jeudi 27 juin 2013

De me ipse



« Les textes ici rassemblés, malgré leur apparence hétéroclite, ont en commun d'être des textes préparatoires, ou pour le moins annonciateurs. Ce ne sont pas des brouillons, mais les premiers pas sur le chemin d'œuvres à venir, qu'elles soient clairement envisagées ou simplement pressenties », explique Pierre Masson tout au début de sa présentation de De me ipse et autres textes préparatoires, recueil de textes de Gide en grande partie inédits que viennent de publier les éditions Orizons.

Qu'est-ce que le De me ipse déjà évoqué dans les études de Jean Delay, de Claude Martin, dans la correspondance ou l'an dernier par Peter Schnyder au colloque de Cerisy ? Le titre est assez clair – à propos de moi – et ressuscite un genre ancien comme Gide le fera aussi pour la sotie. De me ipse est le titre d'un chapitre de l'autobiographie de Jérôme Cardan, et potentiellement celui de plusieurs de ceux des Essais de Montaigne... Une observation de soi en mouvement (« Je ne peints pas l'estre, je peints le passage ») et en interaction (« Qui ne vit aucunement à autruy, ne vit guère à soy »).

Commencé vers la vingtième année dans le but d'écrire des mémoires, le dossier De me ipse deviendra d'ailleurs par la suite De me ipse et aliis. Gide continuera à l'alimenter après la rédaction de Si le grain ne meurt tout en nourrissant un autre dossier appelé « Repentirs de Si le grain ne meurt » qu'on retrouve en fin de volume. L'ensemble de ces textes d'un « Gide collectionneur de lui-même » est assorti de plusieurs reproductions de pages manuscrites et de photographies de ceux qu'elles évoquent : Juliette Gide, Madeleine Gide, Pierre Louÿs, Elie Allégret, Paul Laurens...

D'autres Fragments, parus en mars 1893 dans L'Ermitage, et jamais réédités depuis, ouvrent le recueil dans cette volonté de montrer l'auteur en mouvement, muant d'André Walter en narrateur des Nourritures terrestres. Certaines phrases ou parties se retrouveront dans le Journal, ou dans la correspondance, sans qu'on sache toujours très bien dans quel sens se fait la circulation. L'œuvre de Gide et Gide lui-même ne faisant qu'un seul et même organisme en développement permanent. L'artiste devant, selon Gide, « non pas raconter sa vie telle qu'il l'a vécue, mais la vivre telle qu'il la racontera. »

La découverte de la jouissance, les souvenirs sur François de Witt, l'entente avec sa mère ou la ronde des garçons de Biskra montrent aussi que les mémoires sont loin d'être ce récit au fil de la plume annoncé : « L'examen des reliquats du De me ipse, auxquels il conviendrait d'ajouter tous les éléments biffés sur le manuscrit de Si le grain ne meurt, prouve qu'il n'en est rien et que Gide adopta la solution la moins malhonnête à ses yeux : celle de sélectionner les anecdotes qui allaient dans le sens global qu'il voulait donner après coup à son passé », commente Pierre Masson. 


Le recueil donne plusieurs reproductions des pièces de ce 
volumineux dossier comme cette "Découverte de la jouissance (1886)"
 

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