvent corrompu, soit que l'on attribue à l'un l'écrit de l'autre ; travail critique et de recherche qui n'est pas toujours facile, mais formateur.

Il existe certes un mauvais usage de la citation, noté par La Bruyère :
« Il y a des esprits, si je l'ose dire, inférieurs et subalternes, qui ne semblent faits que pour être le recueil, le registre, ou le magasin de toutes les productions des autres génies : ils sont plagiaires, traducteurs, compilateurs ; ils ne pensent point, ils disent ce que les auteurs ont pensé ; et comme le choix des pensées est invention, ils l'ont mauvais, peu juste, et qui les détermine plutôt à rapporter beaucoup de choses, que d'excellentes choses ; ils n'ont rien d'original et qui soit à eux ; ils ne savent que ce qu'ils ont appris, et ils n'apprennent que ce que tout le monde veut bien ignorer, une science aride, dénuée d'agrément et d'utilité, qui ne tombe point dans la conversation, qui est hors de commerce, semblable à une monnaie qui n'a point de cours : on est tout à la fois étonné de leur lecture et ennuyé de leur entretien ou de leurs ouvrages. Ce sont ceux que les grands et le vulgaire confondent avec les savants, et que les sages renvoient au pédantisme. » (Caractères, I, § 62).

Mais ce mauvaise usage ne saurait discréditer le bon.

Laconique a dit…

Il est bon de rendre à César ce qui est à César, et les citations de Gide, bien fin pour notre époque primaire, sont effectivement très souvent mutilées… Mais, si vous me permettez, il y a peut-être pire, c’est le fait d’altérer le texte de Gide dans ses œuvres elles-mêmes. Dans l’édition folio (Folio n°117) des « Nourritures terrestres », j’ai déjà trouvé deux coquilles. A la page 20, on trouve : « effrayante une liberté qui ne guide plus un devoir », ce qui ne veut rien dire, et de fait Gide a écrit : « effrayante une liberté que ne guide plus un devoir ». Plus loin, p. 72, on trouve : « sans plus, de femme ni d’enfants », avec une absurde virgule au milieu. Et je suis sûr qu’en cherchant on en trouverait d’autres. Ce genre de négligences, au XXI ème siècle, est totalement incompréhensible pour moi. J’ai écrit une lettre à Gallimard à ce sujet, et j’espère que les corrections seront apportées dans les éditions ultérieures…

Connaissance ouverte a dit…

Corydon fut réédité en collection de poche Folio, n° 2235, en février 1991, puis réimprimé en septembre 2001 et en mars 2012. Ces tirages de 2001 et 2012, plus corrects que celui de 1991, comportent encore quelques erreurs anciennes, et des erreurs nouvelles …. Page 3 : il convient de rétablir le sous-titre fondamental "Quatre dialogues socratiques" ; page 8, lire "troisième" au lieu du barbarisme "troisixème" ; page 48, lire "t. II, pp. 48-49" au lieu de "t. II, p. 28"; page 88, dans la note, lire "abundance upon" au lieu de "abundance on"; page 93, lire "linéairement" au lieu du barbarisme "linérairement"; page 125, lire "l’Antiquité" au lieu de "l’antiquité".