dimanche 19 janvier 2014

Gide et les écrivains catholiques

Gide et les gidiens seront très présents lors de la dernière des « Trois journées sur l’écrivain catholique en France au XXe siècle » le 6 février à l'Université de Lorraine, CLSH Nancy:

Troisième journée : Université de Lorraine, CLSH Nancy
(6 février 2014)
Salle internationale
(MSH Lorraine : Site de Nancy, 91 avenue de la Libération, Nancy)

9h30-9h45 - Ouverture

Matin
L’écrivain catholique et la vie littéraire

9h45-10h45 - Séance présidée par Jean-Michel Wittmann
         
Clara Debard (Université de Lorraine)
            « Jacques Copeau, dramaturge catholique »
Myriam Watthee-Delmotte (Université catholique de Louvain)
            « La psychanalyse comme apocalypse. Le catholicisme jouvien, de la posture sociale à l’intériorité »

11h-12h - Séance présidée par Denis Labouret

Hervé Serry (CNRS / Université Paris 8)
            « La littérature catholique au catalogue des éditions du Seuil (1950-1960) »
Jeanyves Guérin (Université Sorbonne Nouvelle)
            « La collection “Ce que je crois” : François Mauriac, Maurice Clavel, Gilbert Cesbron, Pierre-Henri Simon »

Après-midi
L’écrivain catholique vu du dehors

14h-15h - Séance présidée par Myriam Watthee-Delmotte
         
Denis Pernot (Université Paris 13)
            « Le Dialogue avec André Gide (1929) de Charles du Bos : une conversion à l’œuvre »
Jean-Michel Wittmann (Université de Lorraine)
            « “Avait mis sa plume au service de son imagination et son imagination au service de l’Église” : Gide et l’impossible écrivain catholique »

15h30-16h30 - Séance présidée par Jeanyves Guérin

Myriam Sunnen (Centre national de littérature, Luxembourg)
            « André Malraux et les écrivains catholiques »
Denis Labouret (Université Paris-Sorbonne)
            « L’écrivain catholique existe-t-il ? »






dimanche 12 janvier 2014

Gide en 2014


La Société des Etudes Rebatiennes fait le double pari « d'arracher la littérature au politique » et de s'adresser aux « authentiques amoureux de littérature » (malgré les inévitables récupérations par un révisionnisme plus actif et impuni que jamais). Dans le premier numéro de sa revue consacrée au roman Les Deux Etendards, un article de Pascal Ifri souligne les parallèle entre le Journal des Faux-monnayeurs et les Etudes sur la composition des Deux Etendards.

Etudes Rebatiennes, n°1, 


Lacan s'est dit être un poème, et pas un poète. Mais alors, ce poème qu'on est, de qui est-il ? D'où vient-il ? Du savoir de «lalangue». Il y a, dans «lalangue», cette détermination du sens par le son, propre à la fonction poétique à laquelle Roman Jakobson accorde le primat. Ceci impose à l'analyste, en particulier quand il interprète, une position poéthique, à laquelle le numéro 21 de la revue En-Je lacanien est consacré. Gide y est au coeur de deux articles : Gide, de la mystique à la lettre, de Luis Izcovich, et Un devoir de sincérité : Gide à la question, de Albert Nguyên.




Paru fin octobre dernier à la Table ronde, le volume Les Grandes heures de la collection de l'INA-Radio France rassemble les entretiens donnés à la radio par douze écrivains célèbres. La série d'entretiens donnés par Gide à Jean Amrouche n'y figure pas (recueillis dans André Gide, qui êtes-vous ?, Eric Marty, La Manufacture, Lyon, 1987) mais la figure de Gide traverse les échanges avec Aragon, Giono, Cendrars ou Simenon. Les paroles ne s'envolent pas toujours...




Côté conférences, signalons la présence de Frank Lestringant et Laurent Gagnebin le 10 mars prochain à la Faculté de Paris de l'Institut protestant de théologie (83, bd Arago 75014 Paris) sur le sujet « André Gide : hier et aujourd'hui ». Une conférence-débat qui aura lieu de 18h30 à 20h.




La photographie de Laure Albin-Guillot représentant Gide sous le masque de Leopardi illustre l'affiche du colloque « L’écrivain vu par la photographie. Formes, usages, enjeux (XIXe - XXIe siècles) » qui se tiendra en juin à Cerisy. Claire Paulhan proposera un accrochage et une présentation de photographies d'écrivains.

On le voit encore une fois, même si Gide ne figure pas parmi « les dix auteurs que l'on risque de commémorer en 2014 » selon le Nouvel'Obs et ce malgré le centenaire annoncé de la publication des Caves du Vatican (mais le Nouvel'Obs oublie aussi Claude Mauriac né en 1914 !) le « risque » est grand de voir Gide continuer à squatter l’actualité littéraire tout au long de l'année. Gide toujours contemporain. Toujours capital.

André Billy sur « A la recherche d'André Gide »


André Billy, dont nous avons récemment exhumé les souvenirs sur les faux-monnayeurs du Luxembourg, donnait dans le Journal de Genève du 8 mars 1952 une critique de A la recherche d'André Gide, petit livre de souvenirs de Pierre Herbart qui allait soulever l'indignation :

« André Gide et ses amis

DEUX amis intimes d'André Gide viennent de publier, à quelques semaines d intervalle, des témoignages sur celui qu'ils eurent l'occasion d'approcher de près et de fréquenter assidûment. De la lecture de ces deux brefs ouvrages, Notes sur André Gide, de M. Roger Martin du Gard, et A la recherche d'André Gide, de M. Pierre Herbart, on sort quelque peu désenchanté. Ces deux chers amis de Gide n'ont pas flatté leur modèle. M. Pierre Herbart se montre même pour lui d'une sévérité, d'une lucidité, peut-on croire, qui dépasse de beaucoup la liberté de plume qu'on était disposé à tolérer, à comprendre, s'agissant d'un écrivain qui affectait de mettre la sincérité au premier rang de ses valeurs morales. M. Pierre Herbart a beau nous prévenir que Gide et lui entretenaient une amitié exempte de complaisance, il a beau nous dire que, sur Gide, il faut dire la vérité ou se taire, on est tenté de s'étonner que, précisément, il ne se soit pas tu et que, un an seulement après la mort de son illustre ami, il ait éprouvé le besoin de nous en proposer un portrait si désagréable. J'ai rarement rencontré André Gide, je n'ai déjeuné qu'une fois en sa compagnie, M. Pierre Herbart était là et je revois l'empressement affectueux et vigilant dont il entourait son vieux compagnon ; cette image fait, dans mon souvenir, un singulier contraste avec les notations incisives de A la recherche d'André Gide. Quels défauts n'avait pas Gide, s'il faut en croire M. Herbart ? Amoralité, infidélité, insensibilité, déloyauté, artifice, goût du sordide, faux détachement, monstrueux égoïsme... Voilà un mort bien drapé !

Herbart prend cette autre précaution de nous dire que la vraie grandeur de Gide est dans ce mélange de faiblesses humaines et de supériorité intellectuelle et que, pour le concevoir vraiment grand, il importe de le voir tel qu'il était. Je n'en suis pas certain du tout. Un Tolstoï, un Wagner ont eu des défauts et des vices épouvantables, mais ces vices et ces défauts étaient à la mesure de leur génie. Chez Gide, à propos de qui ses plus fervents adeptes ne prononcent jamais le mot génie, les défauts et les vices n'avaient rien de cette puissance farouche, irrésistible et souveraine. C'étaient les vices et les défauts du premier venu, des défauts honteux et comme timides, que nous soupçonnions, mais sur lesquels nous n'avions pas tellement hâte d'être édifiés.

On a toujours, ou presque toujours, l'idéologie de ses intérêts, on a la morale de son tempérament et de ses instincts. A présent que nous voici renseignés sur la violence que certains instincts atteignaient chez Gide. on ne s'étonne plus qu'il ait obstinément enseigné la recherche du plaisir et l'affirmation de soi-même. Son éthique n'était qu'une tentative de justification personnelle. J'ai longtemps cru qu'il l'avait empruntée plus ou moins directement à Nietzsche. Mais non ! Et Gide avait bien raison de nier qu'il dût grand chose au poète de Zarathoustra. Son immoralisme n'était qu'un amoralisme littérairement et artificiellement transposé. M. Herbart insiste sut l'amoralité de Gide ; l'existence même de certaines notions de moralité lui était inconnue, paraît-il.

Je serais fâché qu'on vît en moi un détracteur de Gide et qu'on pût croire que les cruelles appréciations de M. Herbart m'ont fait le moindre plaisir. Sans doute me suis-je toujours étonné de voir la jeunesse littéraire prendre entre 1920 et 1940 Gide pour guide et animateur. Je ne l'ai jamais considéré comme un très grand écrivain, à plus forte raison comme un très grand philosophe. Affaire de génération. Ma génération a grandi dans l'admiration de Schopenhauer et de Nietzsche.

A côté de ces géants, Gide me paraissait faire petite figure. J'avais tort ? C'est ce qui explique en tout cas l'attitude réticente que je n'ai cessé d'observer a l'égard de l'auteur des Nourritures, non sans rendre hommage à sa finesse de goût et d'esprit et à la pénétration de ses intuitions littéraires. Quel critique il eût été s'il avait été obligé de gagner sa vie dans les journaux ! M. Herbart nous dit que, dans le privé, il n'avait aucun flair psychologique. On ne me persuadera pas qu'il n'a pas été, la plume à la main, un merveilleux psychologue et un profond analyste.
Il n'y a pas de grands hommes pour leurs valets de chambre, dit le proverbe. N'y en aurait-il plus désormais pour leurs amis ? L'amitié littéraire avait jusqu'ici tendance à enfler l'éloge et à grandir les disparus, comme pour accroître d'autant l'honneur que c'était de les avoir approchés. La mode contraire semble vouloir s'établir à propos de Gide. Peut-être la vérité y gagnera-t-elle de ne pas attendre, comme naguère, un demi-siècle pour être connue. Soit ! Tout de même on est un peu choqué. Simple affaire d'habitude, sans doute...
André Billy,
de l'Académie Goncourt. »

dimanche 5 janvier 2014

Une cantatrice, dix phonographes et André Gide


Relisant les portraits de la Galerie privée de M. Saint-Clair, c’est-à-dire Maria Van Rysselberghe, dans l'édition de 1968*, je découvre par la même occasion la préface de Béatrix Beck** à ce recueil des textes de la Petite Dame. Pour évoquer le caractère bien trempé de Maria Van Rysselberghe et l'admiration de Gide devant ce caractère, Béatrix Beck donne une anecdote qui m'amuse et m'arrête :
« Quand l'auteur du Traité du Narcisse décida de me prendre pour secrétaire, il compta comme argument de poids en ma faveur le fait que sa belle-mère de la main gauche n'élevait aucune objection contre cette idée. Pourtant, il ne semblait pas redouter le caractère ardent et combatif de Mme Théo, mais au contraire s'en réjouir, racontant d'un air de jubilation qu'à la dernière réunion des copropriétaires, son alliée avait dit, très haut, à l'un d'eux :
—  Monsieur, vous êtes un voleur. »
La réunion des propriétaires du Vaneau me rappelle que Gide en fut non seulement le participant attentif  mais aussi le président du syndic... A-t-il été élu à cette fonction comme à celle de maire de La Roque, quasiment par acclamation, ou l'a-t-il sollicitée comme pour son rôle de juré à la cour d'assises de Rouen ?

Le « Courrier musical » de la Gazette de Lausanne du 7 janvier 1934 nous raconte ainsi un différend qui met en scène deux habitants du Vaneau en 1933, soit cinq ans après l'emménagement de Gide et de Maria Van Rysselberghe au 1 bis, rue Vaneau. L'immeuble semble ainsi avoir été le refuge de nombre de fortes personnalités comme ce marquis de Lur-Saluces et Mme Cluzel, cantatrice amateur :
Dix phonographes luttant contre un soprano

Un bien singulier procès vient de mettre à l'épreuve la sagacité de M. le juge de paix du 7e arrondissement de Paris, après avoir mis en émoi l'immeuble qu'habitent, tous deux au même étage, Mme Cluzel et le marquis du [sic] Lur-Saluces, deux voisins qui, hélas, n'ont pas les mêmes goûts musicaux. Cantatrice amateur, Mme Cluzel faisait chez elle des exercices vocaux bien légitimes : or, aux mêmes heures, le marquis de Lur-Saluces, de l'autre côté de la cloison, déchaînait une armée de phonographes — dix exactement — dont les disques variés avaient été choisis parmi les plus bruyants : cors de chasse, bugles, saxophones, bruits de tempêtes, etc.
La querelle apaisée grâce à la diplomatie du président du Conseil des propriétaires de l'immeuble, président qui n'est autre que M. André Gide (!) ; le jugement a été rendu qui déboute la plaignante de sa prétention de se faire rembourser les frais du procès.
La guerre des voisins devait se produire aux premiers étages de l'immeuble, et ne pas déranger le sacro-saint nap gidien, pour n'avoir pas filtré jusque dans le Journal de Gide ou les Cahiers de la Petite Dame. Mais peut-être Gide a-t-il laissé dans les comptes-rendus du syndic du Vaneau d'autres traces de son insatiable curiosité pour ces petits théâtres humains ?


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* M. Saint-Clair, Il y a quarante ans, suivi de Strophes pour un rossignol et de Galerie Privée, préface de Béatrix Beck, NRF, Gallimard, Paris, 1968.
** Sur Béatrix Beck, voir aussi ce billet.