samedi 29 août 2009

Les Gide à Lussan

Le Midi Libre nous plongeait récemment et très approximativement aux sources gardoises de la famille Gide à travers trois articulets consacrés au Château du Fan à Lussan, au temple du village et à la Grotte des Camisards toute proche [note du 22/08/2015 : ces articles ne sont plus en ligne].


A 20 kilomètres d'Uzès, le village de Lussan

En 1550, le seigneur de Lussan, Gaspart d'Audibert, rentre de la campagne d'Italie. C'est dès cette époque qu'un Guido, cardeur de laine venu d'Italie, est signalé dans le village. En 1598, un recensement fait état d'un Jehan Gido qui possédait au village, outre une petite maison, un pré, un jardin, une canebière, une vigne et deux terres.
Dès 1610 la francisation du patronyme en Gide est attestée. Les Gide sont alors des commerçants en laine, facturiers, tisserands et tailleurs prospères. Ils contribuent à l'achat de la cloche et de l'orgue du temple de ce bastion huguenot. Les archives d'un notaire signalent que Nicolas d'Audibert «arrente à Théophile Gide, tisserand de serge et tailleur d'habits la moitié des fruits décimaux de Lussan des dits lieux des Palisses, Chazel et Audabiac pour 415 livres par an» le 13 juin 1666.
Les prénoms Etienne (ou Estienne) et Théophile se transmettent comme cela est d'usage à l'époque et c'est un autre Théophile Gide que retiennent les chroniques en 1710 : dénoncé pour sa participation aux «assemblées du désert», il fuit comme de nombreux protestants du Gard avec sa femme et l'un de ses fils en Saxe.
Son fils Etienne est resté au village pour s'occuper des affaires familiales et se marie en 1715, à l'église et non «au désert» pour préserver l'héritage familial. Dénoncé lui aussi, il subit des pressions et des menaces sur sa famille. En 1774, on retrouve son petit-fils Jean-Pierre-Théophile notaire royal à Uzès. Il prend part en 1789 à la rédaction des cahiers de doléance de Lussan et d'Uzès.
En 1793, sous la Terreur, il se cache dans la fameuse Grotte des Camisards tandis que sa femme et son fils sont emprisonnés à l'évêché d'Uzès avant d'être relâchés. Il semblerait que cette grotte ou une autre toute proche porte aujourd'hui le nom de «Grotte Gide»... Mais c'est le château de Fan, construit au 16e siècle par le seigneur d'Audibert déjà évoqué, qui va devenir la résidence des Gide à Lussan.
La fortune des Gide leur permet en effet d'acheter nombre des possessions des Audibert qui ont fui vers l'Angleterre. Jean-Pierre-Théophile Gide achète le château de Fan, bâti au bord du ruisseau éponyme, en 1795. Il devient président du tribunal d'Uzès puis conseiller à la cour de Nîmes en 1812.




Le temple de Lussan, inauguré en 1822
(Photo du site de Jean-Charles Griebel)

Le 29 septembre 1822 est inauguré le nouveau temple de Lussan. «La Commune, presque toute protestante, a donné 20,000 francs; le gouvernement a fourni 1,000 francs; les fidèles ont supporté le restant des dépenses.» (Statistique des églises réformées de France, A. Soulier, 1828) On possède même un récit de ces cérémonies qui ont quintuplé pendant plusieurs jours la population du village, signé des initiales T.G. Théophile Gide lui-même ?
«La commune de Lussan est située à l'extrémité nord de l'arrondissement d'Uzès, sur les confins de celui d'Alais; elle se compose, indépendamment du chef- lieu, de quatorze hameaux répandus tout autour, et dont quelques-uns en sont éloignés d'une lieue. On peut juger par là que son territoire est vaste; en effet, il a dans quelques directions, deux lieues de diamètre.
La situation du village de Lussan est remarquable. Il s'élève au milieu d'un vallon, sur un plateau ayant la forme d'un cône tronqué; on y gravit par deux chemins et par deux portes, car il est entouré d'un rempart formé naturellement par le roc, et surmonté d'un parapet servant de barrière au chemin qui ceint de tous côtés le village. Du haut de cette terrasse, chacun de ses habitans, dominant le vallon , peut facilement distinguer ce qui se passe dans ses champs.
Les habitans sont laborieux et sobres, d'un caractère doux et affable. De l'esprit naturel n'est point rare parmi eux. Les cinq sixièmes environ de la population professent la religion réformée, et y sont très attachés. Dans des temps qui ne sont pas encore assez éloignés pour que beaucoup d'entre eux n'en aient conservé le souvenir, ils invoquaient Dieu sous la voûte du ciel, au milieu des bois ; heureux encore lorsque la persécution ne les y trouvait point ! Depuis plusieurs années, des lois plus douces leur avaient permis de se réunir dans une remise, pour prier. Enfin, grâce à la bienveillance protectrice des autorités constituées, à une allocation considérable sur les fonds communaux, et aux secours du gouvernement, ils ont pu, avec l'aide de leurs propres moyens, et de ceux de leurs coreligionnaires des communes de Valérargues, de Fons, et autres du canton dont Lussan est le chef-lieu ; et soutenus de plus par le zèle actif et éclairé de quelques citoyens recommandables, édifier un temple qu'on ne peut voir sans rendre justice au mérite et aux soins de M. Guiraud, architecte, chargé d'en diriger les travaux.
Le consistoire avait fixé l'inauguration de ce temple au dimanche 29 septembre 1822. Des invitations avaient été adressées à M. le sous-préfet d'Uzès, aux autorités civiles et militaires du canton, et aux consistoires des églises voisines, pour y envoyer des députations. Chacun des habitans s'était préparé à faire, suivant ses moyens, la meilleure réception aux nombreux étrangers que la cérémonie attirerait.
Dès le matin le son de la cloche annonça le premier service divin.
On voyait à la tête des députations qui furent introduites dans le temple, le pasteur de Lussan, M. de Sabatier-Plantier ; à ses côtés marchait le vénérable M. Roux, pasteur, président du consistoire d'Uzès; venaient ensuite messieurs les pasteurs Tachard de Nîmes, Olive de Saint-Amboix, Germain Encontre de Saint-Jean de Maruejols, Meynadier de Valon, Nicolas de Montaren, Broussous de Saint-Chaptes, Gibert de Castelmoron ; messieurs les anciens et diacres députés des divers consistoires, parmi lesquels on distinguait M. le baron de Chabaud-Latour qui, avec messieurs Tachard pasteur, et Gide notaire ancien, composait la députation du consistoire de Nîmes; on y remarquait aussi M. Gide père, conseiller à la Cour royale de Nîmes, ancien de l'église d'Uzès, M. Jean-Baptiste Chastanier, maire de Lussan, et M. Salel son adjoint (catholique.)» (Relation de la cérémonie d'inauguration du temple de Lussan, département du Gard, célébrée le 29 septembre 1822. Archives du christianisme au 19e siècle, Bureau des Archives du Christianisme, Paris, 1823)



Le Chateau de Fan à Lussan,
propriété des Gide entre 1795 et 1920
(Photo du site de Jean-Charles Griebel)

Le fils de Jean-Pierre-Théophile Gide, Tancrède Gide, sera notaire et lui aussi président du tribunal d'Uzès. Il aura deux fils : Paul, le père d'André Gide, et Charles, le grand économiste si souvent évoqué par André Gide. André n'a pas connu Tancrède, mort bien avant sa naissance, mais sa mère le décrivait comme «un huguenot austère, entier, très grand, très fort, anguleux, scrupuleux à l'excès, inflexible, et poussant la confiance en Dieu jusqu'au sublime.» (Si le Grain ne meurt).
La famille Gide conservera le château de Fan jusqu'en 1920, mais c'est à Uzès chez son oncle Charles Gide, où vit encore la mère de ce dernier Clémence Granier, veuve de Tancrède, qu'André Gide et ses parents vont passer les vacances de Pâques. Les Gide vendent le château de Fan en 1920 à la commune qui en fera sa gendarmerie dans les années 60. Il a été aujourd'hui transformé en résidence de plusieurs appartements.
Dans Gide Familier, Jean Lambert signale en juillet 1954 : «Au départ de la route qui grimpe vers le village de Lussan, un écriteau indique : Berceau Famille Gide. On a pensé, en le posant, plutôt à Charles qu'à André.»
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La lignée Gide n'est pas facile à remonter, notamment en raison des prénoms similaires de génération en génération, qui semblent avoir abusé notamment Alan Sheridan dans les arbres généalogiques qu'il donne en annexe de «André Gide : A life in present» (Harvard University Press, 1999).
Ne disposant pas des tableaux généalogiques dressés par Claude Martin dans André Gide ou la vocation du bonheur (Fayard, 1998) ni de la Promenade à travers la généalogie de Gide (Bulletin des Amis d'André Gide n°72), je me suis appuyé sur les recherches personnelles de Guy Massot.
Signalons enfin qu'avant leur arrivée en France, Jean Delay (La Jeunesse d'André Gide) relie les Guido à une famille aristocratique florentine. Charles Gide évoquait également une légende selon laquelle les Gide descendraient de Saint Egide – alias Saint Gilles – l'évangélisateur de la Camargue venu de Grèce.
L'étymologie d'Egide, du germain gisil, «descendant (de haute origine)», qui se confondit avec Aegidius, «le protecteur» (du grec aigidos, «bouclier» – celui de Zeus et d’Athéna), est d'ailleurs amusante par sa recherche de haute lignée dans son origine germanique. Le dernier Bulletin des Amis d'André Gide donne d'ailleurs une note d'anthroponymie :
«deux explications du patronyme Gide sont possibles. La plus simple est que Gide soit une francisation du nom de personne germanique Gido. [...] Le nom Gido dérivait d'un terme vieux germain et vieil anglais gidd qui signifiait chant ou poème. [...] Les Gide et Gidde sont presque exclusivement méridionaux et il est possible qu'ils ne dérivent pas de Gido, mais d'une variante du prénom Gilles.»

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