mardi 14 juin 2011

Une lettre de Gide à Wols

Mercredi 15 juin à Drouot passe un ensemble de 125 tableaux, dessins et aquarelles d'Otto Wols, mais aussi quelques lettres d'Artaud, Léger, Sartre, Paulhan et une lettre de Gide. Une lettre amputée de son en-tête, qui fait écho à une « réponse » de Gide à l'épouse du peintre Otto Wols, Grety, elle aussi malheureusement manquante.


"Voici ce que j'écrivais à Madame G. Debija, en réponse à la lettre
que je recevais d'elle. Mais au moment de mettre ma lettre sous
enveloppe, et relisant la sienne, je m'aperçois qu'elle ne me donne
pas son adresse - que vous aurez sans doute. Vous voudrez bien
faire parvenir ? Cordiale poignée de mains. André Gide"
(lettre à Otto Wolz au camp de Neuvy-sur-Barangeon, vers oct.-nov. 1939)


Dans une note qui accompagne la lettre, Grety Wols précise : « Lettre d'André Gide adressée à Wols au camp de Vierzon – dont j'ai malheureusement arraché le commencement par mégarde... hélas! », et elle signe : « Grety Wols (née Dabija) ». De son vrai nom Hélène Marguerite Dabija, cette jeune femme d'origine roumaine avait épousé le poète surréaliste Jacques Baron avant de rencontrer Wols en 1933 à Paris. On peut la voir, avec sa sœur qui se faisait appeler « Gazelle », dans le film de Pierre Prévert « Paris la belle », tourné en 28.

Par « le camp de Vierzon », Grety Wols désigne celui de Neuvy-sur-Barangeon, à une quinzaine de kilomètres de Vierzon. Wols, en tant qu'Allemand et donc « étranger ennemi », fut arrêté avec beaucoup d'autres de ses compatriotes le 3 septembre 1939. Il est d'abord emprisonné au stade de Colombes, puis dans les camps d'internement de Neuvy-sur-Barangeon, Montargis, et aux Milles près d'Aix-en-Provence où ses codétenus sont Ernst Engel, Max Ernst, Alfred Kantorowicz... En épousant en octobre 1940 Grety Dabija, française depuis son mariage avec Jacques Baron, Wols deviendra français à son tour et sera libéré le 29 octobre 1940.

Qu'est-ce que Gide pouvait bien écrire à Grety ? Sans doute répondait-il a une demande d'aide, ainsi qu'il le fit à plusieurs reprises pour venir en aide aux prisonniers, qu'ils soient pacifistes comme Giono, ou étrangers. Les Cahiers de la Petite Dame témoignent de cet activisme par lequel Gide entendait être utile, comme il le fut au Foyer Franco-Belge pendant la guerre de 14.

« Puis il nous parle longuement de l'action qu'il a essayé d'avoir au sujet des camps de concentration, c'est un sujet inextricable, où les bonnes volontés ne manquent pas. Mais on se heurte partout à l'autorité militaire et il semble bien qu'on ne puisse rien brusquer. Il renonce à insister pour l'instant. » note par exemple Maria Van Rysselberghe à la date du 23 octobre 39. Gide continuera toutefois à apporter aide et soutien personnel chaque fois qu'il le pourra.

Soutenu par Henri-Pierre Roché pendant la fin de la guerre, ce dernier présente Wols à René Drouin – Wols exposera en 45 et 47 à la Galerie René Drouin, place Vendôme, où Gide soutiendra l'exposition Blake en cette même année 1947. Paulhan, Sartre, Michaux apprécient l'œuvre de Wols et écrivent à son propos, mais exposer et vendre ses toiles et dessins est pour Wols une sorte de prostitution et il n'y consent que difficilement. L'alcool et la maladie s'ajoutent à des conditions de vie misérables, comme en témoignent les demandes d'aide de Grety. En 1949, c'est un cri de détresse qu'elle lance à Marie Laurencin :

« Wols est très malade, couché depuis le 22 janvier 1949 - et sans espoir de vivre longtemps. Je me rappelle que la dernière fois que nous nous sommes vues, c’est au chevet de ce pauvre Léon-Paul [Fargue] - vous avez même regardé les gouaches de Wols. J’ai aucune autre possibilité de vivre, autre que la vente des gouaches ou pointes sèches - Il a peint beaucoup de toiles à l’huile. Son marchand ne lui donne plus rien depuis avril 1948. Nous sommes désespérés - surtout que je n’ai pas de quoi lui acheter les médicaments - ni de le nourrir. Il a eu le 22 janvier 1949 la rotule cassée - il a été opéré (mal) et à présent il est atteint de plusieurs maladies internes à la fois et son sang ne coagule plus - il a 4-5 hémorragies par jour... Je suis venue chez vous, après, je suis allée chez Mr de Beaumont mais bien entendu je n’ai pas été reçue, alors je suis revenue chez vous, vous laisser ce mot. Si vous connaissez quelqu’un d’autre où je puisse m’adresser - veuillez avoir la bonté de me faire téléphoner - c’est très S.O.S. - je n’ai pas un sous (sic) - mais pas un, je vous jure. »

Wols meurt en 51, la même année que Gide, empoisonné par de la viande avariée servie par Grety. Son œuvre est très injustement reléguée au second plan alors que pour beaucoup de jeunes artistes elle a eu autant d'impact que celle d'un Nicolas de Staël.

Dans les années 60, on retrouve Grety derrière le comptoir d'un bar fréquenté par les homosexuels, près de la rue Saint-Charles à Paris. Jusqu'à sa mort en 1984 elle tenta de faire mieux connaître l’œuvre de Wols au travers d'expositions et de publications. C'est la succession de son troisième mari, Marc Johannès, qui fait l'objet de cette vente chez Drouot. Mais malgré ce troisième mariage, ses cendres reposent près de celles de Wols au Père Lachaise.


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