mercredi 11 mai 2011

Charles-Louis Philippe


La collection "L'Un et l'autre" (créée chez Gallimard en janvier 1989 par Pontalis et qui abrite déjà le J'écris Paludes de Bertrand Poirot-Delpech) se met à l'heure du centenaire en publiant trois livres sur des figures de la maison d'édition : Paulhan (à paraître), Queneau (QueneauLosophe, de Jean-Pierre Martin, paru en mars dernier) et plus étonnamment Charles-Louis Philippe avec La mauvaise fortune de Bruno Vercier.





Présentation de l'éditeur :

On sait que, contre la mauvaise fortune, un cœur bon peut accomplir des merveilles. Celui de Philippe l'était et en abondance. Pas assez sans doute pour triompher de tous les obstacles que le temps s'est ingénié à dresser sur sa route. Mais capricieuse est cette fortune, alors pourquoi n'accomplirait-elle pas un autre demi-tour, qui remettrait cette œuvre à sa juste place, celle d'un écrivain qui - et c'est là pour beaucoup un paradoxe inacceptable - n'a pas essayé de dire le peuple, son univers, avec une voix du peuple convenue, attendue, mais avec sa voix à lui, unique ? Le style de Philippe qui n'est celui d'aucun autre.


Gallimard a également la bonne idée de rééditer Croquignole de Charles-Louis Philippe, cette fois dans la collection « L’Imaginaire » :




Quatrième de couverture :

« Croquignole n'était pas un homme comme les autres. Il possédait des yeux, un nez, des joues, une bouche et leur mise en place dans une tête charnue, avec, de plus, une fusion singulière de la chair dans la chair voisine : le nez gros et pris dans le visage, les yeux aux trois quarts entourés par les pommettes et deux joues qui avaient bien mûri. Pour la bouche, elle contenait des dents. D'ailleurs, ce n'était pas tout Croquignole. Il possédait encore une poitrine et deux bras. Il en parlait :
– Regardez, ah ! mais regardez donc comme mes deux bras sont vides !
Ses deux jambes lui servaient à marcher de long en large, son poing aussi était utile. Il le tendait vers la fenêtre :
– Vous la voyez, elle est encore fermée. Un de ces jours, je lui casserai la gueule. »


"L'auteur de Bubu de Montparnasse." C'est par cette périphrase qu'on désigne le plus souvent Philippe, dont il faut tout de même rappeler qu'il fut l'un des trois premiers auteurs à paraître sous la fameuse couverture blanche en 1909, avec Gide et Claudel. Dans une lettre de février 1907 au critique Sébastien Voirol, l'un des rares à avoir aimé Croquignole, il déplorait d'ailleurs les effets du succès de Bubu :

Paris, le 1er février 1907

Monsieur et cher confrère,

Votre article sur « Croquignole » m'a fait un grand plaisir, d'autant plus grand que ce livre m'a valu un certain nombre d'articles violents et que le vôtre venait à point pour me remonter. J'ai eu le malheur, il y a quelques années, d'écrire un livre dont le succès a été plus grand que je ne le souhaitais, et depuis cette époque on me le jette au travers des jambes. Il semble maintenant bien entendu, que je ne ferai plus jamais « Bubu de Montparnasse », que tous mes efforts m'écarteront de ce type de la perfection. On ouvre ordinairement mes nouveaux livres avec le désir d'y retrouver le style, les personnages, les scènes de ce « chef-d'œuvre » et comme on y trouve autre chose, il n'y a qu'une voix pour dire : « Ce garçon devient de moins en moins intéressant. Il ne nous donne pas ce que nous attendions de lui ».
Votre article m'a fait plaisir d'abord parce qu'il n'y était question que de « Croquignole ». Vous en analysiez attentivement le sujet, vous me laissiez être ce que je veux être : l'auteur de chacun de mes livres et pas du tout de « Bubu de Montparnasse ».
Mais ce qui, pour moi, a donné tant de valeur à votre article, c'est que vous touchez à une des questions que je me pose encore aujourd'hui.
Dans mon esprit, Croquignole ne se tue pas à cause du suicide d'Angèle, il se tue parce qu'il ne peut plus retourner au bureau, parce qu'il a exagéré son amour d'une vie violente et sensuelle, parce qu'il lui faut l'air, l'espace, le feu, parce qu'il n'est pas capable de devenir le zèbre du Jardin des Plantes.
Voici comment j'avais voulu construire mon livre. Je posais mon personnage, je définissais son caractère et son tempérament, je donnais un exemple de ce qu'il peut faire en le montrant au milieu de ses camarades de bureau, en le faisant séduire Angèle et annihiler Claude. Et ensuite, très rapidement, je disais : Voilà où ça le conduit, voilà où le mène cet amour effréné d'une vie purement charnelle. Sa force est ce qui le tue ou, plus clairement, sa force le tue.
Un écrivain naturaliste n'eût pas manqué de le suivre pas à pas, de nous parler de son automobile, de ses voyages, de ses fêtes, de ses fautes, de nous donner le détail de son dernier repas et de son suicide. Il en eût amusé le lecteur ; il y aurait eu des descriptions, des tableaux de genre, des « tranches de vie ».
Le roman que j'ai voulu faire était plutôt de caractères qu'un roman de mœurs.
Je crois du reste que je ne l'ai pas fait assez sentir, beaucoup de lecteurs n'ont pas très bien compris, j'ai dû manquer de clarté dans la composition, dans le dessin de mon roman.
Peut-être même eussè-je dû mettre un avertissement, une préface, expliquer en détail ce que vous appelez mon procédé. Le ton sympathique que vous y avez mis m'a beaucoup touché. On commence à m'en déshabituer dans les revues. Vous avez dû voir cela par vous-même.
Je voulais vous écrire beaucoup plus tôt, mais je n'ai eu votre adresse que ces jours-ci par Francis Jourdain. Vous allez trouver la mienne au bas de cette lettre et vous me laisserez bien espérer, n'est-ce-pas, que nous allons bientôt faire connaissance. Voulez-vous un de ces jours me donner rendez-vous.
Veuillez agréer, Monsieur et cher confrère, avec tous mes remerciements, l'expression d'une bien sincère sympathie.

Charles-Louis Philippe.
31, quai Bourbon.

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