dimanche 27 avril 2014

Plusieurs lettres aux enchères


La vente publique du libraire Alain Ferraton du 10 mai prochain verra passer plusieurs lettres de Gide :

Lot 264
Correspondance au docteur Willy Schuermans.- GIDE (André).

Ensemble de 1 télégramme, 2 cartes et 11 lettres autographes, soit 13 sur 36 des documents édités dans la correspondance de Gide au docteur Willy Schuermans (voir ici le n° 331).
Cette correspondance concerne en grande partie les épreuves de «Numquid et tu... ? » publié sans nom d'édit. en 1922 et imprimé à Bruges à l'imprimerie Sainte-Catherine. 1. (III de l'édit.).
Carte postale (reproduction d'un ms. de la Vaticane) manuscrite signée, datée du 19 nov. 1920, enveloppe conservée. « Vous m'écrivez la plus exquise des lettres / Croyez bien que je n'oublierai pas ma promesse. » 2. (VIII).
Carte recto-verso autographe signée, 2 sept. 1921, enveloppe conservée. Gide donne son adresse où envoyer « les épreuves de Verbecke » (Édouard Verbecke, imprimeur à Bruges), mais prévient qu'à partir du 13 « il serait plus prudent de les garder quelques jours - et de me les envoyer à la Nouvelle Revue Française »... 3. (IX).
Lettre autographe signée, 8 lignes sur un f. 4°, datée du 9 sept. 1921, enveloppe conservée. Gide demande que l'on envoie les épreuves à la NRF. 4. (X).
Lettre autographe signée, 1 p. 8°, 29 sept. 1921, enveloppe conservée. « Toujours rien de Verbecke ? Je lui écris par le même courrier pour secouer son apathie. » Gide donne une nouvelle adresse et termine sa lettre en annonçant la parution prochaine des Morceaux choisis qu'il enverra « tout aussitôt ». 5. (XI).
Télégramme du 30 sept. 1921. « Reçois paquet épreuves. Merci. » 6. (XII).
Lettre autographe signée, 8 oct. 1921, 1 p. 1/2 sur papier à en-tête de la NRF, enveloppe conservée. Gide remercie vivement pour l'envoi. Il corrige les épreuves et demande, s'il y a des nouvelles épreuves, qu'on les lui envoie à la NRF. 7. (XIII).
Lettre autographe signée, 30 oct. 1921, 1 p. petit 4°, enveloppe conservée. Gide se plaint de ne pas recevoir d'épreuves. Il donne son adresse à Rome (poste restante).
« J'ai inscrit votre nom hier sur la liste des services de mes Pages choisies [Morceaux choisis], car le volume ne paraîtra que dans quelques jours ; je ne puis l'attendre, et vous écris en grande hâte, deux heures avant mon départ. » 8. (XVI).
Lettre autographe signée, 2 p. 8° à en-tête de la NRF, 13 déc. 1921, enveloppe conservée. Gide charge un ami de récupérer « le jeu d'épreuves renvoyé par vous à Rome ». Il regagne Paris et donne comme seule adresse celle de la NRF. 9. (XVII).
Lettre autographe signée, 29 janv. (sic, pour déc.) 1921, enveloppe conservée. Gide remercie pour l'envoi des épreuves. « Et ce soir me parvient votre affectueuse lettre. J'espère pouvoir vous faire de vive voix mes voeux de nouvelle année »… 10. (XVIII).
Lettre autographe signée, 9 janv. 1922, 1 p. 4°, enveloppe conservée. « Mademoiselle Van Rysselberghe qui part demain pour Bruxelles voudra bien me rendre le grand service de surveiller à ma place le tirage de Verbecke. Elle vous remettra l'exemplaire que je vous ai promis et que je vous prie de serrer au plus secret endroit de votre bibliothèque. » 11. (XXI).
Lettre autographe signée, 1 p. in-12 et 3 lignes, 21 févr. 1922, enveloppe conservée. « Rassurez-vous. Madame Van Rysselberghe, que l'exposition de son mari appellera à Bruxelles, la semaine prochaine, vous remettra le volume en mains propres. Je regrette vivement de ne pouvoir le faire moi-même... » 12. (XXII) Lettre autographe signée, le 1er avr. 1922, 1 p. in-12 et 5 lignes, enveloppe conservée. Gide s'inquiète de savoir si Schuermans a reçu son livre et lui demande « un petit mot ». 13. (XXIII).
Lettre autographe signée, jeudi (cachet de la poste : 7 avr. 1922), 1 p. in-12, enveloppe conservée. Accusé de réception d'une lettre. « Non, je ne pense pas pouvoir venir à Bruxelles d'ici longtemps - / Pour Joyce... nous en reparlerons. » 14. (XXXI) Lettre autographe signée, non datée, 1 p. 8°. « Ce mot, dans le cas où je ne vous rencontrerais plus : / Pas pu retrouver d'Offrande lyrique - mais, par contre un 'Nourritures' que vous me disiez souhaiter également. / Pas pu me décider, pour le petit livre auquel, hier, vous avez fait allusion [Numquid et tu]. / “Le cœur a des pudeurs que... etc” ». Ensemble exceptionnel.

Estimation : 1 600 € / 1 800 €



Lot 265
GIDE (André).
Lettre autographe signée au poète belge Roger Bodart (1910-1973), datée du 1er novembre 1935, 1 p. 8° (traces de pliures).

Belle lettre : « Vos poëmes (non tant le premier, en alexandrin, que les deux autres : Nulle part et Saint-Hubert) me paraissent excellents. Je ne puis me retenir de les porter à Jean Paulhan, directeur de la N.R.F., curieux de savoir ce qu'il en dira ; et lui donne votre adresse. N'avez-vous pas d'autres poëmes que vous puissiez lui envoyer ? ».

Estimation : 150 € / 200 €





Lot 266
Lettre à Franz Hellens.- GIDE (André).

Lettre autographe signée à l'écrivain belge Franz Hellens (1881-1972), datée du 24 avril 1946, 2 p. in-12, enveloppe conservée (traces de pliures, petite décharge, petite bande de papier collant au bord (2 mm).
Belle lettre : « A mon retour d'Égypte, je trouve votre aimable lettre du 26 mars ; la précédente s'est sans doute égarée à ma poursuite. Submergé par l'accumulation (4 mois d'absence) de 'choses à faire' je ne puis vous envoyer (et ne pourrai d'ici longtemps) que mes vœux très cordiaux et l'assurance de ma fidèle sympathie »... Il veut cependant satisfaire Hellens en lui envoyant un texte, mais, en note, signale que le texte qu'il aurait pu lui confier est celui de son Journal dont il vient de donner le bon à tirer chez Gallimard.

Estimation : 200 € / 250 €



Lot 267
GIDE (André).

Lettre dactylographiée signée au bibliophile anversois Paul Alleman, datée de Cuverville en Caux, le 23 septembre 1927, 1 p. in-12 de papier rose, enveloppe conservée. « Oui ; le fait divers si suggestif, je le connaissais déjà. Mais votre lettre est exquise et je vous sais gré de me parler ainsi. Croyez-moi très sensible à cette sympathie que vous me témoignez et dont je voudrais que vous sentiez ici l'écho sincère. ».

Estimation : 100 € / 150 €


 
Lot 268
4 lettres à Octave Maus.- GIDE (André).

Quatre lettres autographes signées à l'écrivain et critique musical belge, fondateur de la revue « L'Art moderne », Octave Maus (1856-1919) : 1. Non datée [avant avril 1900], 1 p. 8° et 4 lignes (traces de pliures).
A propos, sans doute, de sa conférence du 29 mars 1900 : « J'aurai soin d'envoyer ma conférence à ceux de vos amis que vous voudrez bien m'indiquer, mais ne peux en confier l'édition à l'Art Moderne ; elle doit paraître dans la petite édition de l'Ermitage [...] Votre lettre est trop bonne pour ne pas me faire regretter de ne pouvoir vous satisfaire »…- 2. 2 avril 1900, 4 p. in-12 (traces de pliure) : « Je vous supplie de ne croire ni à l'oubli ni à de la négligence de ma part. Si je n'ai pas encore adressé à la rédaction de l'Art Moderne la copie que je vous avais promise, c'est que je n'ai pu encore remettre la main sur le manuscrit »... Plus loin, Gide demande le prêt de l'édition de la correspondance de Laforgue. « Du moins veuillez m'indiquer les années, si vous ne pouvez mes les prêter »...- 3. Non datée [avril 1900], 1 p. 8° (traces de pliure).
« Voici donc ma copie ; veuillez en excuser le très volontaire retard. [...] L'Art Moderne aurait-il l'obligeance d'indiquer dans ma note que la conférence paraîtra in extenso dans l'Ermitage du mois de Mai....? ».- 4. Mardi matin [15 mars 1904], 3 p. in-12. Gide donne le titre de sa conférence : « Quelques réflexions à propos du Roman et du Théâtre » qu'il donnera le 25 mars 1904 au salon de la Libre Esthétique. Puis aborde un problème « Assez délicat ». Il ne peut acheter une petite toile de Vuillard (« La Tasse de café ») car « un ami besogneux vient me taper de la forte somme ». Gide propose néanmoins de l'acheter « si quelque parole que ce soit devait m'avoir engagé vis-à-vis de Vuillard, veuillez m'en avertir par un mot et le 25 je vous apporterai la somme ».

Estimation : 500 € / 600 €


Signalons encore plusieurs lots de cette même vente proposant des correspondances et des livres de Gide, dont au lot 332 un exemplaire de Paludes illustré d'eaux-fortes d'A. Grinevsky. [Paris], N.R.F. (imprimé à Maestricht par A.A.M. Stols pour la N.R.F.), 1930, gd 8°, 138 p., un frontispice, et eaux-fortes en couleurs dans le texte, titres de chapitres en rouge en marge, lettrines en rouge d'après les modèles de Stols, br., couv. à rabats avec une eau-forte. Edit. tirée à 360 ex. num. 1/335 Hollande filigrané « André Gide ».

Vente le samedi 10 mai 2014 à 13h
Exposition :
le samedi 3 mai 2014 de 10 h à 19 h
du lundi 5 mai 2014 au jeudi 8 mai 2014 de 10 h à 19 h
le vendredi 9 mai 2014 de 10 h à 18 h


L'esprit de Pontigny




Entre 1910 et 1939, chaque été, des écrivains, économistes, hommes politiques et philosophes se retrouvaient dans l'ancienne abbaye de Pontigny, petit village de l'Yonne, pour débattre du sentiment de justice, d'esthétique, du droit des peuples, de poésie, de relations internationales ou même de psychologie... Ils répondaient à l'invitation de Paul Desjardins qui avait fait de Pontigny un lieu pour l'esprit.

L'esprit de Pontigny, c'est le titre du nouveau livre que Pierre Masson et Jean-Pierre Prévost publient aux éditions Orizons. Un très bel et volumineux ouvrage qui doit son épaisseur à la grande quantité de documents inédits réunis et commentés. Car cet esprit des lieux doit, semble-t-il, beaucoup à l'ambiance générale, sur laquelle les témoignages nous renseignent davantage que sur les échanges à proprement parler




Il en va de même pour les « centaines de photos prises par de nombreux participants, photographes occasionnels connue Roger Martin du Gard, systématiques comme Paule Crespin, qui devinrent ainsi la mémoire des décades », expliquent les auteurs. « Elles permettent non seulement de donner un visage à bon nombre d'intellectuels et d'artistes souvent bien oubliés aujourd'hui, mais de tenter de restituer le climat de ces rencontres et son évolution. »

« Ces photos, dont quelques-unes semblent spontanées et prises sur le vif, sont pour la plupart «mises en scène» par le photographe. Tantôt «photos de famille» à la manière des classes d'écoles ou des mariages d'autrefois, destinées à «prendre date», tantôt plus sophistiquées dans les cadrages et les situations, elles nous fournissent quantité d'informations sur les personnalités des uns et des autres, les attitudes devant l'objectif, le goût de se faire photographier ou pas, le talent du photographe. »



Jean-Pierre Prévost et Pierre Masson déroulent en parallèle la chronologie des débuts, l'interruption de la première guerre mondiale, la reprise en 1922, et à nouveau la route vers la guerre ponctuée d'interrogations et d'espoirs qui transparaissent dans les thèmes abordés. Les échanges de lettres pour préparer les entretiens, les invitations, les programmes annotés de la main de Desjardins ou les changements de dernière minute pour mieux coller à l'actualité donnent une meilleure idée de cette entreprise, qui se devait aussi d'être rentable.

La brochure rédigée dès la première année par Paul Desjardins, en manière de règlement intérieur, éclaire sur l'atmosphère qu'il souhaitait instaurer à Pontigny : « Les femmes sont invitées, à Pontigny, au même titre que les hommes. La vie familiale s'y peut continuer. », « A Pontigny on ne prétend pas à l'ascétisme.», « Toutefois, la vie à Pontigny n'est pas la « vie de château ». Il faut s'attacher à la juste mesure. Le luxe serait une faute. On est prié de n'apporter rien qui marque l'inégalité des fortunes. »

Une journée type à Pontigny réserve ainsi beaucoup de temps libre, pour poursuivre le travail, musarder dans le parc ou prendre un bain dans le Serein. Le tout au rythme des coups de cloche :
« De huit heures à neuf heures. (Un coup de cloche), le thé, le chocolat, le café au lait, etc. sont servis au Réfectoire. La correspondance est distribuée. .
Avant midi: la matinée est indépendante; chacun en sa chacunière. La bibliothèque est ouverte.
Midi (deux coups de cloche). Le repas au milieu du jour réunit tous les hôtes de l'Abbaye. Deuxième distribution de la correspondance.
Une heure. Le café et le thé sont servis sous la charmille. Conversation, tour de jardin.
Deux heures à trois heures et demie. Entretien, dans Salon des entretiens. Rien d'oratoire. Chacun,à son tour, communiquant son expérience et posant des questions. Le sujet aura été proposé la veille, de manière qu'on y ait pu réfléchir.
Trois heures et demie à quatre heures et demie (un coup de cloche). Le goûter est servi au jardin.
Troisième distribution de la correspondance. La levée de la correspondance est faite à six heures. Cinq heures à sept heures. Promenade, par groupe, dans les environs, ou, si le temps est contraire, dans la grande halle.
Sept heures et demie (deux coups de cloche). Le repas du soir réunit tous les hôtes de l'Abbaye.
Huit heures et demie à dix heures. Soirée dans les jardins ou dans le Salon des entretiens. Lecture. Musique. Causerie.
Dix heures. Le thé et les boissons fraîches sont servis. On se retire.»

Ce bel album se referme sur les lettres reçues à la mort de Paul Desjardins par sa femme. « Je sens des choses bien contradictoires », lui écrit la Petite Dame, l'un des piliers discrets de Pontigny, « Serait-il possible que cette lumière dont brille le seul nom de Pontigny rentre dans l'ombre ? Que tant de forces, groupées là, ne puissent en assurer la continuité ? D'autre part qui est de taille à assurer la succession de votre mari ? » Comme souvent, elle avait vu juste : l'esprit de Pontigny ne survivra pas à la mort de Desjardins, à la guerre, à la transplantation à Royaumont et encore moins à Cerisy.



























Pour aller plus loin :

Liste des décades de Pontigny
Pontigny aujourd'hui
Visite gidienne à Pontigny

vendredi 18 avril 2014

Un monsieur redoutable : André Gide


En 1977, Marie Cardinal publie Autrement dit (Grasset), réponse aux milliers de lettres reçues à la suite de la parution deux ans plus tôt des Mots pour le dire (Grasset). Dans cette longue interviou conduite par Annie Leclerc, Marie Cardinal revient entre autres sur son enfance à Alger... et sa rencontre avec André Gide.


« En allant chez Annie j'éprouvais une sensation comparable à celle que je ressentais, étant enfant, sur le chemin de mon école. Dans les deux cas j'étais toujours en retard... C'était la course.
J'habitais tout près du terminus des tramways, à Mustapha Supérieur, sur les hauteurs d'Alger. J'aurais donc pu prendre un de ces insectes ferraillants dont les antennes, à chaque carrefour, faisaient jaillir des étincelles bleues et dorées. Mais, d'une part, ils étaient moins rapides que mes jambes et, d'autre part, ils contenaient souvent un monsieur redoutable : André Gide.

Ma famille habitait une grande maison à deux étages, entourée de jardins, L'étage supérieur était occupé par Jacques Heurgon. professeur à l'université, et par sa femme, Anne Desjardins, la fille du dernier grand mécène français. Pendant l'occupation de la France par les nazis certains écrivains ont traversé la Méditerranée et ceux qui avaient été accueillis par Desjardins à l'abbaye de Pontigny ont naturellement abouti chez sa fille, à Alger. Elle avait trois enfants et très vite sa maison est devenue trop petite. C'est alors que ma mère enchantée de l'aubaine a mis notre maison à la disposition des « maîtres ». Ainsi, Gide venait chaque jour se reposer dans notre bibliothèque, une petite pièce lambrissée couverte de livres du sol au plafond. Il y avait trouvé des éditions originales ou des éditions de luxe de ses ouvrages qu'il corrigeait avec acharnement. En face de chaque correction typographique il apposait son paraphe et il notait dans son journal l'inadmissible et lamentable état de la typographie des belles éditions. Quand il rencontrait ma mère c'était son unique sujet de conversation. Il était maniaque et je le détestais.

Une fois par semaine les Heurgon s'absentaient. Je ne sais plus où ils allaient. Comme Gide ne voulait pas les suivre on m'avait demandé de lui préparer des œufs sur le plat pour son déjeuner. Cela ne s'est peut-être produit que deux ou trois fois mais il me semble que c'est arrivé souvent tant j'en ai gardé un mauvais souvenir. D'abord j'étais paralysée par l'admiration, le respect, dont tout le monde l'entourait, ensuite j'avais douze ou treize ans et je n'avais pas de compétences culinaires particulières. A l'heure dite je montais dans la cuisine des Heurgon où Gide m'attendait, assis sur une chaise, près du fourneau. Tout était préparé. Je me demande bien pourquoi on m'avait demandé de faire ça. La corvée commençait. Tous mes gestes étaient épiés et commentés par Gide : comment je cassais les œufs, comment je les laissais tomber dans la poêle, comment je mettais le sel, et le poivre, comment le feu était trop fort ou pas assez fort... Il n'avait qu'à les faire lui-même !

N'empêche que ce vieux bonhomme m'intriguait car ma mère m'avait interdit d'ouvrir ses livres : « Ils ne sont pas pour les petites filles. » Inutile de dire qu'à la première occasion je les avais ouverts et que je n'y avais rien compris. Ma curiosité en avait été avivée et comme il lui arrivait souvent de recevoir des amis chez nous, dans le grand salon, j'avais décidé d'assister clandestinement à une de ces réunions, pensant y entendre des propos salaces. Un coin de la pièce était occupé par un piano à queue drapé d'un châle sévillan qui tombait jusqu'à terre, ce serait ma cachette. Alors, un jour, en rentrant de classe, j'ai commencé par me faire un bon goûter puis, une fois nantie de ces provisions, je me suis enfournée sous le piano, sachant que j'en aurais jusqu'au soir. A travers les franges du châle j'ai vu arriver des messieurs très sérieux et parmi eux Saint-Exupéry que j'avais vu d'autres fois et que j'aimais bien parce qu'il avait une petite tête ronde en haut d'un corps immense, toujours en uniforme.

Je me suis ennuyée ce jour-là autant que je m'ennuie aujourd'hui dans les réunions d'intellectuels parisiens ! C'était interminable et cela ne m'a pas servi à comprendre l'interdiction de ma mère...

A part ça. Gide avait plusieurs fois regardé mes livres et mes cahiers de grec et de latin et vérifié par des questions perverses que je ne savais rien. Justement, ces investigations s'étaient le plus souvent passées dans le tram. Comme c'était le terminus il n'y avait la plupart du temps que nous deux au départ. Impossible de l'éviter. Moi j'étais là, avec mon uniforme de petite-fille-de-bonne-famille-qui-va-dans-une-bonne-école et mon cartable, à faire mes devoirs au dernier moment sur mes genoux. Lui, il arrivait avec sa cape, son béret, sa tête de Chinois et ses sandales en pneu de camion. J'en avais une peur bleue.

Raison majeure pour ne pas prendre le tram. D'autant plus que je connaissais un chemin très rapide, un raccourci pentu et périlleux, qui avait l'avantage de me faire traverser le parc de Galland, mon paradis. Paradis d'abord parce qu'il portait le nom de ma tante Lilia, une grande et large femme que j'aimais, et ensuite parce qu'il contenait, dans ses escarpements, les arbres, les plantes, les couleurs, les parfums, que j'aimais. Je courais à toute vitesse, je traversais comme un avion des zones de verts, de rouges, de jaunes, des senteurs de frésia, de glycine, d'œillets, de roses, de jasmin. J'étais sensible à tout cela que je n'avais pourtant pas le temps de regarder puisque mon attention se portait surtout sur la pente raide que je dévalais et dans laquelle le moindre faux pas m'aurait fait faire une chute dangereuse. Je bondissais pour éviter une roche mais ça ne m'empêchait pas de sentir que les roses-thé étaient en fleur, que l'ombre du cyprès était plus épaisse, qu'il avait plu la nuit précédente... Cette course me procurait une exaltation formidable, mon être entier y était occupé et j'en jouissais d'autant plus que j'imaginais le tramway se traînant dans ses lacets et secouant le Père Gide dans un tintamarre de ferraille. Tant pis pour les étincelles ! »

(Marie Cardinal, Autrement dit, Grasset, 1977)

dimanche 13 avril 2014

Une vente aux enchères





Lot 182
André GIDE

Le Retour de l’enfant prodigue, précédé de cinq autres traités.
Paris, NRF, 1912.
In-12, demi-maroquin marron à bandes, les milieux des plats en vélin, dos lisse, tête dorée, couverture et dos (Reliure de l'époque).
Exemplaire portant un envoi autographe signé sur un feuillet de garde au critique et écrivain : À Gabriel Mourey / en amical souvenir / André Gide.

On joint dans une reliure identique :
André GIDE.
Les Nourritures terrestres.
Paris, NRF, 1917. In-16
Dos passés.
Estimation: 100-150 €

Lot 183
André GIDE
Souvenirs de la Cour d’Assises.
Paris, NRF, 1913. In-12, demi-maroquin marron à bandes, les milieux des plats en vélin, dos lisse, tête dorée, couverture et dos
(Reliure de l'époque).
EDITION ORIGINALE.
Exemplaire portant un envoi autographe signé sur le faux-titre : À Gabriel Mourey / en affectueux souvenir / André Gide.

On joint dans une reliure identique :
André GIDE.
Incidences.
Paris, NRF, 1924. In-12
EDITION EN PARTIE ORIGINALE.
Dos passés.
Estimation : 200 € / 300 €

Lot 299
André GIDE (1869-1951)
Manuscrit autographe et lettre autographe signée ; 2 pages et 1 page in-8.
Notes de premier jet au crayon. « Horrible insuffisance des livres – Virgile seul […] sirocco où les parfums, maladivement exaltés – roulent – traînent à terre – se déversent – je ne sais plus le nombre effrayant de kilomètres que le vent peut franchir par… Je me dis qu’il y a quelques heures encore ce souffle qui me brûle et me fait frissonner courait et se chargeait de fièvres sur les cailloux peut-être de la Tripolitaine horriblement chauffée. Oui ce sont de chères blessures non plus saignantes mais cuisantes et dont la cuisson réclame sans cesse la liqueur dont sans cesse je les arrose »…
Vendredi, à un « cher ami ». Rendez-vous pour aller dîner le lendemain au Wonderland : « C’est une grande soirée – prix majorés, affluence, etc. tant pis ; n’y peux rien »…
ON JOINT une carte postale et un pneumatique d’Anna de NOAILLES. [1er janvier 1908] : « Je vis d’eau de mer et en répands autour de moi l’heureux usage ; – que les imbéciles la craignent et en meurent par défiance – c’est une sélection. – Que vous souhaiterai-je puisque vous êtes vous-même ? »…
Estimation : 200-250 €


[modification du 15/04 : la seconde vente aux enchères mentionnée initialement dans ce post et concernant des livres de Gide vendus en même temps que des « prises de guerre » m'a fait croire que ces livres faisaient partie de ces « prises de guerre ». Après étude plus approfondie il n'en est rien. La vente elle-même a créé une polémique (voir cet article). Le catalogue est disponible ici. Les lots 96 à 98 concernent Gide.]

vendredi 4 avril 2014

Du côté des ventes aux enchères





Lot 113
Pierre LOÜYS [sic]
Ô altitudes . Poème autographe signée Pierre Sivol .
30 vers accompagnant une lettre à André Gide, s. d. [octobre 1889].
3 pages in-4 à l'encre violette sur un double feuillet de papier vélin vert. Sur une des pages, André Gide a inscrit au crayon le début de La Mort des amants et un extrait Plaintes d'un Icare de Charles Baudelaire. (Déchirures au pli horizontal.)

Précieux poème de jeunesse adressé à André Gide.

Ce précieux poème de jeunesse est signé Pierre Sivol pseudonyme (anagramme de son nom) sous lequel Pierre Louÿs avait songé en novembre 1889 à publier une plaquette de vers, Les Symphonies.

Il date du début de l'amitié entre Pierre Louÿs et André Gide, quand les deux jeunes gens saisis du démon poétique écrivaient et se soumettaient l'un à l'autre leurs premiers vers.

Le mot qui accompagne ce poème est caractéristique de l'esprit de Pierre Louÿs : Ci-dessous un chef-d'œuvre. A la première inspection, tu pourrais peut-être croire que ces vers ne sont pas sérieux. Détrompe-toi : le début est grave et le reste à l'avenant. (...)

Le poème, où l'ironie alterne avec le lyrisme le plus échevelé est à l'image même de ce mot : impossible d'y démêler la part de sérieux qu'il convient de lui accorder.

Ainsi la première strophe est ouvertement parodique : Il montait : ses cheveux flottaient ; l'Alpe était haute / Il montait. Sans souffler au milieu de la côte / Il montait... Il montait toujours... - O profondeur ! / Quand il fut à sept cent quatre vingt mille mètres / Il perdit ses souliers ; à douze cent, ses guêtres : / Le déguenillement dans toute sa hideur !

Mais la dernière résonne d'un accent bien plus sincère : Je viens. C'est moi. J'ai fui les hommes et les choses. / Je ne veux plus que vous et vos voix grandioses / Souffles ! emportez-moi vers le ciel étoilé / Car je veux perdre pied, monter toujours, et vivre, / Le front haut, les yeux morts, éternellement ivre / Flottant dans l'irréel près du Beau contemplé.

Cette lettre-poème a été publiée dans André Gide-Pierre Louÿs-Paul Valéry : Correspondance à trois, sans que les éditeurs aient eu accès au manuscrit. Comme ils le signalent, il manque bien un vers dans la retranscription du poème, que nous donnons ici. C'est l'avant dernier de la troisième strophe : Et si je vois deux bras s'entrouvrir et se tendre .

Estimation : 2 000 € / 3 000 €

Plusieurs autres lots de poèmes manuscrits de Louÿs figurent au catalogue.


Lot 204
Jean COCTEAU
Le Coq et l'arlequin
Notes autour de la musique. Avec un portrait de l'auteur et deux monogrammes par P. Picasso.
Paris, La Sirène, 1918. Collection des Tracts n° 1.
In-16, broché. Couverture grise imprimée en noir illustrée.
Edition originale sur papier d'édition, après 5 chine et 50 hollande.
Exemplaire enrichi d'un envoi autographe signé à l'encre noire sur le faux-titre : A André Gide / Le Piano et le papillon ou LE COQ ET L'ARLEQUIN / son ami, de tout cœur / Jean Cocteau / mai 1919 .

Précieux envoi à André Gide sur le livre qui allait déclencher une polémique entre les deux écrivains.

Cet envoi affectueux prend place juste avant une des nombreuses péripéties qui allaient constamment jalonner l'histoire des relations Gide-Cocteau, nourries d'admiration et d'estime mais aussi d'ironie et de rivalité intellectuelle.

Elles avaient commencé par un abondant échange épistolaire débuté par une lettre admirative de Jean Cocteau en 1912, et plusieurs rencontres amicales.

Mais, peu de temps après la date de cet envoi, elles allaient changer de tournure. Dans le volume, Jean Cocteau avait cité André Gide sans mettre de guillemets, et il fit insérer un papillon dans l'ouvrage : Un oubli de guillemets m'enrichissant d'une phrase dite par ANDRE GIDE : La langue française est un piano sans pédales, je me fais un scrupule de signaler au lecteur cette interpolation involontaire. J.C.

Est-ce simple oubli ou des raisons plus profondes ? Toujours est-il qu'en ce même mois de mai 1919, André Gide allait faire paraître dans la N. R. F. une Lettre ouverte à Jean Cocteau dans laquelle il pointait son incompétence musicale et lui reprochait de feindre de précéder . Jean Cocteau répliqua : Il y a en vous du pasteur et de la Bacchante (Les Ecrits Nouveaux, août 1919).

Estimation : 3 000 € / 4 000 €




Lot 346
Max JACOB
Correspondance autographe avec Raymond Queneau.
Novembre 1934 - Octobre 1943.
19 lettres autographes signées formant 40 pages au total dont 32 au format in-4 et 7 au format in-8. Les lettres sont à l'encre noire sur papier machine au filigrane Extra-Strong ou d'autres papiers. (Papier uniformément jauni pour certaines lettres; marques de pliures sans gravité.)
4 enveloppes autographes conservées. Une lettre est adressée à Janine Queneau, épouse de l'écrivain.

Jointe : carte d'invitation imprimée à une Causerie par Max Jacob intitulée Mes Souvenirs à la galerie Rive Gauche, portant le nom de Raymond Queneau inscrit à la main.
1 poème autographe de 22 vers rimés accompagne la lettre du 16 juillet 1943 et 1 grand dessin original à la plume et encre de Chine (190 x 170 mm) accompagne la lettre du 30 avril 1937, représentant une scène religieuse (trois saints et Marie?). Max Jacob a repris au verso quelques éléments de la composition en transparence.

[...]

Saint-Benoît, 10 décembre 1936 : Sur André Gide : Je ne dis pas qu'on ait tort d'être communiste, je dis que lui a tort de l'être puisqu'il l'est de la façon que son dégoût révèle. Ce grand homme se trompe lui-même comme tous ceux qui agissent par devoirs et non par Devoir. Les devoirs amènent les toquades. Nos grands hommes : Gide, Maurois, etc. me semblent bien petits. Je pense que les vrais ont leurs noms ailleurs que dans les journaux quotidiens. (…) Nous sommes certainement de même avis sur les carnavalesques Goncourt. J'ai assisté à un ou deux jurys dans ma vie (…) C'est une pièce à faire pour Vitrac ou pour toi. (…)

Estimation : 20 000 € / 30 000 €





jeudi 3 avril 2014

Correspondance inédite Jammes - Régnier


Notre ami Pierre Lachasse nous signale la parution prochaine de son édition de la Correspondance inédite entre Henri de Régnier et Francis Jammes aux éditions Garnier. Vous pouvez d'ores et déjà en télécharger le bon de commande ici.

Editeur des correspondances entre Régnier et Viélé-Griffin ou Gide et Blum, Pierre Lachasse est également à l'origine du nouveau volume de la Correspondance Gide - Jammes, enrichi de nombreuses nouvelles lettres, qui va paraître cette année.


Henri de Régnier et Francis Jammes,
Correspondance (1893-1936)
,
Édition de Pierre Lachasse, 
Classques Garnier, 2014,
245 p., 15 x 22 cm,
broché : ISBN 978-2-8124-2586-8, 36 €
relié : ISBN 978-2-8124-2587-5, 68 €

Présentation de l'éditeur :

Henri de Régnier et Francis Jammes
Correspondance (1893-1936)
Édition de Pierre Lachasse


Pour l’aider à diffuser ses vers, Jammes entre en contact avec Régnier avec qui il entretient de 1893 à 1936 une correspondance inédite. Cette édition, qui révèle un Régnier inattendu, attentif à l’œuvre du poète d’Orthez, se complète de dix-sept lettres échangées entre Jammes et Marie de Régnier.

To help him distribute his poetry, Jammes made contact with Régnier, and the pair entered into a hitherto unpublished correspondence which would last from 1893 to 1936. This edition, which reveals an expected side to Régnier, attentive to the work of the poet from Orthez, is complemented by seventeen letters between Jammes and Marie de Régnier.