mardi 25 octobre 2011

Quand Mac Avoy peignait Gide


Le journal Sud-Ouest nous apprenait hier que, vingt ans après la mort du peintre Mac-Avoy, ses héritiers vendent une partie des œuvres en leur possession, peintures et dessins, afin de « soutenir sa cote ». Des œuvres qu'on peut voir et acheter via le site mac-avoy.com.


Dessin préparatoire au portrait d'André Gide, 
Mac Avoy, 1949 (source)



« C'est avec le portrait de William Somerset Maugham que j'ai pris conscience 
que le portrait est une somme, et qu'il ne peut guère exister avant l'age de 70 ans, 
c'est à dire avant que tous les signes soient inscrits sur le visage. 
C'est avec le Gide que j'ai pris conscience de ce réseau - géographie de rides, 
de larmes, d'extase, de désespoirs, - qu'il faut apprendre à lire 
et à décanter, comme à l'école, les fleuves, les rivières et les lacs. »
G. E. Mac Avoy


Edouard Mac Avoy naît en 1905 à Bordeaux dans une famille aux origines irlandaises et catholiques par son père et cévenoles et huguenotes par sa mère (en miroir la famille telle que Gide rêvait la sienne). Il est envoyé en Suisse pour ses études. Ses deux passions sont déjà le théâtre et la peinture. A 18 ans il entre dans l'atelier de Paul-Albert Laurens (ami d'enfance de Gide) à l'Académie Julian. Chez les Valloton, il rencontre Bonnard et Vuillard qui encouragent et suivent ses travaux. Il n'a que 19 ans lorsque l'Etat fait l'acquisition pour le Musée du Luxembourg d'une nature morte présentée au Salon d'automne.

Dès les années trente il se consacre beaucoup au portrait ; Edouard Herriot allant jusqu'à le comparer à Philippe de Champaigne. Mais c'est après la seconde guerre mondiale qu'il entame la série de toile débutée avec le portrait de Maugham et qui se prolonge jusqu'au portrait de Gide. Composition resserrée autour du sujet, fond, lignes et couleurs concentrés eux aussi dans une mise en scène en équilibre instable. En même temps naissent des portraits à la théâtralité plus baroque, jusqu'au retour aux couleurs vives et au symbolisme foisonnant des années 70.

 Portrait de Gide, Mac Avoy, 1948


On a des dessins et des esquisses peintes pour un portrait de Gide datés de 1948. Mais c'est en 1949 que Gide pose pour Mac Avoy. Un Gide en villégiature depuis le mois d'avril sur la Côte d'Azur auprès des Bussy et de Martin du Gard. Il a été victime d'une attaque en février et, à peine arrivé en pleine forme, donne à nouveau d'inquiétants signes de faiblesse. Nouvelle attaque ; il séjourne dans une clinique de Nice. Au moins de juin, Mac-Avoy découvre un Gide « chancelant » et note dans son journal :

« Cannes, 29 Juin 1949
Gide me convie à déjeuner demain, à la Colombe d'or à midi...
Sur la terrasse aux Colombes déserte, je l'aperçois. Cet homme chancelant un peu, d'incertitude plus que de vieillesse, et qui n'est ni hors, ni dans la maison, indécis sur le seuil, c'est André Gide.
Il porte une très étonnant vieux chapeau pointu couleur de mastic, une épaisse chemise rouge, d'un rouge grave, et un veston jeté sur les épaules, manches ballantes, qui glissent sans cesse et que Gide, tant bien que mal, sans cesse rétablit. Il erre, en marge. La gêne qu'il crée, n'est autre que la gêne qu'il éprouve. Le regard a comme un envers et un endroit : terne, voilé, tourné vers l'intérieur; sombre quand il scrute et appuie. Les épaules tombent. Le geste est retenu.
On pense à un violoniste qui joue un peu court et n'utilise jamais la longueur de l'archet.
Cette retenue n'est pas celle de la timidité mais la réticence du scrupule. »

Dessins d'André Gide, Mac Avoy (source)


Mac-Avoy prend des dessins préparatoires, avec le chapeau pointu, ou cet étonnant nu de Gide. Les séances de pose débutent en août dans la villa de Juan-les-Pins où Gide se repose. Mais son intérêt pour son portrait n'a pas faibli. C'est loin d'être la première fois qu'il pose et l'on sait combien il est chaque fois soucieux de son image, de l'image qu'il va laisser. Mac Avoy veut voir « le scrupuleux désir de laisser de lui une image exactement conforme à la vérité » dans les remarques souvent intrusives de Gide dans son travail. 



 Version alternative au Portrait d'André Gide
Mac Avoy, 1949 (source)


« Août 1949
« Je suis tout obédience » me dit Gide, lors de la première séance de pose.
« Mais si je peux émettre un souhait, je vous demanderai, cher Mac Avoy, je vous demanderai de manière pressante, de faire en sorte que je demeure irrésolu. C'est ce que j'ai d'indécis, qui est le meilleur de moi même... »
Les séances ont lieu à Juan les Pins où Gide habite une villa louée d'une laideur extraordinaire.
A Tourette-sur-Loup, où je remonte vers 17h il n'est pas rare que la demoiselle des Postes me hèle:
« Un message de Monsieur Gide ». J'ai conservé l'un d'eux : « André Gide fait dire à son portraitiste que la diagonale du bras droit, si nécessaire à l'expression d'une fatigue qu'hélas il ne peut plus dissimuler, est dans l'état actuel du projet, prolongé par l'oblique du dossier de la chaise. Cela ne rend-il pas cette diagonale ostentatoire ? et ne convient-il pas de briser ces deux directions ?... »
De tout autre que Gide eussé-je accepté une aussi directe intrusion dans mon travail ? De même, quand Gide me disait « cette ride, cher ami, que vous voyez ici dévaler de ma narine, dut apparaître sur mon visage aux environs de 1904. Celle-ci, plus tardive, date de 1909 ou 1910. Peut-être ce renseignement vous incitera-t-il à donner une prééminence légère de l'une sur l'autre. »
Cette minutie dans l'intérêt porté à sa propre personne, faut-il l'interpréter comme un complaisant égocentrisme ?
J'y vois plutôt le scrupuleux désir de laisser de lui une image exactement conforme à la vérité.
Aussi Gide m'a t-il gratifié du plus grand témoignage de satisfaction, quand, devant la version définitive de son portrait – après 4 autres qui témoignent de mon angoisse – il m'a dit : « Je l'habite, je le remplis entièrement. » »


Portrait d'André Gide (version définitive, Musée Georges Pompidou)
Mac Avoy, 1949 (source)




Gide sur son lit de mort, Mac Avoy, 1951

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