lundi 28 mai 2012

Théo Van Rysselberghe. Du Nord au Sud.


Lundi 4 juin à 20h30 à l'espace culturel du Lavandou, projection en avant-première du film de Raphaël Dupouy "Théo Van Rysselberghe. Du Nord au Sud", qui accompagnera également l'exposition que le Musée de Lodève consacrera au peintre du 9 juin au 21 octobre.



vendredi 25 mai 2012

Gide et Stravinsky (2/2)


André Gide et Igor Stravinsky en 1933 à Wiesbaden


« Gide est venu à Wiesbaden pour me voir en 1933. Nous avons lu le texte original de sa Perséphone et avons tout de suite décidé du recours au récitant et du découpage en trois parties. Gide a reconstruit et réécrit le livret après cette rencontre », se souvient Igor Stravinsky qui précise encore : « […] je ne pense pas qu'on puisse parler de collaboration. La seule partie du livret à laquelle nous avons travaillé ensemble est celle des chœurs d'enfants ; je voulais répéter la musique à cet endroit et j'ai demandé à Gide d'écrire des vers supplémentaires. »[1]

De son côté, Gide confie à la Petite Dame : « Stravinski, dit-il, a parfois l'air tout à fait stupide et d'autres fois il sort des choses assez curieuses; il attache de plus en plus d'importance à notre ballet, qui grandit, et finira peut-être par être très étonnant. »[2] Si l'un et l'autre montrent un certain enthousiasme pour le projet, les premières incompréhensions ne tardent pas à venir. Gide reprochant tout d'abord à Stravinsky de ne rien entendre à la prosodie française – ce sont d'ailleurs les premiers vers français que le compositeur met en musique :

« C'est tout de même un peu gênant de donner des vers à mettre en musique à un musicien russe (il tient une lettre de Stravinski), il prend les vers à rimes féminines pour des vers de treize pieds et a une tendance à mettre l'accent sur la muette. Ça s'est du reste fait souvent, et tant pis ! »[3]

Stravinsky tente d'expliquer ses choix dans ses Souvenirs et commentaires :

« Gide n'a pas aimé ma musique pour Perséphone et j'y vois au moins deux raisons. La première est que l'accentuation musicale du texte l'a surpris et ne lui a pas plu, bien qu'il ait été prévenu que je voulais étirer ou raccourcir, « traiter » le Français comme le Russe , et bien qu'il ait compris que mes poèmes préférés étaient des poèmes faits de syllabes, les haïku de Basho et Buson par exemple, dans lesquels les mots n'imposent pas d'accentuation tonique par eux-mêmes. La deuxième raison est tout simplement qu'il ne pouvait pas suivre ma phrase musicale. Lorsque j'ai joué la musique pour la première fois devant lui et Ida Rubinstein, tout ce qu'il trouva à dire c'est : « C'est curieux, c'est très curieux », avant de disparaître aussitôt que possible. »[1]

Plusieurs témoignages éclairent la découverte de la musique. Stravinsky, toujours, mais cette fois dans Dialogues, se souvient d'une soirée chez les Polignac, et d'un malaise général :

« « La présentation sans mise en scène donnée avant cela chez les Polignac est restée plus claire dans ma mémoire, et je peux encore voir le salon de la Princesse, moi gémissant au piano, Suvchinsky chantant un fort et abrasif Eumolpe, Claudel me fixant depuis l'autre côté du piano, Gide se rengorgeant davantage à chaque phrase. »[4]

Jean Claude cite au contraire le témoignage du secrétaire d'Ida Rubinstein qui aurait vu un Gide ému par la musique de Stravinsky. Dans son Journal, Copeau garde lui aussi le souvenir d'une bonne découverte. « Son appréciation sans doute n'était pas négative, mais exprimait plutôt le sentiment de quelqu'un dérouté par une musique qui est loin de lui être familière et qui saisit mal les distorsions entre sa propre prosodie et les effets musicaux du compositeur », estime Jean Claude[5].

Si l'on évoque Jacques Copeau, c'est qu'il fait partie de l'aventure, tantôt crédité de la mise en scène, tantôt simple conseiller artistique, et qui finira par demander qu'on retire son nom des affiches et du programme... C'est lui qui a choisi André Barsacq pour les décors, au lieu de José-Maria Sert avec qui Ida Rubinstein travaille habituellement, et au lieu de Stravinsky-fils, que Stravinsky-père aurait aimé imposer. Ajoutez à cela la greffe de toutes les parties de ce grand spectacle :

« Pour Perséphone […], on ne compte pas moins de 80 choristes de l'Opéra, 12 danseurs et 15 danseuses engagés par Ida Rubinstein, le chœur d'enfants venu d'Amsterdam, une dizaine de figurants ainsi que les solistes : Perséphone, Eumolpe, rôle chanté, Mercure, rôle dansé et trois rôles muets, Déméter, Triptolème et le Génie de la mort. »[5]

Gide se sent donc peu à peu dépossédé de son à mesure qu'elle prend de l'ampleur. Et voilà que non seulement les décors n'ont plus rien à voir avec ceux qu'il avait imaginés mais surtout qu'ils font basculer la tragédie antique dans un symbolisme chrétien. Il s'en amusera plus tard au travers d'un dialogue humoristique dans les premières pages d'Ainsi soit-il :

« - Oui, s'écriait alors Stravinsky, c'est comme la messe. Et c'est là ce qui me plaît dans votre pièce. L'action même doit être sous-entendue...
— Alors j'ai imaginé, reprenait Copeau, que tout pourrait se passer dans un même lieu, grâce à un récitant qui n'apporterait des faits eux-mêmes que le récit, que le reflet. Tout dans le même lieu : un temple, ou mieux : une cathédrale...
Je me sentis perdu, car Ida et Stravinsky approuvaient à l'envi.
— Mais, cher ami, tentai-je encore d'objecter : j'ai pourtant indiqué fort précisément, pour le premier acte : un rivage au bord de la mer...
— Oui, c'est ce qu'indiquera le récitant.
— C'est merveilleux, disait Ida.
— Et le second acte, qui doit se jouer aux Enfers. Comment dans votre cathédrale...
— Cher ami, nous avons la crypte, reprit Copeau avec une telle assurance que, le soir même, lâchant la partie, je m'embarquai pour Syracuse où retrouver le décor antique, celui précisément que je souhaitais. »

« [...] mon vieux, ils vont dire la messe ! Et pas dans un temple grec ! », écrit alors à Jean Schlumberger un Gide bien décidé à ne plus se mêler de Perséphone. Et à ne pas même assister aux représentations : pour la première, il est en voyage avec Elisabeth Van Rysselberghe dans le Tyrol italien, puis à Londres au chevet de son ami Simon Bussy le soir de la deuxième. Mais il a envoyé Maria Van Rysselberghe assister à la première et il est de retour à Paris pour la troisième et dernière soirée...

« Il m'interroge sur la première de Perséphone. « Ennuyeux, n'est-ce pas ? Dit-il. Mais avouez que c'est la faute à Copeau. » Je suis bien de son avis! C'est la faute de Copeau, et d'Ida Rubinstein aussi, du reste; je ne défends pas ses vers, qui sont sans importance pour le spectacle, mais la présentation du mythe est charmante et pouvait donner des choses exquises de grâce sauvage et une telle variété de lumière et d'atmosphère pour souligner la musique qui m'a semblé fort belle, encore que j'aie mal saisi son rapport avec les paroles; au lieu de cela, il n'y a qu'un seul décor, beau du reste, grand, mais qui à mon avis n'a rien à voir avec l'adorable légende. Tout se passe dans une crypte d'une manière d'église romane, le récitant semble une statue d'évêque collée contre une colonne, Déméter une vierge florentine et le jeu d'Ida est sans variété, ni dans les gestes ni dans la voix; c'est hiératique et plein de tenue, et affreusement monotone; les costumes sont délicieux, trop distingués, ça manque terriblement de vent dans les cheveux. Il dit : « Je m'en doutais, j'ai vu cela du premier coup; inutile de lutter, j'étais seul contre trois; mais vous comprenez que je sois parti; je leur ai dit, en riant du reste : Je suis refait; je n'ai décidément pas de chance avec le théâtre, ceci va me sacrer une fois de plus auteur ennuyeux, et voilà. »[6]

La Petite Dame qui note encore, le 9 mai : « Il se demande s'il assistera à une représentation de Perséphone (c'est aujourd'hui la dernière) ou s'il ira à une grande réunion communiste. » Et le lendemain : «  – C'est à la réunion qu'il est allé, et il n'aura donc pas vu Perséphone ! »[7] Dans une lettre Copeau, Gide se dit terrifié « de devoir faire face aux compliments, sourire aux gens du monde, repousser les interviewers ». Mais à Roger Martin du Gard il donne une autre explication : « Il ne m'a pas déplu de laisser comprendre à Ida que certaines choses me paraissaient plus importantes que cette représentation. »[8]

Voilà ce qui explique la rancune de Stravinsky, qui, s'il feint de n'avoir pas prêté attention à l'absence de Gide aux représentations, absence très commentée à l'époque, ne manque pas de lui décocher quelques dernières flèches dans ses Souvenirs et commentaires :

« Il n'a pas assisté aux répétitions, et s'il était présent à l'une des représentations, je ne l'ai pas vu. Une de ses pièces fut jouée ensuite au Petit Théâtre des Champs-EIysées, mais cela n'a pas dû l'empêcher de venir écouter au moins une fois Perséphone. Peu de temps après la première il m'a envoyé une copie du livret nouvellement publié avec pour dédicace « en communion ». J'ai répondu que la « communion », c'est exactement ce qui nous a manqué ; sa dernière lettre est en réponse à cela. 
Nous ne nous sommes plus rencontrés après Perséphone, mais je ne pense que nous fussions vraiment en fâchés l'un contre l'autre. Et d'ailleurs comment pourrait-on être fâché longtemps avec un homme d'une telle honnêteté ? Si je pouvais faire la part entre le talent de Gide et son écriture, ce serait pour proclamer ma préférence pour cette seconde, bien que son écriture aussi soit de l'eau distillée. Je considère le Voyage au Congo comme le meilleur de ses livres, mais je reste insensible à son esprit autant qu'à son approche de la fiction : il n'était pas un créateur assez grand pour nous faire oublier les pêchés de sa nature – comme Tolstoï pouvait nous faire oublier les pêchés de sa nature. Cependant, comme il a rarement parlé de son travail avec moi, mes relations avec lui sont restées lisses à cet égard. »[1]

Dans Ainsi soit-il, Gide redira pourtant son appréciation de la partition et promettra le succès aux futurs metteurs en scène de Perséphone, pour peu qu'ils se conforment aux didascalies gidiennes :

« Je crois que Stravinsky me pardonna mal de ne pas avoir assisté à la première exécution de sa très belle partition; mais c'était au-dessus de mes forces. La mu­sique, je crois, fut applaudie; quant au sujet même du drame, le public n'y comprit rien, il va sans dire, et pour cause. Si jamais l'on s'avise de reprendre ce « ballet » (et la partition de Stravinsky mérite que l'on y revienne), je prie le metteur en scène de se conformer strictement aux indications que j'ai données. Si la voix de l'actrice porte un peu plus que ne fit celle de Rubinstein (laquelle, me dit-on, ne passait pas le septième rang de l'orchestre), je crois pouvoir répondre du succès. »

D'ailleurs Gide continuera d'aimer et d'admirer la musique de Stravinsky. En juin 1945, alors que se prépare un festival Stravinski au Théâtre des Champs-Elysées, il aidera la comédienne Claude Francis à répéter pour ce concert. Auquel il assistera...


____________________

[1] Igor Stravinsky and Robert Craft, Memories and Commentaries, University of California Press, 1981 (Je traduis cet extrait et les suivants)
[2] Maria Van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, vol. 2, Gallimard, Paris, p. 314)
[3] Ibid, p.328
[4] Igor Stravinsky and Robert Craft, Dialogues, University of California Press, 1982, p.36. C'est dans ces mêmes Dialogues avec Robert Craft que Stravinsky finit par déclarer : « Gide était un anti-poète, je pense que son anthologie le montre. 
[5] Jean Claude : « Perséphone, ou l'auteur trahi ? », in « Perséphone, ou l'auteur trahi ? », in Ida Rubinstein. Une utopie de la synthèse des arts à l'épreuve de la scène, Pascal Lecroart éd., Presses Universitaires de Franche-Comté, 2008, pp. 213-233.
[6] Maria Van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, vol. 2, Gallimard, Paris, pp 376-377
[7] Ibid., p.379
[8] André Gide – Roger Martin du Gard, Correspondance, t.1, p.612

mardi 22 mai 2012

Rencontre-débat autour de Malaquais

La Librairie Floury Frères et le collectif d'édition Smolny organisent une rencontre-débat avec Geneviève Nakach à l'occasion de la parution de sa biographie sur Jean Malaquais, Malaquais Rebelle (Cherche-Midi, 2011). Rendez-vous mercredi 23 mai à 18h, Librairie Floury Frères, 36, rue de la Colombette à Toulouse.




lundi 21 mai 2012

Gide et Stravinsky (1/2)




  Trois Perséphone : à gauche Ida Rubinstein crée le rôle en 1934, 
au centre Vera Zorina en 1982 à New-York (Photo de Steven Caras)
à droite Dominique Blanc en 2012 à Madrid (Photo Javier del Real)



Les critiques de la représentation de Perséphone en janvier dernier au Théatre Royal de Madrid ont été assez semblables à celles parues à sa création en 1934 : on s'y intéresse surtout à la musique de Stravinsky, à la mise en scène et finalement très peu au texte de Gide. Aussi son exclamation de 1934 reste terriblement d'actualité : « Je n'ai décidément pas de chance avec le théâtre, ceci va me sacrer une fois de plus auteur ennuyeux, et voilà. »[1]

Projet porté dès 1893, qui prend en 1896 le titre de Prospérine, c'est le compositeur Florent Schmitt qui le relance en 1909, sans succès. Puis en 1933, Ida Rubinstein, mécène, comédienne et danseuse, cherchant à porter à la scène une nouvelle œuvre de Gide, conduit ce dernier à ressortir le manuscrit de Perséphone de ses cartons : l'édition critique de Patrick Pollard retrace très bien ces évolutions[2].

Quant aux échanges entre Gide et Stravinsky, les lettres publiées d'abord en anglais[3] ont fait l'objet d'une présentation en français commentée par Jean Claude**** d'après les originaux conservés à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet et à la Fondation Paul Sacher, Fonds Stravinsky, à Bâle, complétée par des lettres entre Jacques Copeau et Igor Stravinsky, quelques lettres ou télégrammes d'Ida Rubinstein et des allusions à la Correspondance Gide-Copeau.

Comme le montre très bien Jean Claude, à qui ce billet doit beaucoup et que je remercie pour son aide, la pièce est conçue comme un spectacle total qui emballe tout d'abord Gide, avant de se compliquer pour finir par ne plus le concerner vraiment, au point qu'il n'assistera même pas aux représentations qui eurent lieu les 30 avril, 4 et 9 mai 1934. Qu'il se sente trahi, ou plutôt dépossédé de son œuvre, n'est finalement qu'une chose normale – et qu'il éprouvera à chaque tentative théâtrale :

«  Il n'avait pas suffisamment conscience des aspects concrets qui entourent la création théâtrale, à plus forte raison la création d'un spectacle complexe faisant appel à tous les arts. Car avec Perséphone, il y avait bien tous les ingrédients d'un spectacle total. Mais trop de difficultés ont surgi pendant son élaboration. Le projet d'Ida Rubinstein était, à n'en pas douter, ambitieux. Il a manqué dans sa réalisation un climat de confiance, une organisation stricte voire autoritaire capable d'aplanir les divergences. »[4]

Si l'on en croit Igor Stravinsky c'est chez la pianiste Misia Sert – ex-femme de Thadée Nathanson et à l'époque encore celle d'Alfred Edwards puisqu'elle n'épousera le peintre José-Maria Sert qu'en 1920, bien qu'elle fût sa maîtresse depuis 1908  – que Gide et lui se croisent pour la première fois, en 1910 :

« Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 1910, dans la chambre de Misia Sert à l'Hôtel Meurice. Je le connaissais de réputation, bien sûr : il était déjà un écrivain connu, même si sa gloire devait venir plus tard. Après cela, je l'ai revu de temps en temps aux représentations des ballets. »[5]


Igor Stravinsky et André Gide au Revenandray, été 1917
« Je le vois encore buvant du punch, couvert de manteaux et de châles malgré la chaleur, 
jouant d'un orgue à bouche qu'il avait trouvé je ne sais où, et annonçant : 
"Je vais vous jouer du Wagner...". Un peu plus tard il était photographié devant le chalet avec
André Gide, tenant avec lui une bouteille, et proclamant qu'elle  symbolisait l’alliance franco-russe.» 
(Rodolphe Faessler, Revue de Belles-Lettres, Lausanne, Juillet-août 1956)


C'est déjà Ida Rubinstein qui sollicite Gide au début de 1917. Il rencontre Stravinsky aux Diablerets pour lui demander une musique pour Antoine et Cléopâtre. Une célèbre photographie les montre joueurs et complices – la bouteille au second plan y est peut-être pour quelque chose... ou l'état euphorique de Gide qui fait sa première escapade avec Marc Allégret ?  – en Suisse, au Revenandray, le chalet des Bellettriens aux Ormonts. Pourtant ils ne trouvent pas de terrain d'entente.
 
« Quelques mois après Le Sacre, Gide est venu me trouver avec un projet de composition d'une musique de scène pour sa traduction de Antoine et Cléopâtre. J'ai répondu que le style de musique dépendrait de celui de l'ensemble de la production, mais il ne comprenait pas ce que je voulais dire. Plus tard, lorsque j'ai suggéré des costumes modernes pour la pièce, il s'est montré choqué – et sourd à mes arguments selon lesquels nous serions plus près de Shakespeare en inventant quelque chose de neuf, plus près de lui en tout cas qu'il ne l'était, pour ce qui est de la vraisemblance, d'Antoine et Cléopâtre. »[6]

C'est finalement Florent Schmitt qui signera la partition de cette pièce créée en 1920.Aussi quand Ida Rubinstein revient proposer une nouvelle collaboration avec Stravinsky début 1933, Gide déterre le manuscrit de Prospérine/Perséphone. Devant Maria Van Rysselberghe, il joue les désabusés :

« Je ne sais plus comment j'ai été amené à lui dire que j'avais un petit ballet qui dormait depuis trente ans, Prospérine; elle a demandé à le voir, et la voilà qui s'emballe ! Elle voudrait décider Stravinsky à faire la musique, Sert les décors [...]. Moi ça m'est égal, je crois de moins en moins au théâtre, je n'y attache aucune importance, mais la tentative m'amuserait, ça me donnerait un mois de travail pour mettre la chose au point; peu de texte, du reste, des prétextes à gestes et à danses. »[7]

Mais les lettres qu'il adresse aussitôt à Stravinsky montrent son enthousiasme pour le projet, et dès le mois de février il part avec Ida Rubinstein pour retrouver Stravinsky à Wiesbaden :

« Gide est venu à Wiesbaden pour me voir en 1933. Nous avons lu le texte original de sa Perséphone et avons tout de suite décidé du recours au récitant et du découpage en trois parties. Gide a reconstruit et réécrit le livret après cette rencontre. »[7]

Comme le souligne Jean Claude, la présentation rétroactive des évènements par Stravinsky, qui en voudra à Gide de n'avoir pas assisté aux représentations de Perséphone, est « pour le moins tendancieuse ». Disons même carrément froide et souvent revancharde. Le compositeur se montrait en réalité au moins aussi emballé que Gide. Même si l'on apercevait déjà quelques pierres d'achoppement dans ce tandem que tout oppose, ainsi que le note la Petite Dame :

« Bypeed me raconte que c'est d'enthousiasme que Stravinski a accepté de collaborer avec lui. Il disait : « J'admire surtout vos derniers écrits, comment appelez-vous ça... vous savez bien cette chose qui a une suite sur le mari... » Bypeed lui fournit L'Ecole des femmes. Il disait encore : « Je m'entends tout à fait avec vous, mais jamais je ne collaborerais avec Valéry, c'est un athée !!! » Bypeed, très amusé du malentendu, pense que la collaboration pourrait bien ne pas durer. »[8]



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[1] Maria Van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, vol. 2, Gallimard, Paris, entrée du 3 mai 1934, p. 377
[2] Patrick Pollard, André Gide, Prospérine, Perséphone, édition critique, Lyon, Centre d'Etudes Gidiennes, 1977
[3] Igor Stravinsky and Robert Craft, Memories and Commentaries, Doubleday, 1960, repris par University of California Press, 1981, Faber & Faber, 2002 (traduction française : Souvenirs et commentaires, Paris, Gallimard, 1963) et Robert Craft, Igor Stravinsky, Selected correspondance, vol. III, London and Boston, Faber and Faber, 1985
[4] Jean Claude, « Autour de Perséphone », in BAAG n°73, janvier 1987, vol.XV, XXe année, pp. 23-55.
[5] Jean Claude : « Perséphone, ou l'auteur trahi ? », in « Perséphone, ou l'auteur trahi ? », in Ida Rubinstein. Une utopie de la synthèse des arts à l'épreuve de la scène, Pascal Lecroart éd., Presses Universitaires de Franche-Comté, 2008, pp. 213-233.
[6] Igor Stravinsky and Robert Craft, Memories and Commentaries, University of California Press, 1981 (Je traduis cet extrait et les suivants).
[7] Maria Van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, vol. 2, Gallimard, Paris, p.283
[8] Ibid. p.285




vendredi 18 mai 2012

Der König Kandaules à Palerme


 
 Der König Kandaules, dans un décor impressionnant à Palerme



On se souvient qu'en début d'année, c'est la Perséphone de Stravinsky sur un livret de Gide qui était donnée au Théâtre Royal de Madrid. En Italie cette fois, le Teatro Massimo de Palerme présente depuis mercredi Der König Kandaules, opéra en trois actes d'Alexander Zemlinsky sur un livret du compositeur d'après Le roi Candaule d'André Gide traduit en allemand par Franz Blei.

Zemlinsky commence l'adaptation pour le livret en 1935 à Vienne. La composition et l'orchestration l'occuperont jusqu'à son départ pour les Etats-Unis en décembre 1938 et même jusqu'à sa mort. Mais Der König Kandaules ne sera jamais monté aux Etats-Unis : le public y préférait des œuvres plus faciles et la censure ne permettait pas de montrer la scène du deuxième acte dans laquelle la reine Nyssia se déshabillait complètement.

A sa mort en 1942, l'orchestration n'est d'ailleurs pas totalement achevée. Ce n'est donc qu'en 1996 que l'œuvre fut créée au Staatsoper de Hambourg sous la direction de Gerd Albrecht et avec une reconstruction de la partition et de l'instrumentation par Anthony Beaumont. Elle est rejouée depuis régulièrement : en 2002 au Festival de Salzbourg ou en 2006 dans une coproduction de l'Opéra Royal de Wallonie et de l'Opéra de Nancy avec une version transposée dans un palace des années 20 par le metteur en scène Jean-Claude Berutti.

Du 16 au 22 mai au Teatro Massimo de Palerme, Der König Kandaules est créé pour la première fois en Italie sous la direction de Asher Fisch et Francesco Cilluffo (le 22mai), dans une mise en scène et un décor très spectaculaire de Manfred Schweigkofler et Angelo Canu, des costumes de Mateja Benedetti et des lumières de Claudio Schmid.


Avec :
König Kandaules : Peter Svensson/Michael Baba
Gyges : Kay Stiefermann/Peter Edelmann
Nyssia : Nicola Beller Carbone/Stefanie Iranyi
Phedros : Nicolò Ceriani
Syphax : Cristiano Olivieri
Nicomedes : Paolo Orecchia
Pharnaces : Jeremy Milner
Philebos : Matias Tosi
Simias : Alex Wawiloff
Sebas : Giulio Pelligra
Archelaos : Alexey Birkus
Der Koch : Ventseslav Anastasov

Et l'Orchestra del Teatro Massimo

mercredi 16 mai 2012

The Perennial Youth of André Gide, par Justin O'Brien


 The Saturday Review of Litterature
"with a french accent" (31 mars 1951)


Dans une pile de The Saturday Review of Litterature, revue américaine parue entre 1924 et le début des années 80, un numéro « frenchy » attire notre attention : alors qu'on y voit en couverture un vieil homme portant lorgnon, canne et melon se pencher sur les boites des quais, le titre dans l'angle annonce « The Perennial Youth of André Gide », par Justin O'Brien. Ouvrant ce numéro du 31 mars 1951, l'éditeur du Journal en anglais rend hommage à Gide en donnant en avant-première la préface au 4e volume à paraître à l'époque.

In a stack of The Saturday Review of Literature, an American magazine published between 1924 and the early 80s, a "Frenchy" issue attracts our attention : the cover shows an old man with monocle, stick and bowler hat who is looking in the boxes of parisian booksellers. And a title announces "The Perennial Youth of Andre Gide," by Justin O'Brien. Opening this issue of March 31, 1951, the translator and editor of the Journals honors Gide with a preview of his preface to the fourth volume that is about to be published.



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The Perennial Youth of André Gide

Justin O'Brien

« I HEARTILY scorn," André Gide wrote at the age of sixty-one in his "Journal" for January 1931, "that sort of wisdom that is attained only through cooling off or lassitude." We must not then expect to find him even twenty years later, soothing himself or his reader with the maxims of senility. In the fourth volume of his "Journals," written between his seventieth year and his eightieth, his mind had lost neither its incisive vigor nor its vital warmth. We find the same disciplined intelligence freely expressing itself, equally removed from facility and dryness, in a constantly maturing thought which is as far from smugness as it is from feverish restlessness. Ever in contact with life, that intelligence maintained a perpetual ardor—the hard, gemlike jerveur which his "Fruits of the Earth" extolled over fifty years ago. This was doubtless the secret of Gide's perennial youth and of his undiminished favor with the young.

Rich with the lessons of experience, a man in his eighth decade must of necessity take many a backward glance. The Second World War naturally suggested parallels with the First one; voluntary exile from France and loved ones recalled the past and even the dead. Problems encountered in writing and fresh attacks launched by his enemies caused him to review his judgments of earlier works: in 1942, for instance, and again in 1946 he reconsidered the significance, effectiveness, and artistic achievement of his "Corydon" and again returned to that book through an interviewer's indiscreet question at the time of the Nobel Prize Award. Several times he turned back to the period of his flirtation with Communism, the better to define the misunderstanding which led to his position of the early Thirties. And the postwar emphasis, largely among the existentialists, on the necessity of committing oneself and writing a "litterature engagée" led him to re-examine his past commitments and eventually to issue in 1950 under the ironic title of "Litterature engagée" a collection of his tendentious and polemical writings, all of which he considered as extra-literary. Indeed, he had already noted in mid 1940: "The social question! ... If I had encountered that great trap at the beginning of my career I should never have written anything worthwhile."

But, like his own Theseus venturing into the unknown while unwinding his link with the past and tradition in the form of Ariadne's thread, Andre Gide found it more natural to look forward. Even in the early stages of the war he foresaw with remarkable clarity the postwar plight of France; elsewhere he reflected on the literature and art of the future. Despite his extensive travels and those he undertook the moment Tunis was liberated, he deplored the fact that the map was still studded with territories unknown to him. Finally, but without dread or false solemnity, he frequently meditated on death and the possibility of an after-life. Some of the finest pages of this latest "Journal" in fact, reflect a serene contemplation of his own—of everyman's—future.
Nothing was perhaps more characteristic of Andre Gide than this consistently healthy forward-looking attitude. Not altogether lightly he early identified himself with Prometheus, who revolted against the gods and communicated to man "the devouring belief in' progress." That active belief never left him. Recognizing his inaptitude for contemplative stagnation, he could state at seventy-three that "real old age would be giving up hope of progress." Thus it is that, smiling at his impulse to improve himself so late in life, he continued the study of German, exercised his memory by learning hundreds of lines of French verse by heart, and, rediscovering Virgil, devoted three or four hours a day to the arduous and delightful deciphering of Latin. His mind always open and alert, he reread the French classics and Shakespeare and Goethe and Euripides, often revising his impressions with startling results. Leaving the main highway, he explored such diverse writers as Cyril Tourneur, Eichendorflf, Grimmelshausen, James Hogg, Dashiell Hammett, Pearl Buck, Jorge Amado, and Ernst Junger. In his eightieth year we find him discussing the latest volume by Sartre, catching up on the contemporary dramatists, disputing with Koestler and James Burnham. Simultaneously he could become captivated, as in the past, by a new treatise on radioactivity, a study of the metamorphoses of sea animals, a history of Moslem customs, or a revolutionary approach to surgery. A lively curiosity was always one of his dominant characteristics.

SINCE the fourth volume of the "Journals" covers the period of the Second World War the reader might justly expect conflict and the occupation of France to play a large part in Andre Gide's reflections from day to day. In the beginning, however, he deliberately planned to omit events, noting that thought was most valid when it could not be modified by circumstances. In September 1940 he reflected that "the number of stupidities an intelligent person can say in a day is not believable. And I should probably say just as many as others if I were not more often silent." In contrast to the invasion of the timely, to the anguish resulting from current events, there is always the timeless, to be found in the classics of art and literature. In an article dated 1936 he had written: "I have a great need to maintain in myself the feeling of permanence; I mean a need of feeling that there are human products that are invulnerable to insults and degradation, works on which temporal changes have no influence."

But viewed without perspective the timeless often appears to be merely the untimely; to some it may seem shocking that only a month after the French defeat of 1940 Gide could momentarily forget his country's tribulation by reading Goethe in the original. Throughout the "Journals," to be sure, from 1889 to 1949 thoughts out of season abound: Unzeitgemdsse Betrachtungen, to borrow from Nietzsche a title that Gide obviously liked. Almost equally frequent are statements to the effect that the artist is "out of harmony with his time" and that this constitutes his raison d'etre: "He counteracts; he initiates. And this is partly why he is so often understood at first by but a few" (July 6, 1937).

Yet, whether in the south of France for the first two and a half years of the war or in North Africa for the duration, Gide was unable to maintain such an ideal aloofness. Never do his "Journals" come so close to journalism ("I call 'journalism' everything that will be less interesting tomorrow than today," he wrote in 1921) as during the long siege of Tunis in 1942-43. There we have a marginal history of events recorded by an eyewitness whose vision was necessarily limited, a sort of "Journal of the Plague Year" with all the dispassionate, flat reportage of Defoe's document. There is a fascination for us who were on the outside in sharing the intimate feelings of a particularly sensitive person on the inside of the vast concentration camp set up by Hitler. Despite Gide's effort to heighten and enliven that account by a running description of the child Victor, a portable microcosm of all that was distasteful in the world around him, nonetheless this is the part of the "Journals" that will doubtless age least well. Several times in recent years Andre Gide had expressed the desire for simultaneous publication of those pages in French and English, in the naive hope, unshared by his French publisher, that such a delicate attention would somewhat mitigate the sting of his remarks about the American forces in Tunisia. But Americans are hardly so susceptible as not to appreciate such frankness; the men who took part in the North African campaign should be interested in the way they looked to "those they were about to liberate, especially since that view changed so drastically upon contact. During the decade from 1939 to 1949 Andre Gide's creative activity did not slacken, for he wrote (in addition to this volume of the "Journal") the "Imaginary Interviews," a play entitled "Robert ou l'intérêt général," a book on Paul Valery, "Autumn Leaves," and "Theseus", which last should come to be considered as one of his major works. Meanwhile he finished his inspired translation of "Hamlet," compiled an "Anthology of French Poetry," wrote several prefaces including that for the collected edition of Goethe's drama, and with Jean-Louis Barrault adapted to the stage Kafka's "The Trial"—besides working on still unrealized film-scenarios of his novels "Isabelle" and "Les Caves du Vatican." One of the last entries in the latest volume of his "Journal" (June 4, 1949) states: "Some days it seems to me that if I had at hand a good pen, good ink, and good paper I should without difficulty write a masterpiece." An index of Gide's continuing vitality can be found as readily in the attacks directed against him as in his own production. Throughout his long career he had been the object of frequent, often savage, assaults. If they are remembered at all in literary history, some of his accusers — such as Henri Beraud, Jean de Gourmont, Rene Johannet, Camille Mauclair, Eugene Montfort, and Victor Poucel—will receive mention only for the crude shafts they aimed at Gide. Others like Francis Jammes and Henri Massis have sullied their reputations by contributing to the picturesque and fanciful Gide legend.

DESPITE the intention of such critics, they did not bury their enemy very deep. During and after the recent war the weight of his years did not keep him from serving frequently again as whipping-boy. As early as July 1940 an anonymous journalist in Le Temps accused him of exerting a baneful influence on youth and contributing to the forming of a "deliquescent generation." A year later in California Fernand Baldensperger blamed the French defeat on such demoralizers as Gide, Proust, et al. In January 1942 Rene Gillouin echoed in Geneva an unfounded accusation of Gide's having led a susceptible young reader to suicide. Hardly had Paris been liberated than Louis Aragon, the literary spokesman of the French Communist Party, which could not forget Gide's return from Moscow, repeated the charge of anti-patriotism and defeatism made in the Provisional Consultative Assembly in Algiers by a certain Giovoni. Soon thereafter Julien Benda and Edmond Buchet separately accused Gide of anti-intellectualism and Alexandrinism, somewhat as Arthur Koestler was to do in English. Probably the most categoric crushing of Gide was found in an interview with the Catholic poet Paul Claudel, a contemporary and early friend, published in March 1947. "From the artistic point of view, from the intellectual point of view, Gide is worthless," said Claudel. Gide himself was more equitable toward his former friend, for in February 1943 he noted in the "Journal":

There is and always will be in France (except under the urgent threat of a common danger) divisions and parties; in other words, dialogue. Thanks to that, the fine equilibrium of our culture: equilibrium in diversity. Always a Montaigne opposite a Pascal; and, in our time, opposite a Claudel, a Valery. At times one of the two voices prevails in strength and magnificence. But woe to the times when the other is reduced to silence! The free mind has the superiority of not wanting to be alone in enjoying the right to speak.

If there could have been any doubt before, there can surely no longer be any since the publication in 1949 of the correspondence between Claudel and Gide that to the world at large the name of Paul Valery was less appropriate in the above passage than would have been that of Andre Gide.

Another important Catholic writer, François Mauriac, who never ceased to admire and to acknowledge his debt to Gide, seems to have recognized this when, writing in Le Figaro about certain pages detached from the latest "Journal," he finds Gide's thought "serenely aggressive as on his finest days" and regrets that "this elderly Faust, who is so dear to us, should fix himself permanently in the definitive affirmation that man must be put in the place of God."

Coming from the pen of Mauriac the expression "serenely aggressive" is most appropriate. In his eighth decade Andre Gide had achieved a measure of serenity, manifest in his "Theseus" and "Autumn Leaves" as well as in his "Journal." One thinks of the Olympian serenity of Goethe, Gide's lifelong companion, and notes with pleasure that during the ten years covered by this volume Gide reread both the "Conversations with Eckermann" and Boswell's "Life of Samuel Johnson," as if recognizing the company in which he belongs. In fact, the complete "Journals," representing sixty years of a varied life, form one prolonged, intimate conversation, a single, often interrupted dialogue of the author with himself. Such a document precludes the necessity of any other interlocutor; after all, Montaigne had neither Boswell nor Eckermann. The serenity to which Gide attained was that of a dynamic equilibrium between opposing tendencies within him, the classic balance toward which he had tended ever since youth. Yet there was nothing static about this condition; as he noted in the "Journal": "The sole art that suits me is that which, rising from unrest, tends toward serenity."

On the last page of the most recent instalment of his "Journals" Andre Gide had scribbled a note implying that he had forever ceased to keep a journal. Since this was in fact the end of his long and rich self-scrutiny, the final distilation of his reflections on man and the universe, what definitive revelation or ultimate message does it contain for his readers? Those who followed him this far knew him better than to expect such a thing or be surprised by his note of December 15, 1948: "Last words ... I do not see why one should try to pronounce them louder than the others. At least I do not feel the need of doing so."

Justin O'Brien is professor of French at Columbia University. This essay will form the introduction to his edition of the fourth volume of Gide's "Journals" which will be published, by Alfred A. Knopf on April 9.


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« Je méprise de tout mon cœur cette sorte de sagesse à laquelle on ne parvient que par refroidissement ou lassitude. »


vendredi 11 mai 2012

Gide en ro ro ro

(Un jeu lancé aux membres du groupe Facebook d'e-gide a donné lieu ces derniers jours à une petite enquête : l'occasion d'un billet qui évoque tout à la fois les œuvres de Gide et l'histoire de l'édition, comme on aime en faire de temps en temps...)



Die Verliese des Vatikan, ro ro ro, 1955  


Cet exemplaire des Caves du Vatican paru en 1955 en Allemagne aux éditions Rowohlt fait partie de la collection ro ro ro comme indiqué sur son dos et sa première de couverture. Mais il n'est par un ro ro ro. Alors ? Qu'est-ce qu'un ro ro ro ?

En effet, le premier ro ro ro des Caves du Vatican n'était pas au format de poche comme l'exemplaire de 1955, mais au "Zeitungformat", au format journal, puisque c'est là tout le principe des ro ro ro, pour Rowohlt Rotations Roman : des livres imprimés par des rotatives comme des journaux, au format 38 x 28 cm.



Die Verliese des Vatikan, ro ro ro, 1947 



Le germaniste Michel Tournier explique très bien ce qu'étaient les ro ro ro dans son Journal extime :

« Souvenir de Tübingen. Les Rororo. Tout manquait en ces années d'immédiat après-guerre, y compris le papier pour faire des livres. Le rare papier disponible était réservé à la presse écrite afin que le bon peuple soit renseigné sur les événements et aussi ait connaissance des tickets d'alimentation honorés ce jour-là.
C'est alors que les éditions Rowohlt ont réalisé une idée qu'il faut vraiment qualifier de géniale : le rororo. Il s'agissait d'un journal, imprimé sur rotative, ayant l'aspect exact de Die Welt, Le Figaro ou Le Monde, mais s'intitulant Les Caves du Vatican d'André Gide, Anna Karénine de Tolstoï ou La Mort à Venise de Thomas Mann. C'était le Rowohlt-Rotations-Roman (roman Rowohlt imprimé sur rotative) et cela coûtait 1 DM. Le petit miracle qui permettait cette réalisation, c'est qu'un roman contient un nombre de signes imprimés (lettres, blancs et signes de ponctuation) à peu près équivalent à celui d'un journal ordinaire, c'est-à-dire variant entre 500000 et 2000000. Il serait juste qu'un musée du livre et de la culture montre quelques exemplaires de ces « rororo ». »

(Michel Tournier, Journal extime, Folio, Gallimard, 2004, pp. 224-225)


On pourra également se reporter aux notices descriptives (en allemand) données en lien sous les images, qui reprennent non seulement les textes de présentation mais aussi l'avis au lecteur de 1947... Elles proviennent d'un site remarquablement fait et qui retrace l'histoire du ro ro ro au format journal puis au format poche : www.lewin-fischer.de


jeudi 10 mai 2012

Gide et Camus chez Onfray

Samedi 12 mai 2012, l’Université Populaire du Goût d’Argentan, à l’invitation de Michel Onfray, son créateur,
rend hommage à Albert Camus, avec Pierre Gagnaire aux fourneaux. La journée s'ouvre par une conférence évoquant les liens entre Gide et Camus.

Programme :

14h à 15h Evelyne Bloch-Dano “Un contemporain de Camus : André Gide, l’amateur de roses…”
15h15 à 16h Concert
15h à 16h Goûter philosophique “le bien, le mal”, Edwige Chirouter.
16h15 à 17h30 Présentation et dégustation de Champagne
17h30 à 19h00 Démonstration culinaire avec Pierre Gagnaire accompagné de Hervé This
19h15 à 20h30 Repas Arnaud Viel Dominique Tulane
20h30 à 22h30 Conférence sur Camus de Michel Onfray avec la participation de Catherine Camus.

Plus d'informations sur le site de l'UPA.

lundi 7 mai 2012

Quelques curiosités en vente


Quelques curiosités à signaler dans la vente de livres et manuscrits (deuxième session des livres modernes) du 16 mai prochain à Artcurial :

Lot 193B
La vie commence demain
1949. Affiche lithographiée, Gaillard, 160 x 120 cm. Graphisme D. Olere. Étonnant documentaire de Nicole Vedrès plus ou moins romancé mettant en vedette Jean-Pierre Aumont (l'homme d'aujourd'hui) qui guide André Labarthe (l'homme de demain) dans une suite de discussions avec des personnalités qui jouent leur propre rôle : Le Corbusier (en architecte), André Gide (en écrivain), Pablo Picasso (en artiste), Jean Rostand (en biologiste) et Jean-Paul Sartre (en existentialiste). Musique de Darius Milhaud. Sortie du film le 15 sept. 1950.

Estimation 800 - 1 000 €



Lot 252
FEUILLETS D'ART
Collection complète en tirage de luxe
Feuillets d'art. Recueil de littérature et d'art contemporain. Paris, Lucien Vogel, 1919-1922. Rare et très belle collection complète de 12 fascicules en ff. : 6 fasc. gr. in-4 (mai 1919-juill. 1920), couvertures à doubles rabats avec liens et 6 fasc. in-8 (oct. 1921-oct.), sous couverture illustrée à rabats.

Avec au n°3 de la 2e série des textes de Tagore traduits par Gide.

Estimation 1 500 - 1 800 €

Lot 437
Georges SIMENON
Correspondance inédite à un fidèle lecteur, 1979-1987
13 l.t.s. (12 in-8,1 in-4) et 4 l.a.s. in-8 (total 19 p.), 15 cartes de correspondance (8 t.s., 7 a.s.), 8 cartes de vœux s., 6 photographies signées, 1 coupure de presse signée. Total de 47 documents a.s. ou s. Enveloppes conservées.

Plusieurs évocations de Gide :
- 25 juin 1981 : « J'ai peu fréquenté les écrivains et à plus forte raison les romanciers car je n'ai jamais aimé les cocktails littéraires ni appartenu à des groupes du même nom. J'ai été fort surpris un jour d'apprendre que Gide désirait faire ma connaissance. Je l'ai donc rencontré. Il m'a beaucoup questionné. Nous nous sommes revus par la suite et avons eu une assez bonne correspondance car il ne cessait de m'écrire pour me poser de nouvelles questions. Lui et moi étions à des pôles opposés. C'était un moraliste et un styliste. Je crois que ce qui l'intéressait en moi c'était le romancier si je puis dire à l'état brut, c'est-à-dire écrivant poussé par l'instinct et non par l'intelligence des soucis de forme. […] Ne pas oublier qu'à cette époque André Gide était une sorte de pontife de la littérature française, ce qui vous explique mon ton respectueux à son égard. Je l'ai très peu lu. »

Estimation 25 000 - 30 000 €

Lot 443
Plusieurs lettres et papiers d'écrivains dont :

Nina BERBEROVA : 1 P.A.S., in-16,1989, encre verte. Les écrivains qui comptent pour elle : Gide, Tchékhov, Proust, Stendhal...

Exposition
du 12 au 14 mai, de 11h à 19h
15 mai, de 11h à 17h

Artcurial
7 rond-point des Champs-Élysées
75008 Paris

mardi 1 mai 2012

Trois rendez-vous en mai



A partir d'aujourd'hui, Yann Moix inaugure pour la revue La Règle du Jeu une série de six entretiens filmés avec Frank Lestringant, auteur de la biographie Gide l'inquiéteur (Flammarion) dont le premier tome est paru en février de l'année dernière, et dont le second tome devrait paraître à la fin de l'année. Présentation de la revue :

Gide revient !

André Gide n’est pas mort. Il a du mal à mourir, depuis le temps que tout voudrait l’enterrer. Il est là, pourtant : contradictoire, plus fou qu’on ne le croie, et surtout plus actuel qu’on ne l’imagine. On l’avait cru enfermé dans le 19ème siècle. Le 21e lui va à ravir. Paradoxe ? Yann Moix et Franck Lestringant interrogent ce phénomène.
Le premier épisode est consacré à l’enfance de Gide à Paris, près du jardin du Luxembourg, à sa relation avec sa mère Juliette Rondeaux, à son homosexualité naissante ainsi qu’à ses “mauvaises habitudes” et à ses racines protestantes.


A partir d'aujourd'hui également et jusqu'au 27 juin, le Théâtre du Nord-Ouest, 13, rue du Faubourg Montmartre à Paris présente la pièce L'ombre d'Oscar Wilde, de Lou Ferreira, philosophe, dramaturge et présidente du cercle Esthétique et Philosophique Wildien. Ou comment Octave et Alice Mirbeau reçoivent Frank Harris, Laurent Taillhade, André Gide, Jules Renard, Edmond de Goncourt et Rachilde pour organiser la défense de l'accusé Oscar Wilde... Plus d'information sur la page Facebook de la pièce et réservations.








Frank Lestringant, encore et toujours lui, sera enfin vendredi 11 mai à 18h30 à la Médiathèque d'Alès pour une conférence sur le thème "Gide et ses racines protestantes", en partenariat avec la librairie Jean Calvin. Présentation :

"À Maurice Barrès, le chantre de l’enracinement, Gide répliquait ironiquement : « Né à Paris, d’un père uzétien et d’une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je m’enracine[1] ? » En vérité, par tous ses ascendants, Gide plongeait ses racines dans le protestantisme : les Rondeaux, du côté maternel, une dynastie normande de marchands et de filateurs ; les Gide du côté paternel, descendants d’un Piémontais émigré en Languedoc au XVIe siècle. Parmi les grandes figures de la famille, on peut mentionner Tancrède Gide, le grand-père d’André, président du tribunal d’Uzès pendant vingt-neuf ans, et Paul Gide, son père, professeur à la Faculté de droit de Paris et spécialiste de droit romain, qui s’était adonné par goût à l’étude du droit comparé. Son domaine de spécialité le portait vers le droit de la famille. À cette lignée de juristes, il faut encore ajouter l’économiste Charles Gide, « l’oncle Charles », qui fut, après la mort de Paul, le tuteur d’André. Charles Gide, qui fut professeur au Collège de France et un ardent deyfusard, admira, bien avant son neveu, la Russie des Soviets et l’y précéda d’une quinzaine d’années.
Protestant malgré tout
Publiée en 1919, La Symphonie pastorale , le récit le plus célèbre de Gide, apparut à certains comme un reniement du protestantisme. L’histoire, comme on sait, se présente sous la forme d’un journal que tient le pasteur de La Brévine, village pauvre et glacial du Jura suisse. Lors d’une de ses tournées, en plein hiver, le pasteur recueille une jeune fille misérable, aveugle de naissance et orpheline, une enfant sauvage dont il entreprend tout à la fois l’éducation et la formation spirituelle. Ses efforts sont bientôt couronnés de succès. Mais la tendre affection que lui porte son père adoptif change de nature, sans que lui-même ni la jeune fille, Gertrude, ne se rendent compte de leur attachement amoureux[2]. Amélie, la femme du pasteur, et Jacques, son fils, ne sont nullement dupes quant à eux. Non sans pharisaïsme, le pasteur se défend contre l’argumentation de Jacques, et oppose à la loi morale dictée par saint Paul, le fondateur de l’Église chrétienne, la loi d’amour professée par Jésus, cette loi de liberté et de joie qu’il prétend suivre aveuglément.
On reconnaît ici un thème cher à Gide, qu’il projetait de développer dans un essai intitulé Le Christianisme contre le Christ  qui le hanta pendant plus de vingt ans et qu’il ne devait jamais écrire. Dans ce livre, il entendait montrer comment, successivement, catholicisme et protestantisme avaient trahi le message de Jésus. Formules extensives à l’origine, puis devenues effroyablement restrictives, les deux Églises avaient substitué aux paroles émancipatrices du Christ un devoir écrasant, un joug insupportable. Gide se sentait vocation à dénoncer cette double imposture et ce scandale. C’est ainsi à peu près qu’il se voyait dans ses moments d’exaltation : il était le prophète et le Christ d’une nouvelle annonce, le héraut d’une bonne nouvelle qui libèrerait l’humanité de la servitude éternelle.
Voici ce qu’écrivait en 1910 dans son Journal  ce protestant de culture et de réflexe, ce protestant malgré tout : « Mais mon christianisme ne relève que du Christ. Entre lui et moi, je tiens Calvin ou saint Paul pour deux écrans également néfastes. Ah ! si le protestantisme avait aussitôt su rejeter saint Paul ! Mais c’est à saint Paul, non au Christ, que précisément Calvin s’apparente »[3]. L’année suivante, en 1911, il revenait sur cette idée : « Qu’il ait nom saint Paul, Luther, Calvin, je sens à travers lui toute la vérité de Dieu se ternir »[4].

Frank LESTRINGANT, professeur à l' Université de Paris-Sorbonne.
 
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[1] André Gide, « À propos des Déracinés  de Maurice Barrès », Essais critiques , éd. Pierre Masson, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 4.
[2] La meilleure exégèse est celle d’Isabelle Cani, « Le pasteur réformé, figure de l'impossibilité d'être chrétien. En relisant La Symphonie pastorale  de Gide », Foi & Vie , hiver 2007, n° 1, mars 2007, p. 34-51.
[3] André Gide, Journal , t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, p. 637.
[4] André Gide, Journal , t. I, p. 687 : « Feuillets » de l’année 1911."