lundi 12 avril 2010

The Portugal Journal, de Mircea Eliade

The Portugal Journal, Mircea Eliade
traduction, préface et notes de Mac Linscott Ricketts,
SUNY Press, 2010


The Portugal Journal de Mircea Eliade vient de paraître aux éditions State University of New-York Press dans la collection Issues in the Study of Religion*. Entre 1941 et 1945 Eliade est attaché culturel roumain à l'ambassade de Lisbonne, c'est-à-dire chargé par le régime du maréchal Antonescu de la presse et de la propagande.

La traduction du roumain vers l'anglais est du spécialiste des religions et de Mircea Eliade Mac Linscott Ricketts, traducteur déjà du Journal I, 1945-1955, du Journal IV, 1979-1985, et des deux tomes de Autobiography. Les traductions françaises du Journal d'après 45 sont plus explicites : “Fragments d'un journal”**. Eliade en a retranché beaucoup d'éléments gênants de son passé nationaliste et antisémite aujourd'hui bien connu grâce aux travaux de Léon Volovici, d'Alexandra Lagniel-Lavastine***, ou au réquisitoire définitif de Daniel Dubuisson.

The Portugal Journal est le premier journal d'Eliade non expurgé à être publié. Non expurgé de ses relations avec la Garde de Fer, de son travail de propagande, de son “amour furieux pour le pays”, de son “nationalisme incandescent”, de ses problèmes de couple, de ses angoisses, de ses doutes sur son travail de recherches et d'écriture. Ce journal est différent de ses notes précédentes :

I begin this notebook today for an entirely different reason. Nina left for Bucharest a few days ago. For four or five weeks, I'm sure. The suspension of any responsible work for so many months, the pressure of politics under which I live, the mental sloth, the abandonment of my manuscripts and notes in Oxford, the intellectual poverty of Lisbon - all these threaten me with slow deterioration. I need to find myself again, to collect myself.” (Première entrée du journal, datée du 21 avril 1941)

Il y a dans cette déclaration de principe et dans le ton des pages qui suivent une petite musique familière... Et de fait, Gide ne tarde pas à apparaître dans ce journal. Eliade avoue “[my] unquenched interest in Gide, my unhealthy curiosity for the lives of others, for certain heroes of the spirit or great humbugs.” Pour son Journal ainsi que celui de Green :

Other than the Bible, I can read only authors like Chestov or Kierkegaard, or, occasionaly, private diaries. For example, I always return with great pleasure to the the journals of Gide and Julien Green; I enjoy rereading little notations having no universal value.” (entrée non datée, 1945)

I would not be satiated with Tolstoy, with Stendhal, or Gide”, confie-t-il encore. Le 30 mai 1943, il développe le rôle et l'influence des études scientifiques chez Gide et espère que ses propres travaux sauront l'influencer :

Gide bases the ethics and philosophy of his epic novels (especially L'Immoraliste et Les Faux-monnayeurs) on the lesson of the natural sciences. Recall his pages about suboceanic fauna, the "ethics" of fish that withstand desalinated water etc. They are the ultimate consequences of Darwin and Nietszche, purified of incongruities, made accessible to the “elite members of the general public”. Actually, despite the fact that he has avoided to fall into the clichés of “contemporary truth”, Gide is a man of his era. His work reflects perfectly the effort of the average sciences of his time. This does not diminish his importance but, on the contrary, heightens it, because, while succeeding in creating points of contact with later eras, Gide's oeuvre remains at the same time a document representative of the era 1880-1930, and yet a document of brilliant authenticity.

I think, however, that the ethics and philosophy of a great modern novelist, one who wishes to reflect in his work a striving for knowledge of contemporaneity, can no longer be content with the lessons of the natural science in vogue at the time of Gide's youth. He will have to take account of all that has been revealed by a Heisenberg, a Ueskull, a Heidegger, a Froebenius, and especially all that I could reveal.

Et au moment de s'interroger sur la valeur de ses notes et sur leur éventuelle publication, c'est encore à Gide qu'il pense :

I have in mind constantly these lines from Gide in Amyntas : “Je relis aujourd'hui mes notes de voyage. Pour qui les publier ? Elles seront comme ces sécrétions résineuses, qui ne consentent à livrer leur parfum qu'échauffées par la main qui les tient.”” (28 octobre 1944)


Mircea Eliade

________________________

* On peut lire le premier chapitre de The Portugal Journal en ligne ici (document pdf).

** En français, on dispose de :

- Fragments d'un journal I (1945-1969), traduction du roumain par Luc Badesco, Paris, Gallimard, “Du monde entier”, 1973

- Fragments d'un journal II (1970-1978), traduction du manuscrit roumain par C. Grigoresco, Paris, Gallimard, “Du monde entier”, 1981

- Les Promesses de l'équinoxe (1907-1937). Mémoire I, traduction du manuscrit roumain par Constantin N. Grigoresco, Paris, Gallimard, "Du monde entier", 1980

- Les Moissons du solstice (1937-1960). Mémoire II, traduction du manuscrit roumain par Alain Paruit, Paris, Gallimard, "Du monde entier", 1988

*** Voir son passionnant : Cioran, Eliade, Ionesco. L'oubli du fascisme : trois intellectuels roumains dans la tourmente du siècle, Paris, PUF, "Perspectives critiques", 2002

Aucun commentaire: