samedi 12 décembre 2009

Erreur sur la personne

Le dernier numéro du Magazine des Livres (n°20 novembre-décembre 2009) consacre un dossier aux «écrivains de la collaboration» sous la plume de Frédéric Saenen. Et dès l'éditorial, ou « synopsis », il y a de quoi sursauter :

«Le 18 septembre 1944, le CNE émet une liste de plus de cent noms d'intellectuels suspectés d'avoir collaboré avec le régime nazi pendant la guerre. S'y côtoient des personnalités en vue - Louis-Ferdinand Céline, Alphonse de Châteaubriant , Jacques Chardonne, Pierre Drieu la Rochelle, Jean Giono, Charles Maurras, Henri de Montherlant, Roger Martin du Gard - et d'autres maintenant oubliés...»

On se dit que l'éditorialiste Eli Flory aura mal repris le prénom, confondant Roger Martin du Gard avec son cousin Maurice Martin du Gard qui lui figurait bien dans la liste noire du CNE... Mais non, l'énumération de Frédéric Saenen dans son « dossier » mentionne aussi Roger Martin du Gard parmi les écrivains de la collaboration !

Le site web officiel sur Roger Martin du Gard est plutôt laconique dans sa partie biographique intitulée «RMG et la seconde guerre mondiale» :

«Profondément pacifiste, RMG ne se rendra que tardivement compte du danger inéluctable du nazisme. Lors de l'invasion allemande, RMG fut contraint de partir en exode et le Tertre fut occupé par les armées allemandes. Il tentera en vain d'obtenir un visa pour les Etats-Unis. Après un séjour à Vichy, où il observera les événements qui marquèrent le début du régime de Pétain, il s'installera à Nice. Il commencera alors son nouveau roman resté inachevé, Les Souvenirs du Lieutenant-colonel de Maumort qui témoigne de cette partie tragique de l'histoire de France.»

La correspondance avec Gide le montre au contraire inquiet dès 1937 pour l'avenir de l'Allemagne où il séjourne lors de son retour de Stockholm où il vient de recevoir le prix Nobel, même s'il doute à cette époque du pouvoir des intellectuels sur l'histoire. On le retrouve en revanche nettement moins tempéré qu'à son habitude quand dans son Journal il évoque le CNE auquel il participe :

«Le Comité national des écrivains fut la seule organisation représentative et agissante des écrivains français qui, de toutes générations, de toutes écoles et de tous partis, sont venus à lui, résolus à oublier tout ce qui pouvait les diviser, et à s'unir devant le péril mortel qui menaçait leur patrie et la civilisation […] C'est grâce à lui que dans les ténèbres de l'occupation nous avons pu libérer nos consciences et proclamer cette liberté de l'esprit sans laquelle toute vérité est bafouée, toute création impossible. […]

II serait monstrueux d'absoudre ceux qui dès 39, n'ont pas eu les yeux ouverts par la politique de conquête et d'invasion de l'hitlérisme; tous ceux que n'ont pas révolté jusqu'au plus intime de leur conscience les abominables méthodes du régime nazi, les massacres de Pologne, l'infâme spectacle des persécutions juives et communistes, la tortueuse activité de la Gestapo dans toutes les villes occupées [...]

Et c'est indiscutablement une besogne de salubrité publique, de rechercher, de stigmatiser, de bâillonner, de bannir peut-être, ceux qui malgré ces témoignages accablants, ont, en pleine Occupation, souhaité l'asservissement de la France et de l'Europe à l'exécrable tutelle germanique, et, délibérément travaillé à son compte.»

Mais il faut noter qu'il qualifie cette démarche de «besogne» et ne réclame tout au plus qu'un bannissement et non le poteau d'exécution. Tout comme Paulhan, il déplorera les excès de l'épuration. Ou comme Gide dont le dossier du Magazine des Livres rappelle l'une des interventions en faveur de Lucien Combelle.

Un dossier sans doute encore vendeur mais qui sent à la lecture la fin d'un filon... Notamment après les livres de Pierre Assouline (L'épuration des intellectuels) et de Gisèle Sapiro (La guerre des écrivains, 1940-1953), étrangement oublié dans la bibliographie donnée par le Magazine des Livres.

2 commentaires:

Philippe Brin a dit…

Cette confusion agaçait au plus haut point RMG.

Joyeux Noël à tous les gidiens et longue vie à e-gide !

Fabrice a dit…

Confusion désormais lancée sur la toile par ce jeune magazine et déjà reprise ici et là...

Merci de votre fidélité et joyeux Noël aux... Comment dit-on ? Martin-gardiens ? RMGistes ?