jeudi 26 avril 2012

Appel pour sauver la maison des Amrouche


La statue de Jean El Mouhoub Amrouche à Ighil Ali



Le 16 avril dernier le village d'Ighil Ali en Algérie rendait hommage à l'un de ses plus illustres enfants : Jean El Mouhoub Amrouche. Tout juste 50 ans après sa mort, l'Association Culturelle Taos et Jean El Mouhouv Amrouche d'Ighil Ali organisait une série d'évènements culturels et de rencontres avec l'aide du Café littéraire de Béjaïa et de l'étoile culturelle d'Akbou. Une fête qui culminait dans le dévoilement d'une statue à l'effigie de Jean Amrouche sur la place du village et qui a bien failli ne pas avoir lieu...

« Aussitôt annoncé, le projet [...] n’a pas été du gout de la famille dite « révolutionnaire ». Sous un fallacieux prétexte de l’ambiguïté du combat anticolonialiste de cet écrivain pourtant fortement engagé contre la France coloniale, l'Organisation nationale des moudjahidines (anciens combattants) de Bejaia s'est opposée à l'érection de la stèle à la place centrale du village qui abrite la place des Martyrs. Mieux encore, elle a décidé de déposer plainte contre le président de l'association », apprenait-on quelques jours avant les célébrations sur le site de notre ami Hocine Lamriben, journaliste et fervent défenseur de la famille Amrouche.

Une partie de la presse s'émouvait des pressions et tracasseries administratives faites aux associations qui, courageusement, ont réussi à maintenir le cap et faire en sorte que les célébrations aient lieu. Une victoire de courte durée puisque les ennemis d'une culture ouverte et humaniste veulent désormais s'en prendre à la maison natale des Amrouche. Le site des Dernières Nouvelles d'Algérie relayait hier l'appel au rassemblement le mercredi 2 mai 2012 à 10h devant le siège de wilaya de Bejaïa autour de ces trois mots d'ordre :

"- OUI à la réhabilitation de l’héritage intellectuel et artistique des Amrouche

- NON à la démolition de la maison des Amrouche

- OUI à son classement comme patrimoine culturel national"

Modestement mais fermement, nous ne pouvons que nous joindre à cet appel pour sauvegarder ce lieu qui a vu grandir Jean El Mouhoub, l'ami qui a accueilli Gide en son exil, sa sœur Marie-Louise Taos, écrivain et elle aussi formidable passeur de la culture berbère, mais où a aussi vécu leur mère, Fatma Aït-Mansour, première femme écrivain algérienne. Un lieu emblématique qui doit devenir un musée et demeurer un lieu de culture, de mémoire et de poésie réconciliatrice. 

Pour voir la modeste maison des Amrouche, en apprendre davantage sur eux et soutenir le combat des associations locales : le blog Devoir de mémoire.


 Jean Amrouche eut l'idée de remplacer le jeu d'échec entre lui
et André Gide : ainsi sont nés les entretiens radiophoniques.


mercredi 25 avril 2012

Deux portraits aux enchères



Deux portraits de Gide passent bientôt aux enchères : l'un de 1946 par Dunoyer de Segonzac et offert par Gaston Gallimard au collectionneur David Van Offel en 69 pour services rendus (vente Millon & Associés le 27 avril à Drouot) et l'autre par Foujita pour illustrer le André Gide par Valéry, Gide, Bernstein (Editions du Capitole, Paris, 1928) et signée par Gide et Foujita (vente Ader le 11 mai à Drouot). Les détails des lots sont à retrouver du côté du blog iconographique : imaGide.


A signaler aussi parce qu'ils sont assez rares, les numéros de la revue Verve (qui avait publié Quelques réflexions sur l'abandon du sujet dans les arts plastiques dans son premier numéro) qui passeront le 16 mai lors de la vente Alde à la salle Rossini :

VERVE. — Volumes I, nos 1-2, 4 ; II, nos 5-6 ; IV, nos 14-15, 16 ; VII, nos 25-26 ; VIII, nos 29-30, 31-32.
Paris, La Revue Verve, 1937-1955. Ensemble 14 numéros en 8 volumes in-4, cartonnage et broché, couvertures illustrées.

Célèbre revue artistique et littéraire, créée par Tériade, ornée de lithographies de Picasso, Braque, Matisse, Derain, Kandinsky, Masson en couleurs et en noir, dont certaines sur double page. Nombreuses reproductions de photographies, de peintures en quadrichromie ou en héliogravure, en noir et en couleurs. Textes de Henri Michaux, André Gide, Paul Valéry, Daniel-Henry Kahnweiler, Georges Bataille, André Malraux, André Suarès, etc.
Dos du n° 29-30 légèrement décollé.

D'autres numéros de cette revue figurent dans les lots suivants ainsi que plusieurs livres de Gide au cours de la vente : voir le catalogue en ligne


mardi 24 avril 2012

Sur les traces de Louis Gérin


L'édition du Oscar Wilde. In Memoriam (souvenirs). Le « De Profundis » d'André Gide présentée dans le précédent billet attire notre attention sur un personnage qui croisa l'orbite gidienne en 1933. L'achevé d'imprimé explicite en effet qui est derrière les Editions La Centaine : « Cet ouvrage a été achevé d'imprimer le trente et un janvier mil neuf cent quarante-quatre, par le maître imprimeur N.-Edg. Piérard, pour le compte de « la Centaine », Louis Gérin, éditeur à Paris, avec les bandeaux et lettrines de Marcelle Meunier. »

On croise Louis Gérin pour la première fois en mai 1934 dans les Cahiers de la Petite Dame :

« Aujourd'hui il a reçu la visite du jeune L. G., ce mineur du Borinage. « Vous savez bien, me dit-il, celui dont je vous ai parlé et que je suis déjà allé voir en Belgique. » C'est la première fois que j'en entends parler et je tâche d'entrer tout de suite dans son histoire : vingt ans, marié, chômeur momentané, s'est mis en tête d'écrire un grand roman pour révéler ce qu'il a vu dans la mine et parmi ses compagnons. Malgré une instruction tout élémentaire, il travaille à la mine depuis l'âge de quatorze ans, il a beaucoup lu, l'instituteur lui prêtait des livres, c'est par la lecture qu'il a connu Gide, il a pour lui une admiration éperdue et a lancé vers lui des cris de détresse voici sept à huit mois. C'est la première fois qu'il vient à Paris. Gide me l'amène le soir, étonnamment distingué et fin, niveau ahurissant quand on songe à ses origines et à sa vie, accent belge, grande simplicité. Il est très ému de voir le portrait de Verhaeren qu'il reconnaît tout de suite. Gide lui en montre d'autres qui sont à mes murs, les noms de Rimbaud, Flaubert éveillent chez lui quelque chose de précis, cela se lit sur sa physionomie. Il dit très simplement qu'il croyait que Gide habitait à Paris un petit hôtel entouré de fossés ! Gide a fait dresser pour lui un lit dans la chambre à côté de la sienne. Je songe avec émotion à la joie qu'il doit éprouver devant cet accueil et la gentillesse des procédés de Gide. » (Cahiers de la Petite Dame, t. II, p.382, mai 1934)

C'est en 1933 que Gérin et Gide commencent à échanger leurs premières lettres*. A l'été 1933, Gide sillonne les Ardennes belges et séjourne à Bruxelles où se fait leur rencontre. La figure de Gérin, son parcours fascinent Gide. Ils ne sont pas sans rappeler ceux de Last, Malaquais ou Gavillet, organes d'un corps social inaccessible par lesquels Gide peut voir, sentir, toucher les réalités des combats qui se mènent**.

Mais dès le début l'attitude thuriféraire de Gérin déplait à Gide :

« Une lettre de Louis Gérin qui me désole, et que je déchire aussitôt. Si, plus tard, on la retrouvait, elle nous couvrirait tous deux de ridicule. Comment lui faire comprendre et sentir que rien ne peut m'être plus désobligeant que cette sorte de culte qu'il me voue ? J'en viens à souhaiter que son adoration soit jouée, et je vais, en retour, devoir jouer la froideur. Tant pis pour lui; je l'ai suffisamment averti. C'est lui qui met entre nous de la distance ou plutôt qui me force à en prendre, car je ne puis endurer l'encens. Peut-être aura-t-il, plus tard, connaissance de ces lignes. Je les écris pour l'éclairer. » (Journal, 22 juillet 1934)

Louis Gérin revient à Paris pour le Congrès International des Ecrivains en juin 1935. Le Vaneau se transforme en dortoir. Pour Gérin « On dresse un lit, on met une clef sous le paillasson et une lettre piquée sur la porte. » (CPD, t.II, p. 394). Les jeunes militants donnent leur avis sur Geneviève, le récit communisant que Gide a sur le feu. Gérin étant à même « de lui faire des suggestions du point de vue des réalités ». (CPD, t.II. p.470)


 Profondeur 1400, de L. Lecharolais alias Louis Gérin
Le Renaissance Du Livre, 1943


De son côté Gérin, qui a déjà écrit en 1932 un livre passé inaperçu intitulé Une femme dans la mine, veut à nouveau témoigner de cette expérience. Ce sera Profondeur 1400, qui paraîtra en 1943 sous le pseudonyme de Ludovic Lecharolais : s'inscrivant dans la tradition du roman minier***, il reste, si l'on ose dire, à la surface psychologique. Lisant dès 1934 le manuscrit, Gide essaie d'ailleurs de lui montrer l'ampleur du projet quand il lui écrit le 17 janvier que son livre « se heurte à l'ombre redoutable de Germinal de Zola ». 

Malgré les conseils de Gide, Profondeur 1400 s'en tient à un pathétique qui relègue au second plan tous les aspects sociaux. Un peu de la façon dont Léautaud raconte dans son Journal comment Louis Gérin lui arrachait des larmes avec la vie des chevaux de mines****. C'est aussi ce qui explique que le livre ne sera pas revendiqué par les mouvements politiques et pourra paraître sans encombre sous l'Occupation.

Mais dès 1937, Gérin qui est alors journaliste pour différents journaux de gauche dont celui de la C.G.T., a d'autres projets de livres. Dont un avec Gide... qui n'était pas au courant :

« Tout ce matin, j'ai senti une grande agitation à côté, sans y être mêlée, et j'apprends au déjeuner que c'est une fort sotte histoire entreprise par Louis Gérin pour se pousser. Il veut interviewer tous les écrivains de tous les pays sur ce qu'ils pensent du Retour de l'U.R.S.S., et sans en rien dire, il a signé un contrat avec un éditeur! Comme Gide lui refuse son consentement (ce livre doit aussi contenir des pages inédites de Gide), il lui répond une lettre aussi absurde qu'irritante. Tout cela est sans grand intérêt, mais il s'agit de ne pas déchaîner cet être qui manque un peu de niveau et de délicatesse. » (CPD, t.II, pp. 631-632, 23 janvier 1937)

L'agacement de Gide est à son comble en juillet alors que les manœuvres de Gérin se poursuivent :

« Il se laisse aller à me parler avec une certaine amertume de Louis Gérin, cet ex-mineur. S'étant stupidement figuré qu'il pourrait vivre de sa plume à Paris et n'ayant vraiment rien à dire en dehors de son expérience de la mine, il exploite sans tact ni mesure son amitié avec Gide, fait des articles pénibles***** en racontant des choses sur lui, en citant ses paroles, et menace de vendre ses lettres. Tout cela est à la fois grotesque et gênant. » (CPD, t.III, pp.27-28, 8 juillet 1937)

Si la correspondance avec Gide s'arrête en 1937, il reste à trouver la traces de nouveaux échanges, probablement en 1943, pour préparer cette nouvelle édition des souvenirs du Wilde accompagnée d'une courte préface en forme d'addendum. Voilà qui s'inscrirait dans l'étrange activité éditoriale de Gide, alors réfugié en Afrique du Nord, et dans ses habitudes de continuer à aider des amis anciens.Ou alors Gérin aurait-il repris le texte et la préface sans l'autorisation de Gide ?

La biographie de Louis Gérin reste à écrire, notamment pour dissiper les brumes qui entourent ces années de guerre où il fonde les Editions de la Nouvelle Revue Belgique qui publieront par exemple le célèbre pastiche de Baudelaire par Pascal Pia ou la réédition d'Aytré qui perd l'habitude de Paulhan. Si l'on en croit son compatriote Jacques Sternberg, le prolifique auteur de fantastique et de science-fiction : « L'homme qui va assister toute [sa] vie matérielle durant dix-sept ans s'appelle Louis Guérin, ex-mineur devenu éditeur fortuné pendant la guerre et il publie [sa] première plaquette de contes dans son Club de Livres. »******



 Profondeur 1400, de Louis Gérin
Le Club du Livre du Mois, 1960


On a longtemps attribué à Claude Tchou la création du Club du Livre du Mois. C'est un peu plus compliqué que cela et Louis Gérin a joué un rôle non négligeable dans cette création. Inspiré du modèle inventé par l'industriel sucrier américain Sherman*******, Louis Gérin propose au Musée du Livre de Bruxelles, musée du syndicat de l'industrie du livre fondé en 1906 et qui organise des expositions et des conférences, de créer ce club du livre qui connaîtra des milliers d'abonnés en Belgique et au Congo.

En 1949 Louis Gérin exporte en France le Club du Livre du Mois, premier concurrent au Club Français du Livre lancé en 1947 par l'Allemand Paul Stein, alias Jean-Paul Lhôpital, et l'Américain Stéphane Aubry. Claude Tchou en suivra l'activité commerciale puis la dirigera. Il faut toutefois avouer qu'il est difficile de se repérer dans la complexité de ces clubs qui furent nombreux dès les années 50, chacun comprenant plusieurs noms de collections ou de clubs dans le club.

Louis Gérin continuera aussi à éditer en son nom propre des œuvres à faible tirage, illustrées et sur beau papier. Il meurt en 1980 à l'âge de 66 ans, dans un oubli général un peu injuste. Son nom ressortira peut-être lorsqu'on se penchera sur l'histoire des clubs de livres, en débrouillant par exemple le pataquès (d)écrit par Alban Cerisier il y a quelques années sur le sujet******** ? En attendant on se reportera sur l'édition de sa correspondance avec Gide qui, par delà les brouilles et même la mort, continue à assurer la postérité de ceux qui furent un temps ses amis...


_________________________________

* La Correspondance André Gide – Louis Gérin (1933-1937), établie, présentée et annotée par Pierre Masson, est parue en 1996 au Centre d'Études Gidiennes.
** Voir l'article Louis Gérin, écrivain prolétaire, de Pierre Masson, BAAG n° 105, janvier 1995, pp. 27-38.
*** Voir M. Gheysen : Recherches sur le roman minier. « Profondeur 1400 » de Louis Gérin, mémoire de licence, UCL, 1983
**** « Avant la visite de Jaloux, ce soir, celle de Louis Gérin. Il me fait un tableau du sort des chevaux de mine, passant leur vie entière, dix-neuf ans ou plus, sous terre, à la lumière ou dans la nuit, ne remontant au jour que pour mourir, souvent couverts de blessures, aux oreille notamment, blessures qu'on raccommode le plus souvent avec du fil de fer. Ces chevaux, pourtant, doux, sensibles, intelligents, connaissant par cœur les détours de la mine, le temps de leur travail, jusqu'au nombre de bennes qui compose leur besogne quotidienne, refusant de continuer quand ce nombre est atteint, vivant là, êtres animés, dans une sorte de tombe. Il me donne ce détail: quand de jeunes chevaux arrivent dans la mine, pour y trouver le même sort, les vieux viennent à eux, les examinent, les flairent, comme pour respirer sur eux l'odeur de l'air et du grand jour, s'attachent à eux, les suivent, les accom­pagnent, comme des anciens qui mettent les bleus au courant. Gérin me dit qu'on n'a jamais rien pu obtenir pour améliorer le sort de ces malheureuses bêtes. Lui qui a été mineur, qui a vu de près l'existence qui leur est faite, il a écrit un jour, dans un jour­nal de la localité, un article révélant nombre de faits de cruauté. La Compagnie, intentant un procès à ce journal, a obtenu, contre lui. une condamnation à des dommages-intérêts assez élevés. Rares sont les mineurs qui s'attachent à un cheval ou à un autre, et lui apportent du dehors de petites gâteries, des carottes, par exemple. En général, des êtres extrêmement frustes, qui jugent leur propre sort pénible et misérable, et partent de là pour juger que celui de ces bêtes ne compte pas. Je détournais la tête pendant que Gérin parlait, tant j'avais de peine à retenir mes larmes. » (Paul Léautaud, Journal, entrée du 9 décembre 1937)
***** Par exemple A douze cents mètres sous terre. En visite chez les mineurs du Borinage, André Gide nous dit..., paru dans les Nouvelles Littéraires du 3 juillet 1937 (et repris dans le BAAG n°37, janvier 1978, pp. 18-23).
****** Biographie de J. Sternberg par lui-même dans Oeuvres choisies, La Renaissance du Livre, 2001. A lire en ligne ici.
******* Louis Gérin signera d'ailleurs lui-même un article sur Sherman dans le bulletin du club : Une histoire du sucre, Louis Gérin, président du Club du livre du mois, Club du livre du Mois-Amitié par le livre - Plaisir de lire, Liens, nouvelle série n°2, Ed. Star Press, Bruxelles, 1949.A lire en ligne ici.
******** Alban Cerisier, Les clubs de livres dans l'édition française (1946-1970), Bibliothèque de l'Ecole des Chartres, tome 155, juillet-décembre 1997, Droz, Genève.

vendredi 20 avril 2012

Préface aux souvenirs sur Wilde


Oscar Wilde. In Memoriam (souvenirs). Le « De Profundis », André Gide
 Editions La Centaine, 1944, Paris


« Notice

J'en préviens aussitôt le lecteur : ceci n'est ni une biographie d'Oscar Wilde, ni une étude sur ses œuvres, c'est la simple réunion de deux esquisses qui n'ont pas même le mérite de l'inédit, mais que le public, de plus en plus nombreux pour s'intéresser au grand poète irlandais, ne savait où trouver, l'une restant enfouie dans un volumes de critiques diverses (1), l'autre n'étant pas encore sortie du numéro de l'Ermitage où je la publiai en août 1905.

Incapable de ne rien récrire, je les redonne toutes deux sans changer un mot à leur texte, bien que, sur un point tout au moins, mon opinion se soit profondément modifiée : Il me paraît aujourd'hui que dans mon premier essai j'ai parlé de l’œuvre d'Oscar Wilde, et en particulier de son théâtre, avec une injuste sévérité. Les Anglais aussi bien que les Français m'y invitaient, et Wilde lui-même montrait parfois pour ses comédies un amusant dédain auquel je m'étais laissé prendre. J'avoue que longtemps je crus donc qu'il ne fallait voir dans un Mari idéal ou dans une Femme sans importance, que des amusements dramatiques « of no importance » eux aussi. Certes je ne suis pas venu à considérer ces pièces comme des œuvres parfaites ; mais elles m'apparaissent, aujourd'hui que j'ai appris à les connaître mieux, comme des plus curieuses, des plus significatives, et, quoi qu'on en ait dit, des plus neuves du théâtre contemporain. Si déjà la critique française s'est étonnée de l'intérêt qu'elle put prendre à la récente représentation de Lady Windemere's fan, que n'eût-elle pensée des deux autres pièces !

Enfin, à qui sait habilement écouter, le Mari idéal et la Femme sans importance en racontent long sur leur auteur - ainsi du reste que chacune de ses œuvres. L'on peut presque dure que la valeur littéraire de celles-ci est en raison directe de leur importance confidentielle ; et j'admire encore de combien peu de surprise l'évènement était capable, dans une vie si étrangement consciente où le fortuit même semblait délibéré.

(1) Prétextes (Mercure de France) »

mardi 17 avril 2012

Une rencontre à Fès




Célèbre surtout pour ses biographies qui n'a pas lu son La Fontaine, ou la vie est un conte ? Jean Orieux est aussi l'auteur d'une dizaine de romans dont le premier, Fontagre, paru en feuilleton dans la revue Fontaine en 1942, puis aux Éditions de la revue Fontaine en 1944 et repris par Flammarion en 1946, obtiendra cette même année le Grand Prix du roman de l'Académie française.

Il commence l'écriture de ce roman, qui aura des suites façon « saga familiale », dans le Limousin où il est inspecteur de l'enseignement primaire, et la poursuit en Afrique du Nord : en 1941 il est d'abord nommé à Oran en Algérie, puis au cours d'un voyage au Maroc, il est pris par le charme de Fès. Le Maroc deviendra dès lors sa seconde patrie où il séjournera régulièrement jusqu'en 1987. Malade, il rentre en France où il meurt en 1990.

Ces rapides repères biographiques seront utiles pour évoquer la rencontre entre Gide et Orieux. Jean Orieux la raconte dans l'un des livres de souvenirs qu'il a également publiés : Des figues de Berbérie (Grasset, 1981). Ce livre écrit en 1980 reprend les notes consignées pendant le court séjour qu'Orieux effectua à l'été 1942 au Maroc, à Fès essentiellement. Or si c'est bien à Fès qu'eut lieu la rencontre, il y a un problème de date...

Orieux situe sa rencontre entre août et septembre 1942 (il quitte Fès le 6 septembre). Mais Gide ne sera à Fès qu'en 1943 où il loge chez Christian Funck-Brentano. Dans une note en bas de la page consacrée à ce face-à-face, Orieux prévient : « Il ne m'est pas possible de dater cette rencontre qui a eu lieu à la fin de mon séjour — en août 1942 — mais j'ai fait un second séjour en août 1943... » Quand bien même puisque c'est en octobre que Gide est à Fès...

Voilà ce qui explique sans doute pourquoi Gide n'a plus Fontagre en mémoire, paru un an plus tôt dans Fontaine (dont on a confirmation par le Journal qu'il a lu le premier numéro donnant le feuilleton : « Jean Lambert, dans son article sur Schlumberger (Fontaine, 21)... », entrée du 16 juillet 1942). On s'étonnera de ce manque d'exactitude chronologique chez ce biographe réputé pour son minutieux travail de fiches. Moins du contenu de la rencontre qui est ressemblant et montre un Gide familier. 



 Jean Orieux, Des figues de Berbérie,
Editions Grasset, 1981


« 3 août
Dans le même courrier, j'apprends que les premiers chapitres de Fontagre ont paru dans la revue Fontaine. C'est Henri Hell qui les prenait chez moi, à Oran, et les portait à Max-Paul Fouchet à Alger. Ce sont les lettres des premiers lecteurs qui m'annoncent cette nouvelle. Ils ont aimé le début du roman. Ils ont cherché et trouvé dans Fontagre ce que j'ai essayé d'y mettre : le retour vers l'enfance et les racines pour échapper au monde horrible de 1942.
De Rabat, un mot gentil du cher Jean Denoël qui m'avertit qu'André Gide est à Fès. Un monument de plus dans la capitale ! Jean Denoël me dit que je devrais le visiter. »
(Des figues de Berbérie, Grasset, 1981, p. 180)


« 16 août
Avant son départ, Si Kadour m'avait dit : « Si vous avez un moment, allez faire un tour à l'entrepôt pendant mon absence. M. Laffairé sera content de vous voir, et vous me donnerez des nouvelles à votre retour. » Je ne suis pas certain que M. Laffairé soit impatient de me voir mais comme ce matin il fait frais, je me propose d'aller à pied depuis Bougeloud jusqu'à l'entrepôt. Je retrouverai également Si Saïd qui me demande toujours de revenir au bureau : « Viens, ce sera bon plaisir », me dit-il gentiment.
A peine ai-je fait dix pas que je tombe sur le guide qui me reproche de toujours dire « non » bien qu'à part cela, il juge que je parle bien. Comme je ne suis pas sûr de retrouver le chemin de l'entrepôt, je l'embauche. Chemin faisant, je lui demande s'il connaît telle adresse. C'est celle d'André Gide que Jean Denoël m'a communiquée en me recommandant d'aller faire une visite au pontife. Cela n'est pas urgent. Si sa maison est d'accès facile, je pourrai, une fois qu'on me l'aura montrée, y aller seul.
Mon guide connaît M. Gide et sa maison. Celle-ci, me dit-il, appartient à un Suisse qui la prête à ce monsieur un peu bizarre qui porte un chapeau rond, ne parle à personne, mais va souvent dans les petits cinémas de la Médina. Pour le chapeau, j'y crois. Pour les cinémas, j'en doute : on y passe de vieux westerns pour les traîne-savates des quartiers pauvres. Mais, après tout, les guides savent tout. Le mien me montre la maison de Nathanaël et c'est lui qui me questionne sur le personnage. Je lui réponds que je ne le connais pas. »
(Ibid. pp. 213-214)



Fès, vue du Mellah


« Nathanaël ne sort pas sans masque (1)

C'est décidé, Jean Denoël m'écrit que Gide me recevra à 5 heures. Heureusement, les grosses chaleurs sont passées. Je vais à pied, je contourne la ville en longeant extérieurement les remparts. Personne sur ce chemin, c'est la campagne. Les parties hautes et rocheuses ne sont que terrains secs où paissent quelques moutons gardés par de petits pâtres en tunique courte. L'un d'eux court se cacher derrière un rocher, se montre, chante et se cache de nouveau. Dans les fonds, l'eau arrive et ce sont des jardins d'oliviers, de figuiers, de grenadiers. Les parties potagères sont encloses dans des claies de roseaux. Tout semble inhabité. Erreur : on est observé de tous côtés. Dans le lointain, les hautes montagnes de l'Atlas se dessinent dans un voile bleu. C'est rare, en été, car les brumes de chaleur noient l'horizon et salissent le ciel.
Soudain, à vingt pas devant moi, M. Gide, un livre à la main, m'examine derrière ses lunettes. Il me sourit avec assez de gentillesse pour que je croie qu'il sait qui je suis et qu'il m'attend. Je verrai bientôt que je me suis trompé — ou qu'il a oublié à la fois mon nom et ma visite — ou qu'il fait comme si. Tout en parlant de riens, nous remontons le chemin pour gagner sa villa toute proche.
Il ressemble assez à ses portraits. Je le croyais cependant plus grand. Il a une forte ossature, peu de chair. Sa calvitie est jaune, marquetée de taches brunes. Il n'a pas l'air bien lavé, sans doute l'est-il, mais il ne donne pas l'impression de la netteté. Cela m'a surpris. L'œil est moins vif que je ne le croyais, sous des sourcils épais et longs qui retombent sur ses lunettes, mais le regard est lourd et appuyé, un peu gênant. M. Gide est calme, il n'est ni plus vieux, ni plus jeune que son âge.
Il me demande ce que je fais dans la vie. Je lui dis, en quelques mots, en quoi consistent mes nouvelles fonctions en Algérie. Il trouve cela très intéressant. Il m'étonne, mais puisque cela l'intéresse j'essaie de lui parler d'une petite découverte que j'ai faite dans les archives administratives. Ce sont des rapports de l'Alliance israélite universelle qui apportent des témoignages très curieux et très vivants sur la vie des communautés juives au XIXe siècle dans certaines villes d'Afrique du Nord. Je me souviens de démêlés insensés au sujet d'un tribut très particulier auquel étaient soumis les bouchers du Mellah : ils étaient obligés de fournir une quantité fixe de foie de veau à certaines grandes familles afin de nourrir les magnifiques chats persans qui faisaient l'ornement de leurs salons et de leurs riads. Cette fourniture donnait lieu à des procès dont les attendus étaient si subtils qu'ils en devenaient comiques mais étaient très révélateurs de la nature des relations existant entre les deux communautés. M. Gide fait des Oh ! des Ah ! de pure forme. J'ai peur — pour lui — qu'il ne finisse par ressembler à Paul Reboux, excellent homme, un peu léger, qui répondait à tort et à travers : « Oh ! que c'est drôle ! Oh ! que c'est curieux ! oh ! que c'est passionnant ! », alors qu'il n'avait même pas écouté.
Nous nous asseyons sur la terrasse de sa maison. Je ne dis rien de ce que je voulais lui dire de son œuvre que j'admire. J'ai tout oublié. La grisaille s'épaissit un peu entre nous. Je regarde le ciel au-dessus des remparts tout proches. La lumière sur un grenadier chargé de fruits, d'un vert intense tout strié de pourpre, est admirable. Une domestique marocaine, que les Européens appellent, fatma, vient demander des allumettes. Il n'y en a pas. Je propose mon briquet. Mais la femme ne sait pas l'allumer. Je le fais, et la voilà partie avec la flamme. Toute l'essence va y passer, et pour en trouver ce n'est pas une mince affaire !
M. Gide parle du temps présent : il y a de quoi dire, en 1942. Il parle du patriotisme : « Je ne crois pas au patriotisme en général, dit-il, qu'en pensez-vous ? Que croyez-vous qu'il entre dans le patriotisme du peuple ? » C'est une colle. J'aurais pu lui répondre que le patriotisme populaire était ce je ne sais quoi, mal analysé, mais puissant, qui fait que les gens se sentent attachés à ceci, à cela, à mille choses qu'ils ne trouvent que dans leur pays et qu'ils n'apprécient que lorsqu'ils les perdent. Mais j'ai voulu distinguer les éléments sentimentaux et les éléments intellectuels du patriotisme, les héréditaires et les acquis, etc. Bref, je faisais l'imbécile et je le sentais en parlant. La vérité du patriotisme populaire est à la fois plus simple, plus confuse et plus forte que mes « éléments ». C'est le sentiment (2), parfois passionné, d'appartenir quoi qu'il arrive à un pays, même si ce sentiment est absurde.
Peu importe, il est le plus fort et il suffit à justifier l'attachement d'un peuple à sa patrie. J'avais l'impression de repasser un examen devant ce professeur tassé dans son fauteuil et m'épiant du coin de l'œil. J'ai pataugé.
J'ai déjà remarqué qu'il a une façon rapide d'acquiescer qui ne me dit rien qui vaille. Aucune discussion — ni même aucune conversation un peu agréable ne peut s'instituer. Il n'apporte rien. Je pense que je l'ennuie et j'en suis certain lorsqu'il me demande quel chemin je compte prendre pour rentrer en ville. Je me lève, lui aussi. J'aimerais toutefois récupérer mon briquet. En ces temps de pénurie et en Afrique, on trouve rarement de l'essence, mais un briquet neuf, jamais. La fatma le cherche un moment, le retrouve. Dieu soit loué ! Il n'y a plus d'essence et la mèche est carbonisée.
M. Gide met son chapeau rond et me fait un bout de conduite. Je lui parle de Jean Denoël. « Ah! vous le connaissez ? » me dit-il. Le coup est dur. Quelle comédie joue-t-il ? Jamais je ne pourrai croire que Jean Denoël en qui j'ai une confiance absolue m'a envoyé chez Gide sans l'avoir prévenu et sans être sûr qu'il voulait bien me recevoir. Peu importe, la visite est terminée, je vais le saluer et m'envoler. Pas du tout, il a maintenant envie de parler.
Il s'intéresse au Limousin. Je donne dans le panneau, je parle de Saint-Yrieix, des bois, des étangs, des gens que j'aime, du ciel et des saisons... M. Gide me donne vite un bon point pour aimer un pays aussi triste et aussi ennuyeux. Puis il me demande : « Montauban, c'est en Limousin ? » Je me retiens de lui répondre que c'est au Manitoba. Mais je crois que cela lui est parfaitement indifférent. Il n'éprouve aucune curiosité pour les pays ni pour les gens qui les habitent — sauf s'ils sont dans des livres. Comme il ne semble pas disposé à me laisser aller mon chemin, je continue à parler jusqu'à la porte du rempart où je prendrai congé. Je lui dis que j'ai écrit. Il s'étonne et s'intéresse (comme si Jean Denoël ne l'avait pas mis au courant !). Il me demande quel est le sujet de Fontagre, il m'écoute, impénétrable. A la fin, il trouve le sujet triste et démoralisant. « La chute et la ruine d'une famille, croyez-vous que ce soit un bon exemple à proposer à un pays vaincu ? » Et il me fait ensuite un petit sermon dans le style « Travail, Famille, Patrie », selon la devise du jour. Je reste pantois devant ce vichyssisme d'un auteur si maltraité par Vichy, devant ce moralisme soutenu par l'auteur de l'Immoraliste. Mais il n'est pas troublé, il est sérieux comme un Suisse : il se mettait à couvert.
Il me demande si je n'ai pas d'autres projets littéraires. Mais si, bien sûr. Mon cœur bondit, je lui parle de mes Nouvelles. Je lui raconte Menus Plaisirs, l'histoire de deux adolescents qui se rencontrent le jeudi aux « Matinées classiques », le trouble qui les prend, l'attirance et le refus, sur fond de Bérénice et de Phèdre... M. Gide est tout oreilles. Je le sens captivé. Il est si attentif qu'une fois, je me trompe de prénom et je dis Bernard au lieu de Julien. Vivement, il me reprend : « Non, ce n'est pas Bernard qui dit cela, c'est Julien. » Ce trait m'enchante et lui aussi. Il a rajeuni, son œil brille. Lorsque, à la fin, je lui dis qu'ils échangent leurs mouchoirs sous le guéridon du café, il fait : « Ah ! », met sa main sur mon bras et me dit : « Ces jeunes gens sont bien plus émouvants que vos Fontagre. »
Le mouchoir de Julien et de Bernard lui a fait oublier « Travail, Famille, Patrie ». Sur ce semblant de sourire, je dis bonsoir à Nathanaël.

1. Il ne m'est pas possible de dater cette rencontre qui a eu lieu à la fin de mon séjour — en août 1942 — mais j'ai fait un second séjour en août 1943...
2. C'est ce que Jaurès, parlant de la patrie, disait aux ouvriers : « Vous êtes attachés à ce sol par vos souvenirs et vos espérances, par vos morts et par vos enfants... »
(Ibid. pp.256-260)

vendredi 13 avril 2012

A Drouot le 27 avril

Une belle vente de photographies, autographes, dessins humoristiques et livres est annoncée le 27 avril à 14h30 à Drouot. Plusieurs lots intéressants avec notamment le manuscrit autographe des fragments des Nourritures terrestres pour la revue L'Ermitage et celui de l'épisode de la vente du manuscrit de Claudel pour les réfugiés espagnols (voir aussi les Conversations avec André Gide de Claude Mauriac), un exemplaire des Lettres à Angèle dédicacé à Madeleine ou celui des Nourritures terrestres à Maria van Rysselberghe.



LOT n°36
GIDE (André)
« Les Nourritures Terrestres. Fragments I et II »
Manuscrit autographe, signé [Blida] Mars 1895; 2 pages in-4; 2 pet. fentes.

UN DES PLUS BEAUX TEXTES DES NOURRITURES TERRESTRES. Ces manuscrits étaient destinés à être publiés dans la revue l'Ermitage.
I) « Blidah ! Fleur du soleil ! Dans l'hiver sans grâce et fanée, au printemps tu m'as paru belle. Ce fut un matin pluvieux; un ciel indolent, doux et triste; et les parfums de tes arbres en fleurs erraient dans tes longues allées. Jet d'eau de ton calme bassin; au loin le clairon des casernes. Voici l'autre jardin, bois délaissé, où luit faiblement sous les oliviers la mosquée blanche. - Bois sacré! Ce matin vient s'y reposer ma pensée infiniment lasse et ma chair épuisée d'inquiétudes d'amour... » [page 172 de l'édition originale].

II) « Je suis la source, où j'irai rafraîchir mes paupières, // Le bois sacré; je connais le chemin. // Les feuilles la fraîcheur de cette clairière, // J'irai le soir quand tout saura s'y taire // Et que déjà la caresse de l'air // Nous invitera plus au sommeil qu'à l'amour // Source fraîche où toute la nuit va descendre // Eau de glace où le matin transparaîtra // Grelottant de blancheur. Source de pureté...// Quand j'y viendrai laver mes paupières brûlées » [page 173 de l'édition originale avec variante]
est. 6000-8000€


LOT n°37
GIDE (André)
« Je me frotte les mains. Je viens de jouer un tour à Paul Claudel »
Manuscrit autographe de 8 pages in-8.

Texte de premier jet, inédit, avec nombreuses ratures et corrections, comportant deux versions successives. Il a été rédigé suite à un article de Paul Claudel, paru dans le Figaro et opposé à un article de F. Mauriac. Dans les Cahiers de la Petite Dame page 148 à la date du 25.9.39 la confidente de Gide note « Je lui montre un article de Claudel paru dans le Figaro littéraire d’hier qui s’oppose à une phrase de Mauriac “Tant que la misère sera un résultat normal de la société, telle qu’elle fonctionne actuellement, le chrétien ne devrait avoir aucune paix” avec une certaine mauvaise foi et beaucoup de platitude, il (Gide) se montre fort indigné et dit “ Ce genre de chose m’exalte aussi, cela me fouette le sang” » [selon Gide il s’agirait de P. Maritain et non de Mauriac].
« Il (P. Claudel) vient, par main forcée, de donner 20.000 f. pour les réfugiés espagnols. Pour l’obliger à ce geste de charité involontaire Dieu m’a depuis longtemps mis sur sa route ; a poussé Claudel à m’offrir le manuscrit de PROTÉE (qui n’est sans doute pas une de ses meilleures pièces, mais dont j’avais goûté la verve épaisse... Claudel savait quelle confiance il pouvait avoir en moi… Je ne m’en serais certes pas séparé sans l’article qu’il vient de faire paraître dans le Figaro»

est. 800-1000€

LOT n°157
GIDE (André)
Les Cahiers d'André Walter. Œuvre posthume. Paris, Perrin et Cie, 1891; in-12 demi-mar. brun, dos (éclairci) orné de fil. dor. (Rel. de l'époque).

VÉRITABLE ÉDITION ORIGINALE parue anonymement, avant l'édition de l'Art Indépendant. Pilonnée à l'initiative de l'auteur qui la jugeait incorrecte, sauf 70 exemplaires de presse, jamais mis dans le commerce [Naville p. 37, I et II]

est. 450-600€


LOT n°158
GIDE (André)
La Tentative amoureuse. Premières épreuves corrigées. [Imprimerie Paul Schmidt Paris-Montrouge. 8 7bre 1893]; en placards, sous chemise demi-mar. rouge à coins, emb. (Semet et Plumelle).

Précieuses premières épreuves comportant de NOMBREUSES CORRECTIONS et AJOUTS AUTOGRAPHES : corrections tant littéraires que typographiques. Une page entière est autographe: « Alors me direz-vous ma sœur. Aucunes choses ne méritent de détourner notre route; embrassons les toutes en passant; mais notre but est plus loin qu'elles... ». Qq. défauts de papiers, fentes

est. 1800-2000€

LOT n°159
GIDE (André)
Feuilles de Route. 1895-1896. S.l.n.d. [Bruxelles, Vandersypen, 1899]; in-8 demi-chag. fauve, tête dor., non rog., couv. (Blanchetière).

ÉDITION ORIGINALE, tirée à petit nombre sur Vergé.
ENVOI AUTOGRAPHE, signé à André RUYTERS

est. 300-500€


LOT n°160
GIDE (André)
Lettres à Angèle. 1898-1899. Paris, Mercure de France, 1900; in-12 br., sous chemise rel. demi-mar. noir, emb. (Huser).
ÉDITION ORIGINALE tirée à 300 exemplaires sur Hollande; qq. pet. rousseurs.
PRÉCIEUX EXEMPLAIRE DE MADAME ANDRÉ GIDE, portant cet ENVOI AUTOGRAPHE signé « À Madeleine. André. Cuverville Août 1900 »

est. 1500-2000€


 
LOT n°161
GIDE (André)
Prétextes... Paris, Mercure de France, 1903; in-8 demi-chag. noir, dos orné en long, couv. (Bonleu).
ÉDITION ORIGINALE. Exemplaire provenant de la Bibliothèque de Édouard DUCOTÉ avec ex-libris, portant un ENVOI AUTOGRAPHE, signé d'André GIDE « bien amicalement »

est. 200-400€


LOT n°162
GIDE (André)
Dostoïevsky d'après sa correspondance. Extrait de la Grande Revue. Numéro du 25 Mai 1908. Paris, Jean et Berger; gr. in-8 demi-mar. violet foncé à gr. long, coins et perc. violine, dos orné de fil. dor., couv. (Morrell à Londres).
Première édition séparée. ENVOI AUTOGRAPHE, signé, sur la couverture « à André Ruÿters »

est. 300-400€


LOT n°163
GIDE (André)
Les Nourritures Terrestres. Paris, N.R.F., 1917; in-12 veau blond, encadrement de fil. avec fleurons d'angle, à fr. sur les plats, dos orné de même, tête dor., non rog., couv., emb. Exemplaire sur Rives.
ENVOI AUTOGRAPHE, signé à Madame Théo Van Rysselberg. « Pour accompagner...ce portatif »

est. 400-500€


LOT n°164
GIDE (André)
Morceaux choisis. Paris, N.R.F., 1921; gr. in-12 mar. rouge jans., fil. int. dor., tr. dor., couv. et dos (G. Huser). ÉDITION EN PARTIE ORIGINALE

est. 150-200€

LOT n°165
GIDE (André)
Divers... Paris, N.R.F., 1931; in-8 demi-mar. rouge à coins, tête dor., non rog. (Morrell à Londres).
ÉDITION ORIGINALE du Service de Presse. ENVOI AUTOGRAPHE, signé à André RUYTERS « à mon toujours ami... évidemment non »

Est. 180-250€

LOT n°166
GIDE (André)
Interviews imaginaires. Paris, N.R.F., 1942; in-8 demi-mar. rouge à coins, tête dor., non rog., couv. et dos (Huser).
ÉDITION ORIGINALE. Un des 6 exemplaires hors-commerce sur Navarre.

Est. 100-150€

LOT n°232
VERHAEREN (Émile)
Les Forces Tumultueuses. Paris, Mercure de France, 1902; in-12, demi-mar. rouge à coins jans., tête dor. non rog., couv. et dos (Semet et Plumelle).
ÉDITION ORIGINALE. Exemplaire d'André GIDE, portant cet ENVOI AUTOGRAPHE, signé « celui qui l'admire et qui l'aime bien »

Est. 600-800€





Vente de photographies, autographes, 
dessins humoristiques et livres
 le 27 avril à 14h30, Drouot-Richelieu, salle 11
Expositions publiques le 26 avril de 11h à 18h 
et le 27 avril de 11h à 12h

mercredi 11 avril 2012

Les Faux-monnayeurs en DVD



L'adaptation des Faux-monnayeurs de Benoit Jacquot pour la télévision, diffusée en janvier de l'année dernière sur France 2, vient de sortir en DVD aux éditions Optimale.(Voir aussi les billets que nous avions consacrés à ce film lors de sa diffusion)

En voici la bande-annonce :




LES FAUX MONNAYEURS par optimalefr

mardi 10 avril 2012

Souvenirs de Béatrix Beck



Les éditions du Chemin de fer viennent de publier sous le titre Gide, Sartre & quelques autres un court récit de souvenirs retrouvé dans les archives de Béatrix Beck. « Ce texte, qui date de 1979, est la retranscription d'un tapuscrit retrouvé dans une pochette intitulée « Conférences » des archives de Béatrix Beck », précise l'éditeur qui a ajouté un portrait et quelques fac-similés à ce très joli petit fascicule d'une trentaine de pages.

Le 24 janvier 1979 paraît La Décharge, le nouveau roman de Béatrix Beck, aux éditions du Sagittaire. Gallimard a refusé le manuscrit : ce n'est que le prolongement d'une traversée du désert depuis le prix Goncourt pour Léon Morin, prêtre en 1952. Mais la traversée du désert prend fin cette année* : le 2 février Jacques Chancel invite celle qu'il nomme « une revenante » dans sa célèbre émission Radioscopie, le critique Jacques Brenner lui prédit La Pléiade et en mai La décharge reçoit le prix du Livre Inter.


Est-ce suite à la suggestion de Jacques Chancel d'écrire ses souvenirs sur Gide que celle qui fut sa dernière secrétaire reprend son texte ? Déjà, dans l'hommage de la NRF de novembre 1951**, Béatrix Beck avait donné quelques bons mots et instantanés. « Beaucoup de gens plus compétents que moi ont écrit et parlé sur l'œuvre de Gide. Aussi me limiterai-je aux souvenirs personnels, en m'excusant de devoir souvent employer la première personne du singulier », prévient-elle.



Mais c'est sur l'évocation de son père que s'ouvre Gide, Sartre & quelques autres : ce père, Christian Beck, mort alors qu'elle n'a que deux ans, avait été l'un des nègres de Willy. Ses lettres permettront à Béatrix de rencontrer Colette en 1930. Après la guerre qui l'a faite veuve, la vente de celles échangées entre Christian Beck et Gide*** lui permettra de survivre avec sa fille et d'écrire son premier livre, Barny. Que Gide ne manquera pas de saluer dans une lettre « douche écossaise » dont il a le secret.

« Il y avait des photos de Gide dans mon album de famille », explique Béatrix Beck à Jacques Chancel et Gide se dira heureux d'avoir pu, grâce à la vente des lettres « rendre service à la fille de l'ami très regretté. » En 1950 Béatrix est accueillie au Vaneau dont elle découvre les habitants : la Petite Dame (« Gide [...] était son gendre de la main gauche »), Herbart (dont Gide disait : « Il fait des sauts périlleux, mais avec filet. Je suis le filet. »), Elisabeth (avec qui elle attaque le photographe qui a pris Gide sur son lit de mort, « […] tordant une main du photographe et moi mordant l'autre main pour essayer de récupérer et de détruire le cliché. »)...


Elle succède alors à Yvonne Davet dans le rôle de secrétaire. Craignant une nouvelle idolâtre-dactylographe, Gide l'exhorte à n'introduire aucun « élément de pathétique dans le travail. » « L'idée ne me serait certes pas venue de taper pathétiquement à la machine, d'autant plus que, moi aussi, j'abomine le pathétique. Celui qui jadis, jouant aux portraits, s'était prétendu l'ami du diable, s'attendait à ce que son ancienne secrétaire vienne révolvériser sa nouvelle secrétaire et cette perspective semblait le réjouir grandement. Il n'y avait aucun sadisme inconscient chez cet être si particulier. Il se plaignait que cette femme dont il était aimé, le bombardât de lettres et de pneumatiques - « Elle cherche à s'introduire chez moi avec de fausses clés » disait-il, mais quand elle restait quelques temps sans donner signe de vie, c'est lui qui la relançait au téléphone. »

Tout aussi drôlement Béatrix Beck raconte les « visites d'affaires », les bons mots, l'humour, l'avarice, la comédie – tout cela joué, assumé, ou parfois échappant au personnage que Gide était devenu. « Il n'aimait pas qu'on l'aime à l'excès, mais il souhaitait qu'on pense souvent à lui. » Et pour cela il maintenait le Vaneau dans une atmosphère d'inquiétude où l'on n'avançait dans le désordre qu'au pas de la valse-hésitation...

Peu avant sa mort, Gide reçoit Sartre pour le film que tourne Marc Allégret. Une rencontre qui l'effraie un peu : « Je ne comprends pas ce qu'il écrit mais il est très intelligent. » Plus tard, Béatrix Beck deviendra la voisine de Sartre lorsqu'elle pourra s'acheter un appartement grâce au prix Goncourt. C'est là qu'elle recevra une lettre de Mauriac, devenu, lui, pire qu'un personnage : une marionnette, et reprochant à Gide une sincérité truquée. « La charité de Mauriac vis-à-vis de Gide – et de certains prêtres – ressemble plus à du beau vitriol qu'à de l'eau bénite », s'amuse Béatrix Beck. 

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* Signalons tout de même deux livres parus dans l'intervalle en 1967 et en 1977 et justement réédités par les éditions du Chemin de fer : Cou coupé court toujours (2011, avec des dessins de Mélanie Delattre-Vogt) et L'Epouvante l'émerveillement (2010, avec des dessins de Gaël Davrinche).
** Le bout du tunnel, de Béatrix Beck, in Hommage à André Gide, La Nouvelle Revue Française, novembre 1951.
*** La Correspondance Christian Beck - André Gide, établie, présentée et annotée par Pierre Masson, est parue en 1994 chez Droz à Genève, avec une préface de Béatrix Beck.