jeudi 2 décembre 2010

Une recette gidienne

Planche du très beau Retour du Tchad
de J. Alessandra (illustrations),
P. Villecroix et A. Djar-Alnabi (textes)
La Boite à Bulles, juillet 2010


Chirurgien urologue, François Desgrandchamps est aussi un passionné de cuisine et de littérature. En 2007 il compilait Littérature et gourmandise : Les plus belles recettes de la littérature française aux éditions Minerva et vient de faire paraître Lettres Gourmandes des Terres Lointaines et d'Outre Mer aux Editions de La Martinière.

A partir de textes de Daudet, Lamartine, Martin du Gard, Camus, Duras, Baudelaire ou Gide, parfois d'un seul mot ou d'une seule indication d'ingrédient, le chef-cuisinier Sophie Brissaud a imaginé des recettes que Claire Curt a photographiées. Tahar Ben Jelloun signe en outre la préface de ce volume consacré aux recettes d'inspiration africaine, antillaise, asiatique, polynésienne...

Sur son blog, Sophie Brissaud explique comment à partir d'une petite phrase anodine du Retour du Tchad, elle a imaginé une recette gidienne :

« André Gide (Voyage au Congo, 1927, pp. 140-145)* se remet d'une indisposition digestive au fil du fleuve Congo. Pendant que ses rameurs chantent les incantations nécessaires à sa guérison — ce qui l'impressionne —, on le nourrit de porridge, de riz à l'eau et d'une "délicieuse compote d'abricots (nous sortons de nos cantines ce que nous avons de meilleur) arrosés d'eau de Vichy et de Moët". J'ai immédiatement tiqué sur la cohabitation du régime et de la denrée de luxe, vichy et moët-et-chandon. L'entremets à base de riz et d'abricots que tout cela m'a inspiré se devait d'être faste. J'ai donc eu recours aux deux épices que l'on associe en Inde aux douceurs de fête. Le riz au lait est parfumé à la cardamome verte et garni d'une riche compote d'abricots moelleux étuvés au sucre, au safran et aux amandes. Pour la composition de la photo, retour en Afrique s'il vous plaît. Claire commence par choisir une très fine toile de coton dont la couleur s'harmonise avec le soleil couchant des abricots safranés. Puis elle pose le plat sur un petit tabouret malien. Nous contemplons l'effet produit. "On dirait un de ces portraits très frontaux faits en Afrique par les photographes de village, dit-elle. Le gâteau de riz pose comme un patriarche sahélien assis bien droit, digne et serein, devant sa tenture bleue." Le dessert se dote d'une personnalité. »


Le riz au lait parfumé à la cardamome verte,
compote d'abricots moelleux étuvés au sucre,
au safran et aux amandes : une recette gidienne !
(Photo de Claire Curt pour le livre)


Une recette qui n'eut certainement pas déplu à André Gide, amateur de fruits, exotiques ou non, et de confitures. Sa marotte est un temps le mélange poire-chocolat chaud, une autre fois les fruits givrés, passés aussi par goût de l'expérience dans la glacière récemment installée au Vaneau. Pendant la guerre, on le voit encore apprécier de précieuses confitures qu'il partage avec la Petite Dame dans sa chambre d'hôtel.

C'est d'ailleurs la Petite Dame qui nous dévoile dans ses Cahiers le menu préféré de Gide : pour ses 69 ans, on lui concocte un « petit dîner fin spécialement de son goût : sole frite, pintade aux marrons, ananas. » (Cahiers de la Petite Dame, tome 3, 22 novembre 1938, p. 116).



de François Desgrandchamps (conception, choix de textes et introduction)
Sophie Brissaud (recettes, description culinaire et stylisme),
Claire Curt (photographie et stylisme).
Conception graphique de Marc Walter.
Préface de Tahar ben Jelloun.
Éditions de La Martinière - Atelier Saveurs, automne 2010.


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* L'extrait se trouve dans Retour du Tchad et non Voyage au Congo, au premier paragraphe du chapitre II :

« Il me semble que je vais mieux. Des vertiges encore, mais j’ai pu manger un peu, au chevet du lit de Marc, et avec lui. Porridge et riz à l’eau, avec une délicieuse compote d’abricots (nous sortons de nos cantines ce que nous avons de meilleur) arrosés d’eau de Vichy et de Moët. Après ce court repas, je me recouche. Et, tandis que j’essaie de dormir, mes pagayeurs d’arrière – six Sara que nous avions déjà à l’aller (ceux d’avant, cinq, sont des gens de Moosgoum) commencent un chant des paroles que me traduit Adoum,

Le Gouverneur il est malade.
Ramons, ramons pour aller plus vite que la maladie,
L’amener jusqu’au médecin de Logone. »

2 commentaires:

Groslier a dit…

J'essaie la recette de riz au lait…

Fabrice a dit…

Elle a décidément un succès fou ! Tous les chemins mènent à Gide, mais celui passe par la cuisine a l'air de bien fonctionner. D'ailleurs je trouve ce mélange de cuisine classique, presque bourgeoise, et la pointe d'exotisme des épices très gidien.
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