vendredi 29 avril 2011

Le prodigue chez Gide (1/3)

[Le blog e-gide prend un peu de vacances... pendant lesquelles je vous invite à redécouvrir chaque jour des pages de la Revue d'Histoire littéraire de la France de mars-avril 1970, consacrée à Gide. Aujourd'hui la première partie d'une vaste enquête économico-morale de David Steel sur "Le prodigue chez Gide"]






LE PRODIGUE CHEZ GIDE : ESSAI DE CRITIQUE ÉCONOMIQUE DE L'ACTE GRATUIT, de David A. Steel

A père avare, dit-on, fils prodigue ;
à parents économes, enfant dépensier.
Musset (1).

Dans son œuvre, Gide, comme sans doute, d'une manière ou d'une autre, tout écrivain, pose la question des valeurs humaines. Il vise à établir entre elles une certaine hiérarchie. Toute tentative de ce genre (on pense irrésistiblement à celle de Balzac) exige une prise de position, que ce soit implicite ou autre, à l'égard des valeurs matérielles : l'argent et la propriété.

Je veux suggérer dans les pages suivantes quelques attaches qui relient là pensée de Gide, et en particulier son concept de l'acte gratuit, à la conscience qu'il avait de sa propre richesse. Sa situation financière personnelle me paraît déterminer, jusqu'à un certain point, son insistance, indéniable celle-ci, sur la notion de prodigalité. L'analyse, dans son œuvre, du héros en tant qu'enfant prodigue et de l'acte gratuit en tant qu'acte prodigue m'amènera à examiner en détail certains personnages et, ce faisant, à dégager toute une thématique centrée autour de l'idée de la dépense et s'exprimant en métaphores monétaires. Enfin je voudrais suggérer une correspondance entre certains aspects économiques, psychologiques et moraux de quelques-uns parmi les personnages de l'œuvre.

On sait le parti moral que Gide a tiré de la botanique. Peut-être se souvient-on moins souvent des emprunts tout aussi ingénieux qu'il a faits à l'économie politique. Il ne faut pas oublier qu'il avait pour oncle Charles Gide, professeur au Collège de France et le plus grand économiste de sa génération. L'homme de lettres a beaucoup appris de l'économiste. Il a lu au moins une partie de son Histoire des doctrines économiques et saura l'exploiter habilement et bien ouvertement dans la querelle qui l'oppose à Barrés. N'hésitant pas à jouer sur « la double acception du mot culture », il assimile certains principes de la théorie de la rente foncière de l'économiste anglais Ricardo à la doctrine du défenseur de « la terre et les morts ». A celle de Ricardo il oppose la théorie rivale de l'Américain Carey. Il pense que l'argument de Carey garde sa pleine signification dans le domaine psychologique également et qu'elle pourrait peut-être éclairer « d'un jour neuf l'histoire des
littératures » (2). Il a lu aussi le Traité d'économie politique et le cite dans son Journal de 1904 de nouveau pour tirer un sens moral d'une formule économique (3).

Les pages qui suivent traiteront de l'application morale et psychologique de concepts économiques, mais de concepts nettement moins techniques que celui de la rente foncière et que Gide n'avait nullement besoin de chercher dans les ouvrages de son oncle. Que le neveu, en s'appropriant un certain vocabulaire économique qui élargit sa compréhension psychologique, nous fasse penser à l'oncle, voilà qui est naturel, mais lorsque ce vocabulaire est constitué de termes aussi banals que dépense, gratuit, compte ou calcul, ce serait exagérer que de l'attribuer à la seule influence de Charles Gide. Mesurer ce qui, dans cette façon de s'exprimer de l'écrivain, revient à l'économiste n'est donc pas une tâche facile. Sans doute la contribution de l'oncle fut-elle considérable. La fréquentation de Charles Gide et la lecture de ses ouvrages aurait ouvert à l'écrivain un champ d'images où désormais il se mouvait à son aise (4). Pourtant, rien n'indique qu'il ne se serait pas approprié ce champ sans l'encouragement de l'économiste. Après tout il possédait comme tout le monde les rudiments de l'économie. Il avait une fortune personnelle à gérer et c'est l'influence de cette fortune sur son œuvre que je voudrais essayer de dégager maintenant.

André Gide était riche, si riche même que Charles-Louis Philippe, ayant été présenté à Valéry Larbaud, héritier, comme on le sait, de la fortune de Vichy, dit son plaisir de connaître quelqu'un auprès duquel son ami Gide paraissait pauvre (5). Mais Gide était en même temps tout pénétré de l'enseignement des Évangiles qui prêchent ces paroles d'un Christ sévère et pauvre : « il est plus aisé qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille qu'il ne l'est qu'un riche entre dans le royaume de Dieu » (6).

Aussi est-il loisible de voir dans le jeune Gide un rentier qui se sent coupable. Son malaise apparaît dès les premières pages du Journal de 1893-1894 dans une petite remarque aussi elliptique que révélatrice : « La fortune considérée uniquement comme permission d'un travail libre » (p. 48). On décèle ici l'embarras que sa richesse représente pour ce jeune homme et on voit l'effort ingénieux qu'il fournit pour se justifier. Surcroît de pudeur, il ne laisse se poser le problème que tacitement à travers là réponse que déjà il lui donne. Car devant ce problème moral deux solutions se présentent. On peut accepter la fortune en la justifiant par des sophismes plus ou moins subtils; d'autre part on peut s'en défaire soit par le don, soit par une sorte d'incontinente dissipation, deux procédés que recouvre le terme de prodigalité. Ces deux manières d'agir, justification ou dispersion de la fortune, seront les attitudes alternantes de nombreux personnages dans l'œuvre de Gide. Je veux dire, non seulement qu'un personnage incarne la première tendance tandis qu'un autre représente la seconde, mais qu'il arrive qu'un personnage passe de l'une à l'autre ou bien qu'il soit le terrain de conflit, conscient ou non, des deux mouvements simultanés.

La phrase du Journal citée plus haut présente la solution de la casuistique. L'argent ne devrait pas être considéré comme le simple moyen de se procurer des privilèges sociaux, d'éviter le travail. Il ne serait, bien au contraire, qu'une condition du travail, celui de l'esprit. La fortune n'aurait d'autre justification que d'accorder le temps nécessaire au libre jeu de l'intellect. Devant la probité que l'éducation de Gide lui opposait, un tel argument ne devait pas tarder à se révéler un piètre subterfuge. L'enseignement si catégorique de l'évangile est d'un tout autre poids. C'est alors que se présente, comme solution, cette seconde attitude qui est celle du don, de la dépense, de la dissipation.

Elle apparaît dans Les Nourritures terrestres qui sont à la fois une prise de conscience des abondantes ressources sensorielles du monde et une incitation à en revendiquer l'usufruit, véritable invite à la consommation des biens de la terre. Dans le livre le thème de l'engrangement, de l'emmagasinage prépare, en quelque sorte, à celui de la consommation. Ainsi la troisième partie du cinquième livre chante l' « inestimable provision » des greniers et fruitiers, le « monceau de grains » et l' « amoncellement des pommes », mais la volupté de la description ne se dégage que dans la mesure où l'appétit est stimulé « En reste-t-il jusqu'au bout de ma faim... » (p 211 et 213). Il faut souligner l'élément proprement destructeur qui caractérise cette consommation. Elle représente une attaque contre les objets et par là contre la propriété. Le Ménalque des Nourritures affirme son « aversion pour n'importe quelle possession sur la terre » (p. 183). Il admet pourtant avoir travaillé à s'enrichir ; « durant quinze ans je thésaurisai comme un avare ; je m'enrichis de toutes mes forces », mais ce n'était que pour avoir le plaisir de tout vendre : « à cinquante ans, l'heure étant venue, je vendis tout [...]. Je réalisai en deux jours une fortune considérable. Je plaçai cette fortune toute entière de façon que j'en pusse perpétuellement disposer » (p. 189). Ménalque ressent non seulement une aversion pour les biens personnels mais puise un véritable plaisir dans l'acte même de s'en débarrasser, plaisir qu'il travaille à renforcer par une accumulation préalable. Par un mélange tout aussi curieux de jouissance et d'abnégation, nous le voyons abattre les arbres de son domaine en un moment de dévastation munificente (p. 191). Ménalque goûte la volupté de l'ascèse.

Il a beau faire cependant, il n'arrive pas tant à abolir sa fortune qu'à en faire abstraction. Riche, il le demeure, seulement il cesse d'être propriétaire. Il mobilise ses biens en argent liquide. C'est en fait une sorte de virtualisation de sa substance économique, réservoir de son être dans lequel il peut dorénavant puiser à son gré. Nous reconnaissons là, en termes économiques, l'idée chère à Gide de la disponibilité et de la mobilité du moi (7). Ménalque entame ses réserves, il dépense, mais nous ne le voyons jamais courir le risque de les épuiser. Il n'atteint jamais au pathétique du vrai prodigue et reste l'homme « chargé d'insolent luxe » dont le lecteur des Nourritures demeure mécontent, tout comme l'auteur, d'ailleurs, qui, dans le dernier livre, dit à son personnage : « si je me repose à présent, ce n'est pas dans ton abondance » (p. 241) (8).

Gide, suivant la même démarche paradoxale que le Ménalque des Nourritures, tente de se racheter en vendant. En 1900 il se défait de sa gentilhommière de la Roque-Baignard, de même que, un demi-siècle plus tard, il vendra une partie de sa bibliothèque. Revisitant, bien des années après, son ancienne propriété et la retrouvant entourée de barbelés il observe, dans ses Feuillets d'automne : « Je n'ai jamais eu [l'âme] d'un possesseur. Le seul mot de propriété me paraît et ridicule et odieux » (p. 1087). Nonobstant, le plus important de son effort vers l'appauvrissement se jouera par procuration, c'est-à-dire sur le seul niveau littéraire.

Aussi l'odieux de sa propre situation financière constitue-t-il le principal ressort du personnage central dans Le Roi Candaule, autre prodigue travaillé par le complexe de culpabilité du riche. Candaule, que le prologue nous présente comme « une donnante nature », supporte mal d'être un riche entouré de sujets moins fortunés que lui : « Je me semblais comme un cupide accapareur » (p. 60). Il a la nostalgie de l'indigence qui est le lot de Gygès, son ami d'enfance. Poussé «par une sorte de générosité indécise» (p. 48), Candaule proclame qu'il n'aura de répit avant qu'il n'ait élevé Gygès à ses propres privilèges : « l'inquiétude m'habitera / Tant que tu ne connaîtras pas / Dans toute sa complication ma fortune » (p. 96). La connaissance à laquelle le roi veut initier Gygès subit pourtant une curieuse métamorphose, et d'économique devient sexuelle. Candaule lui fait don de ce qu'il a de plus cher ... sa femme. Dans sa préface à la première édition de là pièce, Gide éclaire la conduite de son personnage par une citation de Nietzsche :
« Généreux jusqu'au vice », écrit Nietzsche ; et ailleurs : « C'est une chose curieuse à constater que l'excessive générosité ne va pas sans la perte de la pudeur». La pudeur est une réserve (p. 32) (9).
La prodigalité commune à Ménalque et à Candaule, comme aussi à Philoctète, héros du court traité de 1899 qui fait don de son bien le plus précieux, son arc, à Néoptolème, n'a pas échappé au professeur Delay qui compare les « extravagances magnifiques » des trois personnages (10). Dans L'immoraliste nous voyons un autre prodigue ébrécher en même temps ses réserves morales et son capital économique. Michel sera moins généreux que dispensier jusqu'au vice et, comme Candaule, fera don de sa femme, mais à la mort. Il est une nouvelle incarnation du rentier qui se révolte contre sa propre condition. Il veut vendre son domaine de la Morinière, transposition littéraire de la vente de la Roque, encouragé par un Ménalque toujours aussi ennemi de la propriété mais toujours aussi riche ; « pour quelqu'un qui n'a pas le sens de la propriété vous semblez posséder beaucoup ; c'est grave » dit celui-ci, analysant avec une acuité troublante la position ambiguë de son ami (p. 428). En effet, Michel tout à la fois aime et n'aime pas les choses. Il se laisse voler son bien ; c'est une manière comme une autre de s'en débarrasser. Mais en regardant de plus près l'on aperçoit que c'est d'abord le bien de sa femme qu'il laisse voler. Ainsi, il laisse Moktir subtiliser les ciseaux de Marceline sans intervenir. Candaule en herbe, il assiste voluptueusement au dépouillement de son épouse. Mais en même temps il se plaît à dépenser pour acquérir, pour accumuler, pour s'entourer de belles choses. Lors de son installation hivernale à Paris, il note que :
Marceline put s'inquiéter quelque peu, non point seulement du loyer plus élevé, mais aussi de toutes les dépenses auxquelles nous allions nous laisser entraîner. A toutes ses craintes j'opposais une factice horreur du provisoire ; je me forçais moi-même d'y croire et l'exagérais à dessein [...]. Je ne m'arrêtais donc devant aucune dépense, me disant, à chacune, que je me liais d'autant plus et prétendant supprimer du même coup toute humeur vagabonde que je pouvais sentir ou craindre de sentir en moi (p. 421-422).
C'est bien plus que le simple désir de posséder qui transparaît dans ces lignes. Michel lui-même en est conscient. Quelque chose de désespéré caractérise cette course à la dépense. Déséquilibré par ses naissantes inclinations au nomadisme, il tente de s'étayer par du solide. La propriété, pour lui, représente une défense, une sûreté. C'est comme s'il essayait d'endiguer le flot de son nouvel être derrière un barrage d'emplettes. Il souffre, le mot est de Ménalque, d'une « agoraphobie morale » (p. 432). Il a la peur du vide. Son « horreur du provisoire » n'est pas aussi factice qu'il la voudrait. Effrayé par la fluidité de l'être il recherche la durée et la dureté des choses, tel l'homme qui se noie s'agrippe à la paille. Cependant il a beau s'acharner ; la durabilité des objets est également illusoire. Il en prend conscience en voyant des amis négligents abîmer les objets d'art dont il s'est entouré. De son propre aveu son premier réflexe alors est de « tout protéger, mettre tout sous clef pour moi seul » (p. 430). Une telle inclination n'est pas à mettre au compte du seul égoïsme. Pour Michel les choses ne sont préférables aux êtres que si elles sont invulnérables. Il a la passion de l'immaculé : « c'est parce que je veux conserver que je souffre » dit-il. Confronté avec «l'horrible usure des choses» et des personnes il préfère s'en passer, même s'en défaire (p. 430) (11).
Alors commence la course frénétique à la dépense. Avec sa femme, Marceline, dans les Alpes :
Rien dit-il ne me paraît assez beau ni trop cher. [...] L'appartement est hors de prix, mais que m'importe ! Je n'ai plus mon cours, il est vrai, mais fais vendre La Morinière, Et puis nous verrons bien... D'ailleurs qu'ai-je besoin d'argent ? Qu'ai-je besoin de tout cela ?... Je suis devenu fort, à présent... Je pense qu'un complet changement de fortune doit éduquer autant qu'un complet changement de santé... Marceline, elle, a besoin de luxe ; elle est faible... ah ! pour elle je veux dépenser tant et tant que... Et je prenais tout à la fois l'horreur et le goût de ce luxe (p. 456).
Ce besoin désespéré de dépenser ne fait que s'accroître :
Je n'admettais pas que Marceline s'occupât de nos dépenses, ni tentât de les modérer. Qu'elles fussent excessives, certes je le savais, et qu'elles ne pourraient durer. Je cessai de compter sur l'argent de La Morinière ; elle ne rapportait plus rien et Bocage écrivait qu'il ne trouvait plus d'acquéreur. Mais toute considération d'avenir n'aboutissait qu'à me faire dépenser davantage.
Ah ! qu'aurais-je besoin de tant, une fois seul !... pensais-je et j'observais, plein d'angoisse et d'attente, diminuer, plus vite encore que ma fortune la frêle vie de Marceline (p. 459).


Notes :



1. Musset, Les Deux Maîtresses dans Nouvelles, Garnier, 1948, p. 3. Sauf lorsqu'il s'agit du Roi Candaule, les références qui sont intercalées entre parenthèses dans le texte de l'article et dans les notes renvoient aux trois tomes des œuvres de Gide publiés dans la Bibliothèque de la Pléiade. Lorsqu'il s'agit de références au Journal, qui s'étend sur deux volumes de cette édition, nous avons toujours eu soin de préciser dans le texte de quelle année du Journal il est question. Pour Candaule les références renvoient au Théâtre complet, Ides et Calendes, 1947, tome II.

2. « Nationalisme et Littérature II » dans NRF, novembre 1909, article repris dans Nouveaux Prétextes, Mercure de France, 1911, p. 74-84. A propos de ces pages on peut lire ceci dans le Journal de 1934 : « Le jeune communiste tchèque qui vient me voir me félicite de certaines pages de Prétextes (Nationalisme et Littérature ; à propos des théories de Ricardo) qui, dit-il, « sont imprégnées d'un pur esprit marxiste ». — Allons, tant mieux ! Ainsi soit-il. Mais, je vous en prie, si je suis marxiste, laissez-moi l'être sans le savoir » (p. 1213).
Dans son article, Gide se contente de se référer au titre de l'ouvrage de son oncle. Les mots qu'il cite se trouvent aux pages 397-398 de la 4e édition (la seule que j'ai pu consulter) de Ch. Gide et Ch. Rist, Histoire des doctrines économiques. Il va de soi que Gide a lu une édition antérieure. Le livre accorde une large place aux théories de Ricardo.

3. La citation que Gide donne est la suivante : « "Le maximum de satisfaction est atteint quand les utilités finales des derniers objets consommés sont égales." Phrase de (?) que commente excellemment mon oncle dans son Traité d'économie politique (dernière édition). Ainsi formulé cela est bien peu clair. Il faut qu'un équilibre s'établisse ; et que la volupté tirée de l'objet soit à un égal point d'émoussement et d'usure » (p. 140). Il faut dire que le commentaire de Gide n'est pas non plus des plus clairs.

4. Il y a de nombreuses mentions de Charles Gide dans le Journal et dans Si le grain ne meurt. L'autobiographe malmène quelque peu son oncle mais le journaliste rétablit l'équilibre ; voir surtout dans le Journal p. 1045, 1103-1104, 1112 et dans Si le grain, p. 371, 427 et 580. Voir aussi A. Lavondès, Charles Gide, Uzès, 1953.
Mlle Lavondès dit l'admiration que l'oncle avait pour son neveu (p. 196) tandis que Ch. Teissier, dans une postface, parle de « la flagrante parenté des deux esprits » (p. 247).

5. Mot rapporté par Gide lui-même dans le Journal, p. 269.

6. Matthieu, XIX, 24 et Luc, XVIII, 25. Dans Divers, N.R.F., 1931, p. 100-101, on lit : « "Il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux" [...]. Cela veut dire simplement : il est impossible, à tout jamais impossible, et parmi les choses impossibles il n'en est pas de plus impossible que celle-ci : un riche dans le royaume de Dieu. Le royaume de Dieu est formé de l'abandon de ces richesses. Rien de plus lourd, de plus important que ceci : nécessité de l'option entre le temporel et le spirituel. La possession de l'autre monde est faite du renoncement à celui-ci. » Voir, plus loin, p. 213, note 1 [note 8 ici].

7. On lit dans le Journal de 1896 : « J'ai trouvé toujours mon bonheur à simplifier par des généralisations toujours plus grandes chaque chose — de façon à rendre ma possession aussi portative en vérité que la coupe où se grise Hafiz » (p. 88).

8. En 1985 Gide regrette l'inconséquence du caractère de Ménalque : « Jef Last blâme l'éthique de. Ménalque. Moi-même je la désapprouve, et en ce temps déjà, ne la donnant que sous réserves, j'avais soin de la faire endosser par autrui [...]. La figure de Ménalque est mieux dessinée dans L'immoraliste. Ici, dans Les Nourritures, se confondant sur certains points avec la mienne, elle risque de fausser ma ligne et contrevient à ce qu'il reste de plus précieux dans l'ouvrage : l'apologie du dénuement. Je le sentis si bien que je tentai de rejoindre cette ligne dans diverses affirmations de Ménalque en cours de route : « mon cœur est resté pauvre » etc. — mais qui me paraissent aujourd'hui comparables à ces sophismes, par lesquels certains riches qui se veulent tout de même chrétiens, tentent d'élargir un peu le chas de l'aiguille par où, sans s'appauvrir, entrer tout de même dans le royaume de Dieu » (p. 1223).

9. Gide ne donne pas de références. Je n'ai pas trouvé l'origine des citations chez Nietzsche.

10. La Jeunesse d'André Gide, II, p. 630

11. Pareille hantise de « l'horrible usure des choses » se retrouve chez Gide à cette époque. « Usure » est un mot qui revient fréquemment sous sa plume dans les premières années du Journal ; voir p. 42, 57, 140, 176 ; voir aussi Les Nourritures, p. 155, 156 et 157. Des deux sens que recouvre le terme, nous retrouverons plus loin celui de « l'intérêt prélevé sur un prêt ». Quant à l'autre, une des attitudes traditionnelles devant l'usure des choses a toujours été de se hâter d'en jouir. Le carpe diem équivaut au dépensez que Michel va adopter comme devise.

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