vendredi 21 novembre 2008

Il y a cent ans : la NRF resserrait les cravates

Il y a 100 ans, André Gide, Jacques Copeau, Jean Schlumberger, Michel Arnaud (Marcel Drouin), Henri Ghéon et Eugène Montfort fondent La Nouvelle Revue Française dont le premier numéro paraît le 15 novembre 1908. Montfort, ex-directeur des Marges, insère dans ce premier numéro, à l'insu des autres, un article contre Mallarmé signé Boquet, directeur de la revue lilloise Le Beffroi.

Cet attentat contre Mallarmé accusé "d'impuissance" fait éclater le groupe. Un second "premier numéro" – sans Monfort et ses amis – est publié en février 1909. André Gide sera le directeur de la NRF jusqu'en 1914. La Nouvelle Revue Française se veut le concurrent direct du Mercure de France, fondé en 1890, vivier des symbolistes et des jeunes auteurs dont André Gide qui lui donna ses premiers textes.

Au Mercure règne l'étonnant Remy de Gourmont, qui fait d'abord l'éloge des premiers ouvrages de Gide et l'accueille. "Le poste de commandement de Gourmont était le Mercure de France, celui de Gide la NRF. Grâce à eux, ces deux revues ont régenté les lettres dans le monde entier", commente Jean Dutourd. Entre les deux hommes toutefois, une incompréhension se change bientôt en "rivalité littéraire" de prédominance si l'on en croit Paul Léautaud :

"J'ai lu aussi de petits comptes rendus d'un livre, ou plaquette que Rouveyre vient de publier sur Apollinaire, et sur Gourmont. A propos de celui-ci, il en profite pour s'en prendre encore à Gide, dont il dit qu'il détestait Gourmont. Il parle encore là de ce qu'il connaît à peine. Il est bien certain que Gide ne pouvait guère aimer les tendances d'esprit de Gourmont, mais le débat se situait sur un bien autre plan. Rivalité littéraire, donc de prédominance, chez Gide. J'ai vu cela de près. Sans Gourmont, c'est peut-être au Mercure que Gide eût fait toute sa carrière, mais à condition d'être le premier. Or, la place était prise."

"Gourmond – une âme désespérément opaque", note Gide le 13 février 1907 dans son Journal. Déjà, dans une entrée de 1904, il expliquait son "malaise" devant Gourmont : une gêne et une hostilité. "[...] la pensée, chez lui, n'est jamais chose vive et souffrante ; il reste toujours outre et la tient comme un instrument." Montfort, qui rouvre Les Marges, oppose d'ailleurs "Gide contre Gourmont" en mai 1910. Mais qu'on ne s'y trompe pas : la NRF ne fait pas table rase des revues anciennes mais prône au contraire un retour au classicisme, à la littérature pour elle-même. Et c'est cela qui change tout, ainsi que le souligne François Nourrissier :

"Il faut faire un effort d'imagination pour mesurer, neuf décennies passées, la force de rupture que recelait la bombe NRF. Rupture avec quoi ? Avec qui ? Les six "gidiens" n'apparaissent pas dans un désert. On trouve là le faisandé et l'académique, le chauvin et le parisien, le décadent et le licencieux, Claudine et Colette Baudoche, la cambrure 1900 et les langueurs fin de siècle. La NRF ne va pas naître d'un désir, si banal en littérature, de faire table rase, mais d'un retour à la rigueur et aux inspirations classiques. On nettoie. On ne se débraille pas : on ressert les cravates."

C'est par ce texte de Nourrissier que le site des éditions Gallimard ouvre une très intéressante histoire de la NRF à consulter ici.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

A ce propos voir aux éditions QuestionDeGenre/GKC (www.gaykitschcamp.com) : Où Montfort traite Gide lui-même d'"impuissant" !

Un aspect de la querelle
André Gide et Eugène Montfort
Présentation Patrick Cardon

Une enquête de la revue
LES MARGES
Mars-Avril 1926
2e édition revue et augmentée
Enquête sur l'homosexualité en littérature : François Mauriac, Rachilde, Octave Uzanne, Camille Mauclair, Drieu la Rochelle, Jean de Gourmont, etc.

suivi de
Le Saphisme en poésie aux XVIe et XVIIe siècles par Octave Uzanne,
Louis Perceau, L. Delestudes