dimanche 29 décembre 2013

Quand Gide se sursature... de reproches

Au seuil de l'année de célébration du centenaire de la publication de Du côté de chez Swann, qui curieusement autant qu'anachroniquement a été celle du refus-du-manuscrit-de-Proust-par-Gide selon le syntagme figé de bêtise, il convenait de faire un petit rappel des faits. Pierre Masson, éditeur de nombreux textes de Gide dont les Romans et Récits dans la Pléiade, et président de l'Association des Amis d'André Gide, éclaire les lanternes (les vessies ?) de ces journalistes toujours aussi mal informés. Merci à lui de nous confier son texte inédit.


Gide et l’affaire Swann


S’il fallait un signe de l’importance qui est encore aujourd’hui accordée à la figure de Gide, on pourrait la chercher du côté des diverses agressions que certains critiques se sentent obligés de lui faire subir, comme si, pour valoriser tel autre écrivain, ils n’avaient pas de meilleur argument que de l’opposer à l’ancien « contemporain capital ». On a vu ainsi, au cours de l’année 2013, féliciter Arthur Cravan pour sa prétendue mystification de Gide, et présenter Pierre Louÿs comme un inévitable détracteur, par un curieux principe de vases communicants :
« On ne se dissimule pas que la revalorisation de l’œuvre et de la personne de Pierre Louÿs […] entraîne ipso facto une certaine réduction de la figure de Gide. » (Luc Dellisse, Le tombeau d’une amitié, Les Impressions Nouvelles, coll. Réflexions faites, Bruxelles, 2013)
S’agissant de Proust et du centenaire de la publication de Du côté de chez Swann, on aurait pu penser que cette œuvre, non seulement consacrée mais désormais sacralisée, s’imposait d’elle-même. Il a fallu cependant, par une illusion rétrospective assez courante, s’étonner qu’une telle œuvre ait pu ne pas obtenir dès son apparition le statut qu’elle possède aujourd’hui, oubliant ce que Proust lui-même avait dit à propos du temps qu’une création originale mettait à créer son propre public. En 1929, Reynaldo Hahn lui-même déclarait à propos de son ami :
« Aucun de nous n’imaginait qu’il deviendrait célèbre… Lorsqu’ils lurent, ou parcoururent, Swann en copie, Marcel Prévost, Schlumberger et le lecteur de Fasquelle pouffèrent de rire. » (R. de Saint Jean, Journal d’un journaliste, Grasset, 1974)
Au lecteur de Fasquelle et à ceux de La NRF, il faut encore ajouter celui d’Ollendorf, le livre de Proust n’étant arrivé chez Grasset qu’après trois refus consécutifs. Mais là encore, Gide servit de repoussoir idéal, au point que l’événement le plus médiatisé de cet anniversaire semble avoir été la vente du brouillon de la lettre d’excuse qu’il adressa à Proust en janvier 1914. Certains journalistes en vinrent même à parler « du centenaire du refus » de Proust par Gide, oubliant que ce refus était antérieur d’un an la parution de Swann chez Grasset. On reparla donc de « la bourde de Gide », avec une évidente satisfaction qui dispensait de s’informer davantage.

Pour connaître les responsabilités engagées dans cette affaire, il convient d’en reprendre les étapes. Et de rappeler qu’en novembre 1912, deux entités distinctes répondent aux initiales de La Nouvelle Revue Française. Il y a d’abord la revue, dirigée par un comité de six membres (Copeau, Drouin, Ghéon, Gide, Ruyters, Schlumberger), et le comptoir d’édition, créé un an après la revue, et qui, sous le nom d’Éditions de La NRF, dirigé par Gaston Gallimard avec Gide et Schlumberger comme co-actionnaires, disposait déjà d’une certaine autonomie. Il ne semble pas que Proust fût informé de cette dyarchie quand, vers le 20 octobre 1912, en quête d’un éditeur, il écrivit à son ami Antoine Bibesco :
« Il me semble que la Revue française serait un milieu plus propre à la maturation, à la dissémination des idées contenues dans mon livre. […] Bref, j’aimerais […] faire paraître, à mes frais, mon livre à la Revue Française. Peux-tu le leur demander ?. » 
Le prince Bibesco, abonné de la première heure de la revue, et ami de Jacques Copeau, dut écrire à celui-ci, qui renvoya alors Proust à Gallimard, comme le fait donne à penser cette réponse de Proust à Copeau du 24 octobre :
« Paraître à La NRF est encore beaucoup plus tentant pour moi depuis que vous m’avez dit que mon lecteur et mon éditeur serait Monsieur Gallimard. »
Et le 2 novembre, il écrit donc à Gaston Gallimard :
« Monsieur Jacques Copeau m’avait dit de vous écrire si je désirais donner suite à un projet de publication à La Nelle Revue Frse. Je suppose qu’il vous en a parlé. »
Et de signaler en même temps ses hésitations à présenter cette demande, dans la mesure où il a déjà proposé son livre à Fasquelle, par l’entremise de ses amis Gaston Calmette et Louis de Robert. Quelques jours plus tard, vers le 6 novembre, il précise qu’il s’agit d’un gros volume de 550 pages, ce qui, d’après ce qui ressort des lettres suivantes, ne va pas effrayer Gallimard. Proust annonce alors, vers le 9, l’envoi de la dactylo de son livre, avec cette précision un peu inquiétante :
« Elle n’est pas conforme au texte véritable, mais enfin elle vous donnera une idée exacte. C’est seulement un peu amélioré depuis. »
C’est à peu près à la même date que lui vient l’idée de proposer à la Revue des extraits de son livre, écrivant à Copeau pour lui annoncer l’envoi « de pages inédites, extraites de mon prochain livre, et que je souhaiterais beaucoup voir paraître dans votre Revue. […] Ne vous effrayez pas trop du nombre de pages, car il y a beaucoup de parties rayées. D’ailleurs à partir de la page 40 ou même avant, le texte est rempli de fautes, parce que M. Gallimard a le seul texte exact sur lequel j’aurais pu corriger celui-ci. […] Si ces extraits paraissent, comme ils sont pris çà et là dans le volume, reproduisant des parties qui n’y figurent plus, en omettant d’autres qui y figurent, ils pourraient en donner une idée très fausse, il serait bon que votre Revue les fît précéder de 2 lignes d’explications que nous arrêterions en commun accord. »

On peut, ici, imaginer deux types de recul: celui de Gallimard, qui pouvait s’agacer de ce qui semblait une sorte de chantage, Proust lui demandant de se prononcer favorablement pour son livre, arguant que Fasquelle était prêt à l’accepter, et qu’il ne pouvait se dédire vis-à-vis de celui-ci sans avoir d’abord l’assurance d’être accepté par Gallimard. À quoi s’ajoutait l’offre par Proust de prendre les frais d’édition à sa charge, ce qui, pour des amoureux de l’art et gens fortunés de surcroit, comme Gallimard et ses amis l’étaient, ne pouvait constituer un argument.

Celui du comité de la Revue, plus encore, à qui l’on proposait de déroger à ses habitudes en publiant les extraits d’un roman à paraître, alors que jusque là les Gide, Larbaud, Bachelin ou Ghéon en donnaient l’intégralité. Et surtout, d’avoir à prendre en charge un texte « rempli de fautes », décousu, et nécessitant donc un long travail de mise en forme. Et pour ne rien simplifier, Proust ajoutait des exigences de temps, demandant que ces extraits figurent dans le numéro de février au plus tard, afin qu’ils ne risquent pas de paraître après le volume…

Avant même de savoir qui lut le texte de Proust, on peut au moins poser qu’il y avait en fait deux textes, et qu’aucun ne correspondait à celui que nous connaissons aujourd’hui. Celui qui fut transmis à Gallimard allait faire l’objet de modifications considérables. Le 12 avril 1913, Proust écrit à Jean-Louis Vaudoyer :
« Il ne reste pas une ligne sur vingt du texte primitif (remplacé d’ailleurs par un autre). Il est rayé, corrigé dans toutes les parties blanches que je peux trouver, et je colle des papiers en haut, en bas, à droite, à gauche, etc. »
Quant à ce que les directeurs de la revue eurent entre les mains, on peut dire qu’il était encore plus éloigné du texte définitif. Le 6 septembre 1916, parlant à Gaston Gallimard de la préparation des tomes suivants, et évoquant les corrections et amendements qu’il y apportait, Proust s’en amusait :
« Il y en avait tellement pour le premier volume que je me rappelle que Copeau en voyant mes épreuves (pas celles de La NRF, celles de Grasset) m’avait dit : Mais c’est un autre livre ! »
Cette révélation nous ramène donc aussitôt à la question : qui fut le lecteur des extraits de Du côté de chez Swann ? La lettre de Proust met en cause directement Jacques Copeau, qui exerçait alors les fonctions de directeur en titre de la revue, et que justement, à un auteur qui n’est malheureusement pas désigné, Jean Schlumberger chargeait de répondre , le 22 novembre 1912 :
« que je ne suis plus directeur et qu’en vous passant les pouvoirs j’ai dû vous laisser toute liberté. » (lettre inédite).
À cette date, nous sommes précisément à la fin de la période cruciale où le livre de Proust fut examiné, puis refusé. Les dates nous sont fournies par le Journal de Jean Schlumberger, ce qui semble du coup le désigner comme principal responsable :
« 14 novembre [1912]. Commencé lecture d’un manuscrit de Proust. » […] « 21 novembre. Passé Villa Montmorency. […] Décidément on refuse le Proust. » (Jean Schlumberger, Notes sur la vie littéraire)
Si la Villa Montmorency implique Gide, dont le domicile servait souvent de lieu de réunion à l’équipe de direction de « sa » revue, le « on » reste assez vague pour faire supposer une décision collective. Malheureusement, dans les échanges et les journaux de ses membres, Proust brille par son absence. Gide travaille aux Caves du Vatican, dont il donne lecture à Ghéon ; Copeau travaille à La Maison natale, et Gide va passer la journée du 15 chez lui pour l’écouter. Gide travaille beaucoup l’anglais (leçons particulières, lectures de Milton et de Keats) ; avec Eugène Rouart, il parle de placements financiers. Quelques jours avant la réunion du 21, Schlumberger, qui a lui aussi une pièce en cours, fait un saut à Lausanne pour une opération de son fils ; dans le train, où il lit peut-être Proust, il n’écrit à Copeau qu’à propos de la rémunération des contributeurs de la revue. Le samedi 16, presque tout le monde s’est croisé aux bureaux de La NRF : Gide y retrouve Copeau et Rivière, puis Schlumberger avec qui il parle de Conrad qu’il est question d’éditer ; Ghéon les rejoint ; Gide va à la Sorbonne avec Schlumberger pour se renseigner sur des cours d’anglais ; plus tard, Marcel Drouin les retrouve à la Revue. Le 21, jours du refus, Gide ne consigne que des réflexions sur Rouart, et qu’après « un travail assez bon », il est allé chez Paul Desjardins, avant d’aller dîner chez André Ruyters, revenu de la banque où il travaille, et avec qui il cause d’affaires toute la soirée.

Proust est ainsi tragiquement absent de toutes leurs préoccupations, et l’on mesure le peu d’importance qu’on lui accordait au sein de La NRF à l’absence de débats accompagnant son refus. « Décidément », écrit Schlumberger, ce qui sous-entend que la chose était courue d’avance. Mais il semble aussi qu’ « on » fut plusieurs à le lui faire savoir, quand Proust parle, un an plus tard, des « refus répétés de La NRF ». Mais il faut comprendre qu’ici il continue de confondre les deux entités déjà désignées et que, quand il parle de ses « absurdes démarches auprès de M. Gallimard » et des « coups de téléphone auxquels on ne répondait pas », il pense au refus relatif à son livre.

La chronologie du ou des refus reste difficile à établir. Mi décembre (le 16 ou le 23), Proust en est encore à demander des nouvelles à Gallimard, et à s’étonner de son silence. On ne peut guère croire que le refus de la revue, énoncé un mois plus tôt, ne lui ait pas déjà été communiqué. Dans ses lettres, il ne parle pas du second, et il n’évoque le premier qu’en le présentant comme un retrait volontaire de sa part, ce qui n’est pas sans poser question.

En admettant tout de même que Gallimard ait bien finit par répondre négativement, une autre question se pose encore : prit-il cette décision seul, ou sous l’influence du jugement du comité de la revue, ou encore de conserve avec ses deux associés qu’étaient Gide et Schlumberger ? En l’absence de la correspondance de Gide avec Gallimard, toujours maintenue au secret, on doit suspendre la réponse ; au moins voit-on, au terme de cette rétrospective, que dans cette malheureuse aventure, bien des responsabilités furent engagées, y compris celle de l’auteur lui-même.

Pourtant, si Gide est devenu, aux yeux de la postérité, le principal responsable de cette erreur d’appréciation, c’est d’abord parce qu’il s’est présenté comme tel devant l’intéressé. Le 11 janvier, il écrit à Proust :
« Le refus de ce livre restera la plus grave erreur de La NRF, (car j’ai cette honte d’en être beaucoup responsable) l’un des regrets, des remords les plus cuisants de ma vie. »
Gide avait d’abord écrit « en grande partie » ; on peut penser que « beaucoup » est un peu moins catégorique. Mais de toute façon, au lieu de s’abriter derrière le comité de lecture, il se présente ici comme le principal fautif. En 1949, dans ses entretiens avec Jean Amrouche, il sera plus nuancé, déclarant :
« Le manuscrit avait été refusé par La NRF, beaucoup par ma faute et par celle de Jean Schlumberger. »
Dans l’acte de contrition de 1914, on peut, comme Auguste Anglès, trouver une nouvelle manifestation de son goût pour l’auto-accusation (« J’écris pour que l’on m’accuse », écrit Gide dans ses Mémoires). Cependant, il pouvait entrer là une part de stratégie qu’on peut tenter d’éclaircir.

D’abord, tactiquement, il s’agissait de donner à sa démarche le maximum d’efficacité. Si Gide avait déjà en tête la proposition qu’il allait faire deux mois plus tard à Proust, de le faire venir à La NRF, à la fois pour le publier dans la Revue, et pour éditer la suite de la Recherche, il valait mieux traiter de puissance à puissance. De tous ses amis, il était le seul auteur véritablement reconnu, non pas célèbre, mais considéré, depuis La Porté étroite, comme l’une des valeurs sûres de la nouvelle génération d’écrivains. Il pouvait même y avoir une certaine vanité à se présenter, même dans la défaite, comme le chef véritable, lui qui tenait par-dessus tout à être un homme d’influence.

D’autre part, il entrait certainement, à l’origine de cette démarche, la conviction que Proust était l’écrivain que La NRF se devait d’attirer, tout comme, dans la décennie précédente, elle avait attiré Claudel et Saint-John Perse. L’année 1913 était celle d’un renouveau manifesté par la parution d’œuvres comme Le Grand Meaulnes et Barnabooth. Surtout, en janvier 1914 commençait la parution des Caves du Vatican, œuvre résolument moderniste, à l’ironie agressive ; Gide, depuis la création de La NRF, pratiquait une savante politique d’équilibre, écrivant par exemple en 1909 à Ghéon qu’en donnant La Porte étroite, « ce roman ultra-moral, calant la Revue pour l’avenir », il lui permettait de donner plus tard son Adolescent qui s’annonçait beaucoup moins conformiste. Aux Caves, le classicisme apparent de Swann ferait également un contrepoids rassurant. Par surcroît, il n’est pas impossible qu’il ait senti, dans Combray, la première partie de Swann, un texte l’« autorisant » à son tour à envisager le récit de son enfance, tel qu’il allait le commencer deux ans plus tard dans Si le grain ne meurt.

Enfin, il y avait eu, au moment de la parution de Swann, en novembre 1913, une certaine fébrilité à laquelle Cocteau n’avait pas été étranger. Au cours du mois, après une rencontre avec Gide, il lui écrit :
« Que de choses à dire à propos du « goût » et du volume de M.P. Mais j’étais ému de votre présence et sans facilité verbale. »
De son côté, le 1er janvier était paru sous la plume de Ghéon un compte rendu injuste et dédaigneux, auquel Proust avait répondu longuement dès le lendemain, Ghéon répondant en battant en retraite, s’attirant le 6 une nouvelle lettre de Proust. Ce remue-ménage eut sans doute des répercussions au sein de l’équipe. On voit ainsi Rivière, en train, lire le roman de Proust dans la nuit du 4 au 5, et le 8, Gide écrit à Bernard Grasset pour lui demander s’il reste quelques exemplaires sur Hollande. Après l’agression de Ghéon, il s’agissait de faire vite s’il voulait attirer un jour Proust à La NRF. En mars, il lui en ferait la proposition officielle, et le 9 avril, Rivière écrira à Gallimard que « plus tard, ce sera un honneur d’avoir publié Proust ».

Il suffit donc d’une lecture très partielle de Swann pour que Gide se décide. A-t-il attendu l’exemplaire sur Hollande, ou s’en était-il procuré un autre ? Toujours est-il que le 11 janvier, il passe à l’action. Il avoue à Proust qu’il lui écrit sans avoir achevé la lecture du livre ; toutefois, l’allusion au « côté de chez Verdurin » prouve qu’il avait au moins abordé la deuxième partie. Ce qui fait question, c’est la partie supprimée de sa justification. Il invoque la lecture au hasard d’ « un seul des cahiers » du livre, où ses yeux étaient tombés sur « la tasse de camomille de la p. 62 » et p. 64 sur le « front où des vertèbres transparaissent ». Il est un peu étonnant que Gide ait à la fois si bonne et si mauvaise mémoire : d’un côté, il écrit camomille à la place du tilleul évoqué dans un texte qu’il vient tout juste de lire, d’un autre côté il est capable, à plus d’un an de distance, de se souvenir du détail qui l’avait choqué – on ne sait pas trop en quoi – et de le retrouver dans l’édition imprimée. Quant aux fameuses vertèbres, on sait que, quelle que soit la cause cette bizarrerie, Gide avait raison de s’en offusquer. Mais on peut globalement se demander si Gide ne rassemble pas là, après coup, deux arguments improvisés. La facilité avec laquelle il y renonce finalement en est peut-être l’aveu.

Il faut dire qu’au moment où l’on se déclare amoureux d’un livre, il serait mesquin d’invoquer ces broutilles. Plutôt avouer un préjugé, en partie fondé, puisqu’aussi bien s’il est un qualificatif que Proust ne saurait renier, c’est celui de « mondain », dont Ghéon avait justement tiré argument pour récuser son roman. Et c’est en ces termes qu’au micro de Jean Amrouche, Gide racontera cet épisode, sans plus invoquer ni camomille, ni vertèbres :
« Ayant eu entre les mains le manuscrit, je ne fis que l’entrouvrir, j’en lus quelques phrases, je revis encore le personnage mondain que j’avais rencontré dans les salons de Mme Baignères, je crois, et je pensais que c’était entre toutes choses ce qu’il fallait repousser de La NRF, c’est-à-dire je voyais dans Proust l’ami de Madeleine Lemaire, l’admirateur d’Anatole France — je voyais l’ennemi. Je me trompais du tout au tout, et je fis amende honorable très peu de temps ensuite. »
S’il manque encore des pièces à ce dossier, il permet de poser au moins deux certitudes : la première, que l’erreur de Gide, partagée par plusieurs de ses amis, relève de la méprise et du préjugé social, beaucoup plus que d’un manque de clairvoyance intellectuelle, comme ce fut le cas, par exemple, pour Sainte-Beuve à l’égard de Stendhal. La seconde, que la fortune littéraire de Proust n’aurait peut-être pas été aussi rapidement éclatante si, plaçant l’amour de l’art au-dessus de l’amour propre, Gide n’était pas intervenu pour le ramener dans la maison où il avait d’abord frappé en vain.

Pierre Masson

mercredi 25 décembre 2013

365


Un document par jour pendant toute une année : c'est ce qu'offre la page des ressources en ligne avec désormais 365 liens dont 306 en français. Le dernier ajout de 14 liens vers des documents en français et 1 lien vers une thèse en portugais comprend :

MASSON Pierre : André Gide et Christian Beck : deux écrivains en quête d’idéal
DUBOILE Christophe : André Ruyters, lecteur des Nourritures terrestres
ARON Paul : Quelques sources historiques et littéraires du Cocu magnifique
HĂRȘAN Ramona : André Gide : La Morale de l’Immoraliste
COLLECTIF : Les mythes antiques dans la littérature contemporaine
ARAUJO LOPES Renata : Da Arcádia a Paris: leituras de estórias, estórias de leituras
BOULIANE Claudia : Le démonisme d'André Gide : le pouvoir de l'induction
VUCELJ Nerminn : La réception d'André Gide en Yougoslavie
GEIEROVÁ Marie : Le jeu entre la réalité et la fiction dans Les caves du Vatican et dans Les Faux-Monnayeurs d'André Gide
GALLON Stéphane : La fissure étroite de la première phrase des Faux-Monnayeurs de Gide
VALLIN Marjolaine : La phrase d’André Gide dans Les Faux-Monnayeurs
CHAUDIER Stéphane et JULY Joël : La phrase ironique dans Les Faux-Monnayeurs
KIVI Maiju : L’analyse des éléments du futur Nouveau Roman dans Les Faux-Monnayeurs d’André Gide
KIRAN Ayşe Eziler : Du dialogisme à la polyphonie dans Les Faux-Monnayeurs
‎NICULESCU Amalia : Le renouvellement du roman dans Les Faux-monnayeurs et Les Caves du Vatican d'André Gide

Au terme de cette année il faut aussi constater le déplacement d'une bonne partie de l'activité du blog vers Facebook. A peine 80 billets ici en 2013 contre 93 en 2012 et 139 en 2011. Mais près de 900 notes uniquement en 2013 du côté du groupe Facebook, à raison de deux ou trois par jour. Le groupe (privé, seuls les membres ont accès à ce qui y est échangé) compte actuellement 152 membres. Après inscription à Facebook, il suffit de faire la demande pour nous rejoindre.

Une fameuse boulette



— Je tiens de Claudel une anecdote que vous lui aviez rapportée vous-même, il y a une quarantaine d'années. Le héros en aurait été l'un de vos amis protestants qui, si torturé de ne pouvoir se libérer de ses fautes, les avait rédigées sur un bout de papier, avait fait une boulette de ce papier et l'avait avalée. Claudel m'a affirmé que vous aviez reconnu que ce protestant avait voulu singer à la fois la confession et la communion catholiques. Il a ajouté : « Gide m'a dit que c'était un de ses amis, mais je crois bien que c'était lui. Il n'a pas osé me l'avouer... »
Gide haussa les épaules, sans pourtant protester contre ce qu'il avait envie d'appeler l'invention de Claudel.
— C'est tout ce qu'il vous a dit à propos de la confession ?
— Non, mais...
— Je vous en prie, ne soyez pas si timoré vis-à-vis de moi !
— Eh bien, Claudel a ri et il a dit : « Il a fait une fameuse boulette avec son Journal... mais c'est nous qui devons l'avaler ! »
Gide aurait pu rire, lui aussi, mais il se contracta et, haussant de nouveau les épaules : « Quel esprit de commis-voyageur ! »

(Robert Mallet, Une mort ambiguë,
NRF, Gallimard, 1955, pp. 18-19)

samedi 21 décembre 2013

Le Tertre, une maison d'illustre


 Le Tertre, Serigny, Orne

Les « Maisons des Illustres » sont désormais à peu près deux-cents. Et parmi les récentes attributions du label du ministère de la culture et de la communication, nous avons été très heureux d'apprendre que Le Tertre était devenu l'une de ces « Maisons des Illustres ». Bravo à Véronique de Coppet, petite-fille de Roger Martin du Gard, qui gère la maison et son parc avec l'aide de ses trois filles. Fidèlement au souhait de l'écrivain : « Le Tertre, tel qu'il ressortira de mes mains, sera incontestablement une œuvre. Une de mes œuvres. » (Journal, nov. 1924)

Une œuvre propice à la création et à l'amitié : « Je ne puis m'empêcher d'y situer tous les rêves d'avenir. Je voudrais créer là une œuvre d'art complète ; je puis le faire, je puis parachever l'enchantement, l'harmonie naturelle de ce lieu. J'aimerais, avant de mourir, avoir pu utiliser les dons que j'ai pour faire là un ensemble unique, et en faire profiter ceux qui m'entourent. Je rêve d'une hospitalité ouverte à tous mes amis, dans ce cadre inoubliable. » (14 juillet 1921)


 Un article sur l'attribution du label
dans Normandie passion, n°64, décembre 2013
(cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Une autre bonne nouvelle concernant Roger Martin du Gard est l'annonce de représentations prochaines de sa Confidence africaine :


 La Confidence africaine au Lucernaire (Photo Régis Nardoux)


Confidence africaine, nouvelle à deux voix de Roger Martin du Gard dans une mise en scène Jean-Claude Berutti et avec Jean-Claude Berutti / Philippe Faure (en alternance) et Christian Crahay. Du 8 janvier au 1er mars au Théâtre du Lucernaire. Plus d'informations.

vendredi 20 décembre 2013

Le pupitre d'enfant de Gide à voir à Rouen






 Un don d'objets et manuscrits vient enrichir 
le fonds Gide de la bibliothèque de Rouen


Jusqu’au mardi 31 décembre la Bibliothèque Villon à Rouen présente le dernier don venu enrichir ses collections. Philippe Monart, bibliophile et amateur d’art, vient d’offrir à la ville de Rouen un ensemble de 92 pièces concernant André Gide : livres, autographes, mais aussi son pupitre d'enfant.

Après Gustave Flaubert et Guy de Maupassant pour le XIXe siècle, la Ville de Rouen souhaitait mettre à disposition du grand public et des chercheurs, un auteur majeur de la littérature française du XXe siècle. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, elle s’attache à constituer un fonds de référence sur André Gide pour lequel elle a déjà acquis la bibliothèque de travail, diverses correspondances (la famille ou des amis), des éditions originales, ainsi que des manuscrits d’oeuvres.

Visite libre aux horaires d’ouverture de la bibliothèque : mardi, jeudi et vendredi de 13h à 18h, mercredi et samedi de 10h à 18h.

3, rue Jacques-Villon
76 043 Rouen


 Le pupitre d'enfant de Gide
est à voir jusqu'au 31 décembre

dimanche 15 décembre 2013

Jammes - Gide : une correspondance enrichie et corrigée


La Correspondance Jammes-Gide
éditée en 1948 par Robert Mallet

De 280 lettres (plus deux en appendice qui avaient parues dans la revue belge Le Spectateur catholique en septembre et octobre 1897) la Correspondance Jammes Gide passe à 554 lettres dans la nouvelle édition publiée l'an prochain par Pierre Masson et Pierre Lachasse. Samedi 16 novembre lors de l'assemblée générale des Amis d'André Gide, Pierre Lachasse a levé un coin du voile sur cette édition très attendue.

« La Correspondance qui paraîtra en 2014 compte désormais 554 lettres : 260 lettres de Gide, 283 de Jammes, 4 de Madeleine, 4 de Ginette Jammes (l'épouse) et 3 d'Anna Jammes (la mère). Pour être encore plus précis : 257 de Gide à Jammes et 268 de Jammes à Gide (plus 3 adressées à Madeleine et à André ensemble). A celles qui se trouvent à la bibliothèque Doucet s'ajoutent notamment celles détenues par le fonds des assureurs et déposées à la Bibliothèque Nationale, qui contient 138 lettres de Gide » explique Pierre Lachasse.

Beaucoup de ces lettres de Gide avaient été vendues par la famille Jammes depuis la parution de la Correspondance par Robert Mallet et le retour aux manuscrits permet de corriger de nombreuses erreurs. « La version de Mallet est souvent erronée, lacunaire. Des paragraphes manquent, des noms propres sont confondus comme Fontaine et Fontainas. C'est le premier apport de cette nouvelle édition : un texte le plus exempt de bévues possible. »

Quant aux coupes : « Mallet l'explique dans son introduction : le choix est celui de Gide. Ce dernier s'en ouvre à Mallet dans une lettre du 18 octobre 45 : Gide est souvent consterné par la niaiserie, l'insignifiance et la médiocrité de certaines lettres et demande dès le début du projet de faire un choix très restreint des meilleures lettres, celles du début de leur amitié. Mallet dira sa répugnance dans l'introduction tout en appréciant les scrupules de Gide. »

« Il faut noter qu'il s'agit en 1948 de la première correspondance bilatérale de Gide qui est publiée et qu'à cette époque on n'envisageait pas la publication de correspondances de la même manière. Aujourd'hui nous publions en intégralité, nous ne sommes plus à la recherche de portraits de contemporains, nous n'avons plus de réserves à avoir vis-à-vis de personnes encore vivantes. Il y a une poétique de la correspondance à laquelle Mallet n'était pas sensible. L'éthique, la morale, la religion dominaient. »

Autre apport : la correction et l'ajout de dates. Gide raconte dans Si le grain ne meurt comment Yvonne Davet avait séparé les enveloppes des lettres, ce qui avait brouillé les repères chronologiques de la première édition. « En mettant la main sur les enveloppes nous avons pu dater toutes celles qui ne l'étaient pas. D'autres dates ont été corrigées à partir des références citées dans les lettres, même si ce n'est pas une édition parfaite, des secteurs restant très difficile à dater », ajoute encore Pierre Lachasse.

Est-ce que ces ajouts et corrections changent fondamentalement l'idée que l'on peut se faire des liens entre Gide et Jammes ? « Les rapports ne changent pas mais on lit un autre livre », assure Pierre Lachasse. Une correspondance d'autant plus importante dans cette pureté retrouvée qu'elle est « la norme entre les deux écrivains, tandis que la rencontre demeure l'exception ». Qu'on en juge :

Pendant 17 ans, de leur rencontre en 1893 à leur brouille en 1910, Jammes et Gide vont se voir 12 fois dont seulement 3 fois longuement : à Biskra en avril 1896, à La Roque en 1898 et à Paris en 1900. Leur dernière rencontre aura lieu en 1909 chez Gide à la Villa Montmorency.

Une rupture que cette correspondance éclaire également : « La brouille n'est pas religieuse*. D'ailleurs Jammes garde des amitiés avec des agnostiques comme Fontaine ou Régnier. Elle repose plutôt sur un malentendu qui existe dès le début entre eux : Jammes pense que Gide est un poète biblique. Il sera détrompé par les Nourritures qui brisent les liens, puis par L'Immoraliste qui est un livre nietzschéen selon Jammes, qui n'a jamais lu une ligne de Nietzsche**. »

« Ils s'emprisonnent l'un et l'autre dans des personnages qui sont de véritables créations littéraires, le « pâtre des berges » et le « faune au doux chalumeau ». C'est ce qui fait de leur correspondance une construction littéraire, une œuvre écrite à deux. C'est aussi une grille de lecture pour relire les autres correspondances de Gide », conclut Pierre Lachasse.

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* A la lecture de ce texte, Pierre Lachasse me fait la remarque suivante, que je me permets de partager ici tant elle est intéressante pour mieux comprendre ce nouvel éclairage apporté par cette correspondance : « J'ai souhaité minimiser le désaccord religieux bien connu, bien que celui-ci soit réel, parce qu'il tend à masquer le heurt des personnalités. Leur amitié est une construction de l'imaginaire autant qu'un besoin de leurs personnalités. D'où les figures du pâtre et du faune où leur amitié se déploie tant que la réalité ne la brise pas en imposant sa loi. Il est frappant de voir que Jammes reste très lié à Régnier et surtout à Fontaine malgré la différence de leur philosophie de la vie. »

** Autre précision utile de Pierre Lachasse : « Leur rupture est lente à se constituer. J'ai observé trois fissures successives : avec les Nourritures terrestres dont l'apologie du dénuement (qu'il comprend mal) choque Jammes, avec L'Immoraliste dont le nietzchéisme (qu'il connaît un peu, mais fort mal) lui fait peur et enfin, après sa conversion, quand il veut écrire un article sur Gide et qu'il se rend compte qu'il s'était construit un Gide de toute pièce, largement fictif, poète biblique et chantre du Christianisme. La Porte étroite fait un temps illusion, puis la vérité apparaît définitivement avec les Caves. Concrètement, la rupture se produit début janvier 1910 avec le refus par Gide de l'article de Jammes sur Philippe pour le numéro d'hommage de la NRF. »

samedi 23 novembre 2013

Assemblée générale de l'AAAG


Les Amis d'André Gide étaient réunis samedi de la semaine dernière à l'Ecole Alsacienne où ils ont tenu comme chaque année leur assemblée générale. Pierre Masson, président de l'association, a tout d'abord rappelé combien la disparition de Catherine Gide avait touché chacun. Sa Fondation poursuit son œuvre et permet à la recherche gidienne de continuer.

Claude Martin, qui pendant 40 ans a composé le BAAG et veillé sur ses parutions, vient de passer le flambeau à Pierre Masson. Autre passage de témoin : celui de Jean Claude, trésorier de l'association pendant 21 ans, qui a présenté son dernier rapport financier à l'occasion de cette assemblée générale. Jean-Pierre Prévost lui succède.

Sur le plan de l'actualité d'André Gide, Pierre Masson rappelait les parutions qui ont marqué 2013 (tome 2 de la biographie de F. Lestringant, De me ipse, livres sur les Faux monnayeurs accompagnant leur présence à l'agrégation...). « Mais difficile de lutter contre les centenaires des poids-lourds comme Camus, ou Proust et la parution du premier tome de la Recherche », note Pierre Masson.

On ne peut que partager la suite du commentaire du président de l'AAAG : « Si Gide a été présent, c'est en tant que figure du « repoussoir capital ». Quand on a besoin de célébrer un auteur, comme Louÿs dans un livre récent, il est utile de s'adosser à la critique de Gide. Sans parler du « refus du manuscrit » de Du côté de chez Swann, tarte à la crème des journalistes mal informés... » Une façon d'être toujours, sinon sur le devant de la scène, du moins dans la coulisse...

En 2014 les parutions se poursuivent, nombreuses et variées. Parmi toutes celles déjà attendues, il faut bien évidemment citer la nouvelle édition de la Correspondance Gide-Jammes. Pierre Lachasse a présenté en avant-première une partie du travail effectué avec Pierre Masson autour de cette correspondance qui comprend quasiment deux fois plus de lettres que la première édition de Robert Mallet en 1948 : cette présentation fera l'objet d'un billet à part prochainement ici même...

« Les » Corydon

En attendant et dès le mois de décembre prochain paraîtront Les Corydon d'André Gide, ensemble de textes présentés par Alain Goulet. Avec notamment une reproduction de l'originel C. R. D. N. de 1911 que bien peu ont pu consulter. Dans ce livre Alain Goulet recense les caractéristiques des cinq éditions du texte (dont la dernière a paru dans la Pléiade en 2009) et fait le recensement de la réception critique entre 1924 et 1926.
Mais il verse aussi le contenu d'une enveloppe que lui avait remis Catherine Gide en 2009 : le « dossier Corydon ». Parmi ces documents, les nombreuses lettres reçues par Gide après la lecture de Corydon. « Ce livre est le complément du texte paru dans la Pléiade en 2009 et montrera l'action extraordinaire de Corydon sur un milieu spécifique. Ça a sauvé des vies et ces lettres en témoignent », assure notre ami Alain Goulet.

Centenaire des Caves

2014 sera l'année du centenaire de la parution des Caves du Vatican. En janvier une session du congrès de la MLA sera consacrée à cette sotie gidienne, Pierre Masson donnera une conférence en Floride courant mars, Jean-Michel Wittmann, Alain Goulet et d'autres verseront de nouveaux articles dans le BAAG spécial Caves de l'automne 2014... Mais surtout l'Édition génétique des « Caves du Vatican », éditée par Alain Goulet en 2002 et dont le cd-rom était devenu obsolète sera mise en ligne et accessible gratuitement.

BAAG et boni

Le BAAG de printemps proposera quant à lui, entre autres, un dossier rassemblé par Jean Claude sur les échanges entre Gide et Walter Rathenau. « Un « bonus » des BAAG pourrait aussi être envisagé chaque année pour permettre de rééditer des textes anciens, devenus introuvables, ou d'anciens numéro du BAAG épuisés », suggère Pierre Masson.

Parutions

D'autres parutions sont attendues l'année prochaine : un recueil bilingue anglais-français sur « Gide dans le monde anglo-saxon » préparé par Martine Sagaert et Justine Legrand, un album sur les Décades de Pontigny réalisé par Pierre Masson et Jean-Pierre Prévost... D'autres pistes sont à l'étude pour des horizons plus lointains : la correspondance Gide-Laurens, la correspondance Gide-Petite Dame ou un volume reprenant les textes du « Gide politique »...

Manifestations

Côté rencontres et expositions, notons la présence de Jean-Pierre Prévost à la fête du livre de Roquebrune avec son superbe album Roquebrune, oasis artistique, et du même, l'installation de l'exposition Gide-Malraux à partir du 17 décembre à la mairie du 18e arrondissement de Paris. Autre bonne nouvelle : l'AAAG et ses publications participeront au prochain Salon de la Revue à Paris aux côtés de la Société Jean Malaquais.
 

Envoi et lettre à Maurice Chevalier


Le 9 décembre, des souvenirs de Maurice Chevalier seront dispersés à l'Hôtel Drouot. Ils proviennent de sa maison de Marnes-la-Coquette que Le Figaro a pu visiter. Dans la bibliothèque, les Œuvres complètes d'André Gide avec un envoi au chanteur :




Lot 36 : GIDE André. - Œuvres complètes, NRF, 1939, Paris ; 15 forts vol. grand in-8 demi-maroquin bleu à coins, têtes dorées, dos à nerfs, couvertures et dos (Reine-Aimée).
Première édition collective en partie originale (nombreux fragments inédits) publiée par Louis Martin-Chauffier.
Papier vergé chiffon de Bruges filigrané à la Gerbe (n° 353).
DÉDICACE AUTOGRAPHE SUR LE FAUX-TITRE DU TOME I : « à Maurice Chevalier Merci ! pour cette charmante occasion que vous m’offrez d’inscrire mon nom près du vôtre en témoignage de vive et subite sympathie André Gide Saint-Paul de Vence, 8 juin 1949 .»
Estimation : 1000-1500 euros



Notre ami Akio Yoshii nous signale par ailleurs une lettre de Gide à Maurice Chevalier datée du 3 octobre 1946 et insérée dans un exemplaire du Journal 1939-1942 (1946) provenant lui aussi de la bibliothèque de Maurice Chevalier. Gide s'excuse auprès du chanteur de ne l'avoir pas reconnu lors d'une récente rencontre, gaffe qu'il commettait souvent...

mercredi 6 novembre 2013

Enquête de Latinité


Après la page de cette curieuse revue Errata, Julien Mannoni a partagé sur Facebook une autre de ses trouvailles : le questionnaire de « l'Enquête sur André Gide » menée en 1931 par Latinité - La revue des pays d'Occident, et portant la signature autographe de Jacques Reynaud et Jacques-Victor de Laprade. Rappelons que cette « enquête » à charge est disponible dans les archives de Gidiana.


Questionnaire de l'enquête sur A. Gide, Latinité, 1930
source : Julien Mannoni
(cliquer pour agrandir)

Sur les lettres de Christian Beck


Notre ami Akio Yoshii nous signale une lettre de Gide qui passera le 16 novembre 2013 lors de la vente Biblioroom - Alain et Evelyne Morel de Westgaver à Bruxelles. Daté du 10 octobre 1923 à Cuverville, ce billet répond à une demande pour publier les lettres de Christian Beck reçues par Gide.


"10 Oct. 1923                                          Cuverville
par Criquetot l'Esneval
Seine Inférieure
Monsieur,

Je trouve votre lettre en rentrant en France. Est-il trop tard ? où dois-je vous envoyer les quelques fragments intéressants des lettres (1) de Christian Beck que j'espère retrouver à mon prochain passage à Paris ? Jusqu'à quelle date ?
Croyez à mes sentiments bien cordiaux.
André Gide

(1) Je crois me souvenir d'en avoir reçu de très curieuses (dans le meilleur sens du mot)."





La relation entre Gide et Beck nous donne l'occasion d'anticiper sur la prochaine mise à jour des ressources en ligne qui comportera entre autres l'article de Pierre Masson intitulé « André Gide et Christian Beck : deux écrivains en quête d’idéal » parue dans la revue Textyles n°13 (1996) désormais disponible en ligne. Pierre Masson est aussi l'éditeur de la Correspondance Christian Beck - André Gide parue en 1994 chez Droz à Genève, avec une préface de Béatrix Beck.

mardi 5 novembre 2013

Villa Montmorency





Villa Montmorency, cliché anonyme


Voir aussi ces autres billets sur la maison construite entre 1904 et 1907 pour André Gide.


samedi 2 novembre 2013

Vente Sotheby's du 26 novembre


En cette année du centenaire de la publication de Du côté de chez Swann, le timing est parfait pour la vente du brouillon de la lettre d'explication-confession de Gide à Proust sur le refus de son manuscrit par la NRF. La presse a beaucoup relayé l'annonce que nous avions faite ici même de cette très belle vente Sotheby's qui aura lieu le 26 novembre à Paris. Ce n'est pas le seul lot qui mérite d'être signalé :


Lot 111

Gide, André

ENSEMBLE DE 3 OUVRAGES AVEC ENVOIS.
Les Cahiers d'André Walter. Œuvre posthume. Paris, Librairie de l'Art indépendant, 1891.
Edition de luxe, la première mise dans le commerce. Petit in-12 (157 x 16 mm). Un des 125 exemplaires sur vélin, n° 187, paraphé A.W. (pour André Walter). Envoi autographe signé à Charles-Louis Philippe : "son ami certainement. André Gide. Février 99". L'édition originale de cet ouvrage, imprimée la même année, fut presque entièrement détruite sur ordre de Gide lui-même. Un des rares exemplaires rescapés atterrit entre les mains de Maurice Barrès qui fit faire rapidement à Gide son entrée dans le monde littéraire, en le présentant notamment à Mallarmé.
Charles-Louis Philippe et Gide furent amis, de longue date, et officièrent à la NRF ensemble.

Prétextes. Réflexions critiques sur quelques points de Littérature et de Morale. Paris, Mercure de France, 1903. Edition en grande partie originale, du tirage courant. In-12 (176 x 114 mm). Envoi autographe signé : "à Jean de [sic] Schlumberger en amical souvenir".

Nouveaux prétextes. Réflexions sur quelques points de Littérature et de Morale. Paris, Mercure de France, 1911. Edition originale sauf pour Deux Conférences. In-12 (176 x 114 mm). Envoi autographe signé à Jean Schlumberger, "son ami André Gide".

Reliures signées Devauchelle. Demi-maroquin noir à coins, dos à nerfs avec encadrements de filets à froid, tête dorée, couvertures et dos. Manque le dos et papier jauni au volume Prétextes. Minimes accrocs à la reliure de Nouveaux prétextes.

Estimation 2 500 - 3 000 EUR

Loto 112

Gide, André

ENSEMBLE DE 4 OUVRAGES, EN ÉDITION ORIGINALE, AVEC ENVOIS À CHARLES MAURRAS.
Le Traité du Narcisse (Théorie du Symbole). Paris, L'Art indépendant, 1892. Première édition mise dans le commerce. In-8 (190 x 150 mm). Edition limitée à 81 exemplaires, un des 70 sur vélin teinté. Avec un envoi autographe signé : "A Charles Maurras / en toute sympathie / André Gide". Reliure signée Maylander.
Bradel demi-maroquin chamois à coins, tête dorée, couverture et dos.

Les Poésies d'André Walter. Paris, L'Art indépendant, 1892. Edition originale. In-8 (190 x 150 mm). Edition limitée à 190 exemplaires, un des 180 sur vélin teinté. "A Charles Maurras / bien cordialement / André Gide". Même reliure.

L’Immoraliste. Paris, Mercure de France, 1902. Edition originale. In-12 (165 x 105 mm). Edition limitée à 300 exemplaires sur vergé d’Arches. "A Charles Maurras / cordialement / André Gide". Même reliure.

La Porte étroite. Paris, Mercure de France, 1909. Edition originale. In-12 (165 x 105 mm). Edition limitée à 300 exemplaires sur vergé d’Arches. Envoi autographe signé : "A Charles Maurras / bien cordialement / André Gide". Même reliure.

Reliures à peine passées avec d'infimes frottements aux coiffes.

Estimation 6 000 – 8 000 EUR

Loto 113

Gide, André

DEUX POÈMES AUTOGRAPHES SIGNÉS, DONT UN SOUS FORME DE LETTRE À FRANCIS JAMMES.
3 pages 1/2 et 3 pages in-8 sur papier fin ligné (205 x 130 mm), montées en 2 volumes in-8. Bradel cartonnage papier dominoté, pièces de titre maroquin noir. Au verso du dernier feuillet du poème, lettre d'envoi de Gide, datée de Venise, 15 avril 1898, adressée au directeur de la revue La Coupe.

Sur une tombe au bord de la mer (imité de l'anthologie). Epigramme de 64 vers dans lequel la mort s'adresse aux humains, les exhortant à consommer les plaisirs terrestres :
"Ici coule une eau pure.
Etranger ! Bois-en ;
Hâte-toi ! La nature
Ne dure
Pour toi qu'un instant"...

Revue mensuelle d'art et d'éthique, La Coupe, domiciliée à Montpellier, parut de 1895 à 1898. Dirigée par un trio, Joseph Loubet à Paris, Albert Liénard [Louis Payen] à Lyon et Richard Wémau à Montpellier, elle accueillit ce poème de Gide dans son dernier numéro de juin 1898.

Lettre à Francis Jammes pour l'inviter à goûter les douceurs d'une villégiature normande. [Eté 1898]. Alors que sa femme Madeleine est en cure à Lorstorf, près d'Alten en Suisse, Gide propose à son ami Jammes de venir à La Roque et le fait sous la forme d'un amusant poème d'une trentaine de vers, débutant sur les mots de la célèbre comptine 

"Une poule sur un mur
Qui picore du pain dur
 A midi va pondre
Un petit œuf à la coque
Dont le coq déjà se moque...
Tu peux me répondre
Que c'est ce qu'on voit à Chou
Comme à La Roque et partout,
Mais ô ami Jamme [sic]
A venir vérifier
Notre rare amitié
T'invite ma femme
On voit comme à Chou, dans l'onde
De ma douve peu profonde
L'hydrophile brun
La fine truite qui glisse
[...]
Je t'attends dans ma maison ;
A mon invitation
Si tu veux répondre
Tu piperas à La Roque
Un petit œuf à la coque..."

Francis Jammes répondra effectivement à cette invitation, évoquant dans ses Mémoires ces quelques semaines passées dans la maison familiale de Gide, qui de son côté, en parlera également dans Feuillets d'automne.

Estimation 1 500 – 2 500 EUR

Lot 114

Gide, André

ENSEMBLE DE 9 OUVRAGES EN 11 VOLUMES.
- Réflexions sur quelques points de Littérature et de Morale. Paris, Mercure de France, 1897.
édition originale. In-16 (134 x 105 mm). un des 100 exemplaires sur vergé, celui-ci non justifié.
reliure signée Devauchelle. Demi-maroquin noir à coins, dos à nerfs, tête dorée, couverture et dos. Petites piqûres à la couverture et dos conservé frotté.
- Amyntas. Paris, Mercure de France, 1906.
édition originale sauf pour Feuilles de Route. In-12 (166 x 105 mm). un des 350 exemplaires sur vergé d'Arches, celui-ci non justifié. envoi autographe signé "à Maurice Barrès en amical souvenir". Broché, non coupé, chemise et étui (P.L. Martin). Dos passé.
- Isabelle. Récit. Paris, NRF, Marcel Rivière et Cie, 1911.
édition originale. In-12 (164 x 105 mm). un des 500 exemplaires sur vergé d'Arches, celui-ci non justifié. envoi autographe signé "Cuverville, 3 juillet à Edmond Jaloux Distraction !! [suivi d'une adresse biffée] son ami André Gide". reliure signée Devauchelle. Demi-maroquin noir à coins, dos à nerfs, tête dorée, couverture et dos.
- La Symphonie pastorale. Paris, Nouvelle Revue Française, 1920.
édition originale. In-8 tellière (164 x 106 mm). un des 100 exemplaires réservés aux Bibliophiles de la NRF sur vergé d'Arches, celui-ci n°XIII, imprimé pour M. Emile Lafuma. reliure signée Alix. Demi-maroquin noir à coins, dos à nerfs, tête dorée, couverture et dos. Dos conservé un peu passé.
- Corydon. S.l., s.n., [Bruges, Imprimerie Sainte-Catherine], 1920.
édition augmentée. Petit in-8 (193 x 135 mm).
un des 21 exemplaires sur papier à chandelle d'Arches, celui-ci n°8.
reliure signée Alix. Demi-maroquin noir à coins, dos à nerfs, tête dorée, couverture et dos. Dos un peu passé, mouillure en pied.
- Numquid et tu..? S.l., s.n., [Bruges, Imprimerie Sainte-Catherine], 1922.
édition originale. In-16 (148 x 105 mm)
un des 70 exemplaires sur vergé, seul grand papier, celui-ci n°1.
reliure signée Devauchelle. Demi-maroquin noir à coins, dos à nerfs, tête dorée, couverture et dos. Feuillets blancs roussis.
- Dostoïevsky (Articles et Causeries). Paris, Plon-Nourrit et Cie, s.d. [1923].
édition en grande partie originale. In-12 (177 x 113 mm).
envoi autographe manuscrit : "à Jean Schlumberger bien fidèlement".
reliure signée Devauchelle. Demi-maroquin noir à coins, dos à nerfs, tête dorée, couverture et dos. Papier légèrement roussi.
- Si le grain ne meurt. Paris, NRF, 1924.
première édition intégrale dans le commerce. 3 volumes in-12 (173 x 106 mm).
un des 50 exemplaires hors-commerce sur Van Gelder, celui-ci n°XLIV.
reliure signée Alix. Demi-maroquin noir à coins, dos à nerfs, têtes dorées, couvertures et dos. Dos conservés passés, petite déchirure sans atteinte au texte p.7 du tome II.
- Jeunesse. Neuchatel et Paris, Ides et Calendes, s.d. [1945].
édition de luxe. In-12 (190 x 141 mm).
un des 200 exemplaires d'auteur sur vélin blanc, celui-ci justifié A8.
envoi autographe signé "à mon cher Jean Schlumberger ces souvenirs de [Jeunese] et des lieux où prit naissance notre amitié. André Gide".
reliure signée G. Gauché. Bradel toile beige, plats recouverts de papier à motifs géométriques, fac similé d'un manuscrit de Gide au premier plat, pièce de titre de maroquin brun, tête dorée, couverture et dos.

on joint :
- Philippe, Charles-Louis. Le Père Perdrix. Paris, Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle, 1903. Edition originale. In-12 (184 x 117 mm).
Envoi autographe signé "à Andrè Gide avec les sympathies de Charles-Louis Philippe". Broché, chemise et étui. papier légèrement roussi.
- Giraudoux, Jean. Retour d'Alsace. Aout 1914. Paris, Emile-Paul Frères, 1916.
édition originale. In-12 (187 x 116 mm).
Envoi autographe signé "à André Gide avec gratitude Jean Giraudoux". Broché.

Estimation 2 000 – 3 000

Lot 117

Gide, André

SI LE GRAIN NE MEURT. PARIS, 1920.
édition originale. [Impr. Sainte-catherine, Bruges]. 2 volumes in-8 (221 x 138 mm). Exemplaire nominatif hors commerce sur chandelle d'Arches, numérotés à la presse 9/12 pour le tome I et 9/13 pour le tome II. Exemplaire justifié par Gide qui a signé et inscrit le nom du dédicataire aux deux volumes.
Avec une mention autographe signée de Roger Martin du Gard : "Donné par moi à Roger Froment / R Martin du Gard 1958".

Reliure signée Paul Bonet, 1963. Composition mosaïquée de box vison et beige avec larmes et lunes de couleurs opposées, séparés verticalement par une composition de box de différents verts et rouges, dos lisses, doublures et gardes de daim beige, tranches dorées, couverture et dos. Chemises demi-veau brun et étuis (Carnets, 1419 et 1420).

L'exemplaire est enrichi, au tome I de la copie par Roger Martin du Gard des 11 premiers vers d'Épigraphe pour un livre condamné de Baudelaire, sur le premier feuillet blanc, suivie d'une annotation de la main de Roger Froment, et au tome II, de trois notes ou lettres signées par Martin du Gard.
Note autographe signée, intitulée "p.68 bis" et datée de 1926 (1 p.1/2 in-8, reliée entre les pages 68 et 69). Martin du Gard commente les propos de Gide en regard et rapporte ce qu'il lui a dit au sujet de l'écriture de cet ouvrage, précisant qu'il était hostile à une telle publication du vivant de son auteur : "Tout cela est coulant et d'un grand charme, mais vous ne faites qu'effleurer les choses, et d'une façon un peu anecdotique. L'analyse que vous faites de vous-même durant ces années de jeunesse pourrait être plus détaillée, approfondie davantage. Vos personnages sont finement indiqués, mais ils glissent devant nous comme des fantômes, et vous pourriez les dessiner d'un trait plus accusé. Ne dites pas que c'est impossible : lorsque vous me contez votre enfance, ce que vous en dites est autrement savoureux [mot souligné] que ce que vous en avez écrit là !".
Tapuscrit d'une lettre de Martin du Gard à Gide, 7 octobre 1920 (2 pages in-4 repliées in fine), l'exhortant à dévoiler davantage l'inoubliable vérité : "Il est temps d'ouvrir carrément la porte secrète, d'y entrer, et de nous y conduire avec vous". Avec une note autographe de l'auteur de cette lettre, expliquant la provenance de la lettre originale.
Lettre autographe signée, 31 juillet 1958, adressée au professeur Froment à qui Martin du Gard offre cet exemplaire de Si le grain ne meurt, lui donnant des nouvelles de la publication de la Correspondance Gide-RMG.

provenance : Dr Roger Froment.

Estimation 15 000 - 20 000 EUR

Lot 159 - [Proust, Marcel] -- Gide, André
BROUILLON AUTOGRAPHE SIGNÉ DE LA LETTRE À MARCEL PROUST DU 11 JANVIER 1914. [10 OU 11 JANVIER 1914.]


5 pages in-8 (214 x 138 mm), à l’encre noire sur papier à en-tête de l’Hôtel de Flandres à Bruges. Pages montées sur onglets. Reliée à la suite la plaquette Marcel Proust et André Gide. Paris, NRF, 1928.
Le tout dans une reliure signée Paul Bonet, 1958. Maroquin grenat, les plats recouverts des noms de Marcel Proust et André Gide répétés 12 et 11 fois de façon à recouvrir tout l'espace avec au centre le mot "Lettres" en lettres anglaises dorées, doublure et gardes de veau rose, chemise et étui.

Le brouillon figure sur 4 pages, la cinquième porte quelques notes : "bandes – revue des revues- notes" puis
1. Mad[eleine]
2. Tagore
3. Saint Leger
4. Strongways [ ?]
Ainsi que Rainer Maria Rilke 17 rue Campagne Première


Retranscription de le lettre :
[10 ou 11 janvier 1914]

Mon cher Proust
Depuis quelques jours je ne quitte plus votre livre ; je m’en sursature avec délices je m’y vautre. Hélas ! pourquoi faut-il qu’il me soit si douloureux de tant l’aimer ?.. Le refus de ce [texte] biffé livre restera la plus grave erreur de la N.R.F.- et, (car j’ai [gardé] biffé cette honte d’en être [en grande partie] biffé beaucoup responsable) l’un des regrets, des remords les plus cuisants de ma vie.
Sans doute je crois qu’il faut voir là un[e] biffé factum implacable, car c’est bien insuffisamment expliquer mon erreur que de dire que je [ne] biffé m’étais fait de vous une image d’après quelques rencontres dans « le monde » qui remontent à près de vingt ans. Pour moi vous étiez resté celui qui fréquente chez Mme X et Z – celui qui écrit dans le Figaro. [Je m’étais fait de vous une idole assez charmante mais entre tous / assez ??able pour une Je m’étais fait de vous une idole] biffé Je vous croyais [honte !] biffé vous l’avouerai-je ? « du côté de chez Verdurin ».
Un snob, un mondain amateur – quelque chose d’on ne peut plus fâcheux pour notre revue. Et le geste que je m’explique si bien aujourd’hui, de nous aider pour la publication de ce livre, et que j’aurais trouvé charmant si je me l’étais bien expliqué n’a fait hélas ! que [mot biffé] m’enfoncer dans cette erreur. Je n’avais pour m’en tirer qu’un seul des cahiers de votre livre ; que j’ouvris d’une main distraite et la malechance voulut que, [d’un coup, mon œil] biffé attention sans bienveillance [tombât] biffé plongeât aussitôt dans la tasse de camomille de la p. 62 – [et] biffé puis trébuchât p. 64 sur la phrase (la seule [encore] biffé du livre que je ne m’explique pas bien – jusqu’à présent, car je n’attends pas pour vous écrire, d’en avoir achever la lecture) – où il est parlé d’un front où des vertèbres transparaissent. -
[Mais que] biffé
Et maintenant il ne me suffit pas d’aimer ce livre, je sens que je m’éprends pour lui et pour vous d’une sorte d’affection, d’admiration, de prédilection [particulières] biffé singulières.
[...] Quelle exactitude dans l’invention ! Quelle invention dans le souvenir ! Quel art. Rien jamais] biffé
[Ah !] biffé Je ne puis continuer … j’ai trop de regrets, trop de peines – et [surtout] biffé à penser que peut-être il vous est revenu quelque chose de mon absurde déni, [et qu’à présent je vais être pour vous je ne sais quel ennemi vulgaire] biffé – qu’il vous aura peiné – [on vous aura soufflé quelque mépris / appris à me mépriser] biffé et que je mérite à présent d’être jugé par vous, injustement, comme je vous avais jugé [moi-même] biffé
Je ne me le pardonnerai pas – et c’est seulement pour alléger un peu ma peine que je me confesse à vous ce matin – vous suppliant d’être plus indulgent pour moi que je ne suis moi-même.

Estimation 100 000 - 150 000 EUR

Signalons encore :

Au lot 63, quatre lettres de Alain-Fournier à Jean Schlumberger dont celle datée du 8 octobre 1911 où il remercie Schlumberger pour son appréciation d’un Portrait avant d’évoquer les propres œuvres de son ami, puis un séjour "délicieux" de quelques jours chez André Gide en compagnie de Jacques Rivière (voir aussi le lot 116).

Au lot 116, les Nouveaux prétextes. Réfelexions sur quelques points de littérature et de morale (Mercure de France, 1911) avec envoi autographe signé à Alain-Fournier, à l'encre noire sur le faux-titre : "à Alain Fournier bien cordialement André Gide".

Au lot 115, La Porte étroite (Mercure de France, 1909), un des 300 exemplaires sur vergé d'Arches, celui-ci non justifié, avec envoi autographe signé à l'encre noire sur la garde : "à Monsieur Daniel Halévy en cordial souvenir André Gide".

Au lot 72, de Louis Aragon, Une vague de rêves (H.C., 1924). Exemplaire non coupé avec envoi autographe signé : "à André Gide, attentivement, Louis Aragon", à l'encre brune sur le faux-titre.

Au lot 80, de Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan (Plon-Nourrit et Cie, 1926) avec envoi autographe signé : "à André Gide / en témoignage de gratitude spirituelle pour tout ce que vous m'avez donné malgré vous, pour tout ce que votre lucide génie nous dispense de cette âme que vous réservez, et que Dieu seul est capable de forcer".

Au lot 137, un ensemble de cinq volumes de lettres et autres pièces de Charles Maurras dont une lettre de Gide.


Au lot 84 des manuscrits autographes, épreuves corrigées de Robert Brasillach dont un manuscrit non daté intitulé "Directions / André Gide". 2 pages in-8, signées "Robert Brazillac".

Au lot 90, de André Breton et Philippe Soupault, Les champs magnétiques (Au Sans Pareil, 1920), avec envoi autographe signé deux fois de la main de breton : "A André Gide. / Qu’est-ce qu’on attend ? / Une femme ? / Deux arbres ? / Trois drapeaux ? / Qu’est-ce qu’on attend ? / Rien. / André Breton / Philippe Soupault" sur la première garde blanche à l'encre noire.

Au lot 102, de Jean Cocteau, un ensemble de quatre ouvrages dont Orphée. Tragédie en un acte et un intervalle (Librairie Stock, Delamain et Boutelleau, 1927), avec envoi autographe signé à Gide : "à mon / cher / André Gide. / Sans / aucune ombre / Jean".



jeudi 31 octobre 2013

Style, coquilles et Errata


« On raconte que Rosny, exaspéré par les erreurs 
typographiques que les protes faisaient ou laissaient passer,
 écrivit un article vengeur intitulé “Mes coquilles”. 
Quand Rosny le lendemain ouvrit le journal, il lut avec
 stupeur, en gros caractères,  cet étrange titre : 
“MES COUILLES”. Un prote, négligent ou malicieux,
 avait laissé tomber le q... »

(André Gide, Journal, entrée du 15 décembre 1937)


Il y a quelques jours, du côté de Facebook, Julien Mannoni partageait avec nous l'une de ses trouvailles : une revue entièrement anonyme nommée Errata, qui ne semble pas avoir laissé beaucoup de traces dans l'histoire des revues. Pourtant dès son premier numéro daté de janvier 1931, Errata comptait sur la publicité d'une attaque contre Gide, ses coquilles et son style.


Errata, numéro 1, janvier 1931
(merci à Julien Mannoni pour cette image)


L'article intitulé « Le mauvais livre de Gide » a été repris intégralement par Jacques Lynn dans le journal L'Ordre du 23 janvier 1931 :
 
Les Lettres
« Le mauvais livre d'André Gide »
« Sous ce titre, une nouvelle revue, fort piquante : Errata, publie un article très vif contre les « fautes de français » d'André Gide. On se souvient encore des trop nombreuses « coquilles » de L'Ecole des Femmes, des commentaires de deux journaux et de la protestation qu'André Gide publia dans Les Nouvelles Littéraires. Ensuite parut Robert, supplément à L'Ecole des Femmes, petit livre de 80 pages, dont dix blanches, mais ornés d'une feuille d'errata qui ne signale pas moins de 13 fautes d'impression.

Qu'il soit permis tout d'abord, écrit Errata, avec une malicieuse ironie, de plaindre l'auteur et de s'étonner qu'en un volume aussi mince des bévues comme silencieuses, mis pour licencieuses ; du menu repas au lieu de : menu du repas ; albuminerie au lieu de : albuminurie, aient pu échapper tant à son attention qu'à celle du correcteur. Ces fautes dépareraient l'ouvrage si, de plus, n'abondaient dans Robert les tournures vicieuses, répétitions, négligences ou erreurs.

Ainsi peut-on lire :

Page 11 : Je ne me permettais de vous en vouloir à vous personnellement.
Page 12 : ...et, la couvrant de votre nom, d'en tirer à vous gloire et profit.
Page 14 : ...s'empare des papiers intimes de celle-ci, avant même que le mari n'en ait pu prendre connaissance.
Page 16 : Deux phrases successives sont munies chacune de cinq fois le mot que. La seconde de ces phrases est particulièrement lourde : Ce dont, par contre, je me souviens fort bien, c'est que je sentais qu'Eveline en était arrivée à ce point que, quoi que ce soit que je dise, (pour disse, faute relevée aux errata) le son que mes paroles feraient dans son âme serait le même.
Page 17 : — Je n'en triompherai, ce me semble, qu'en n'y pensant point.
Page 18 : — Suprême éloge : on a même été supposer que ce journal était écrit par vous, Monsieur Gide, qui, etc.
Page 30 : — Et qu'eussé-je valu moi-même si je ne m'étais laissé guider par quelques idées supérieures et par des principes dont trop nombreux sont aujourd'hui ceux qui cherchent à secouer le joug.
Page 34 : — Je ne m'expliquai ce qui la put troubler que beaucoup plus tard ; que trop tard, alors que l'irréparable était fait.
Page 34 : — Malgré leurs opinions avancées qu'ils ne se gênaient pas pour professer en public.
Page 35 : — Nos discussions portaient surtout au sujet de l'éducation de nos enfants.
Page 37 : — Répétition du verbe faire : …qui me faisaient protester...; dont le plus souvent elles n'ont que faire...; ...je crois que leur cerveau n'est point fait; je n'ai que faire d'en parler ici...
Page 39 : — … que tout honnête homme souhaite trouver dans la jeune fille...
Page 41 : — Et si encore elle avait gardé ces idées pour elle-même ! Mais non, il lui fallait en semer le germe chez nos enfants.
Page 43 : — Je ne compris que cet acte d'autorité eût été nécessaire qu'alors qu'il n'était déjà plus opportun...
Page 43 : — Elle commençait à se lever...
Page 45 : — Je ne vois pas ce qu'on peut trouver de comique dans... commençai-je de mon plus grand calme, et même avec une nuance d'étonnement et de sévérité.
Page 46 : — …et c'est moi qui détournai mes yeux...
Page 47 : — …un rire que je ne devais plus longtemps entendre, du moins plus de cette qualité pure et charmante, un rire qui plus tard devait se charger d'ironie et de ce que longtemps encore je me refusai à reconnaître pour du mépris, où longtemps je ne voulus voir, etc.
Page 71 : — Malgré 40 degrés de fièvre, elle gardait toute sa connaissance, et malgré la ferme confiance que gardait le docteur Marchant de la sauver...
Page 86 : — Mais ce que je me refuse à admettre c'est que, si imparfaite qu'ait pu être ma vertu, celle-ci ait pu détourner Eveline de sa foi, ainsi que le laisse entendre son journal...
Page 87 : — Plus infirme je me sentais, et plus j'avais besoin de son amour.

La cueillette, on le voit, a été faite avec une minutie extrême. La conclusion d'Errata est sévère :

On compte dans ce court récit une centaine de fois le pronom qui et plus de quatre cent vingt fois le terme que. Gide a sans doute voulu prouver que Robert, son héros, écrit aussi pauvrement qu'il pense. En tout cas, le pastiche est fort réussi.

M. André Gide, qui a beaucoup plus de belle humeur qu'on ne le pense généralement, sera le premier abonné d'Errata.

Jacques Lynn.