jeudi 31 juillet 2008

Wilde, entre les lignes

"Ceux qui n'ont approché Oscar Wilde que dans les derniers temps de sa vie, imaginent mal, d'après l'être affaibli, défait, que nous avait rendu la prison, l'être prodigieux qu'il fût d'abord... C'est en 1891 que je le rencontrai pour la première fois."

Cet "être prodigieux" qu'évoque Gide dans Prétextes, il le rencontre aux mardis de Mallarmé l'année même où Wilde publie le Portrait de Dorian Gray et lui-même les Cahiers d'André Walter. "Wilde ne m'a fait, je crois, que du mal. Avec lui, j'avais désappris à penser. J'avais des émotions plus diverses mais je ne savais plus les ordonner", juge d'abord Gide dans l'entrée du 1er janvier 1892 de son Journal. Un mal pour un bien : ébranlé dans ses certitudes face à l'esprit et surtout l'immoralisme de Wilde, assumé aussi bien dans sa vie que dans ses oeuvres sans pour autant renoncer à la rigueur artistique, Gide doute.

Le hasard fait se croiser leurs routes encore à deux occasions : en mai 1894 à Florence et en janvier 1895 à Blidah. Cette rencontre algérienne que Gide, dans un premier instinct, cherche à fuir, est longuement relatée notamment à la fin de Si le grain ne meurt. "Wilde avait observé jusqu'à ce jour vis-à-vis de moi une parfaite réserve. Je ne connaissais rien de ses moeurs que par ouï-dire; mais dans les milieux littéraires que nous fréquentions l'un et l'autre à Paris, on commençait de jaser beaucoup."

Wilde voyage avec "Bosie", le jeune lord Alfred Douglas. Gide note la tyrannie qu'il exerce sur Wilde et le mélange d'agacement et "d'amoureux plaisir de se laisser dominer" de ce dernier. Wilde "tombe le masque". Quelques jours plus tard, à Biskra, Gide note cette pensée de Wilde qui sera si souvent citée : "J'ai mis mon génie dans ma vie, je n'ai mis que mon talent dans mes oeuvres". A Biskra encore, Wilde se fera le pourvoyeur de Gide en lui "offrant" Mohammed, le petit musicien.

Deux mois plus tard, le procès que lance Wilde contre le marquis de Queensberry, le père de Bosie, se retourne contre lui et l'envoie pour deux ans en prison. A sa sortie, Wilde s'installe à l'été 1897 en France, à Berneval-sur-Mer, près de Dieppe, sous le nom de Sebastian Melmoth. C'est là que Gide vient lui rendre visite et c'est là qu'il s'entend dire "Ecoutez, dear, il faut maintenant que vous me fassiez une promesse. Les Nourritures terrestres, c'est bien... C'est très bien... Mais, dear, promettez-moi : maintenant n'écrivez plus jamais Je."*

Un conseil littéraire en forme d'avertissement que Gide ne suivra qu'à moitié en publiant Corydon (1924), puis plus du tout dans Si le grain ne meurt (1926). Mais revenons à cette fin du dix-neuvième siècle. Wilde et Gide se verront encore deux fois à Paris. Lors de leur dernière rencontre, Wilde apparaît à Gide "profondément misérable, triste, impuissant et désespéré" et quelques jours plus tard, par lettre, Wilde demandera 200 francs à Gide.

Pour la suite, qu'on me permette de citer la quatrième de couverture du livre de Gide sur Oscar Wilde : "En décembre 1900, alors qu'il séjournait dans le sud algérien, à Biskra, André Gide apprit par les journaux la mort d'Oscar Wilde. L'éloignement ne lui permettant pas de se joindre au cortège qui suivit la dépouille du poète, il décida d'écrire aussitôt "ces pages d'affection, d'admiration et de respectueuse pitié ". Réunis pour la première fois en 1946, ces deux courts textes d'André Gide sur Oscar Wilde (In memoriam et le De profundis) furent publiés respectivement en 1903 (In Prétextes) et en 1905."

Si longtemps Gide a admiré l'esprit de Wilde, sa conversation plus que son oeuvre, sa maîtrise nouvelle de l'anglais lui fera revoir progressivement son jugement. "Certainement, dans mon petit livre sur Wilde, je me suis montré peu juste pour son oeuvre et j'en ai fait fi trop à la légère, je veux dire : avant de l'avoir connue suffisamment", note Gide dans son Journal (29 juin 1913). Et Gide annonce "Plus tard j'espère bien pouvoir revenir là-dessus et raconter alors tout ce que je n'ai pas osé dire d'abord. Je voudrais aussi expliquer** à ma façon l'oeuvre de Gide, et en particulier son théâtre – dont le plus grand intérêt gît entre les lignes."

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* Il faut noter que Proust fera à Gide la même recommandation : "Je lui apporte Corydon dont il me promet de ne parler à personne; et comme je lui dis quelques mots de mes Mémoires : "Vous pouvez tout raconter, s'écrie-t-il; mais à condition de ne jamais dire : Je." Ce qui ne fait pas mon affaire."
** C'est Gide qui souligne.

dimanche 27 juillet 2008

Le gaillard qui est devenu l'oncle Martin

Amitié, toujours. Celle qui unit Gide à Roger Martin du Gard trouve ses racines dans l'admiration de Martin du Gard pour l'auteur des Nourritures Terrestres et dans l'attrait immédiat de Gide pour l'auteur de Jean Barois. "Celui qui a écrit cela peut n'être pas un artiste, mais c'est un gaillard ! Il faut publier cela", écrit André Gide à Gaston Gallimard pour l'encourager à éditer ce second roman refusé par Grasset.

Ces deux-là se "font l'amitié" bien vite. Le début d'un dialogue qui ne cessera plus. Au Vaneau, au Tertre, par lettres et même un dialogue intérieur comme le confie Martin à son "Cher grand Ami" : "Je pense à vous chaque jour. Plus ou moins précise, votre présence est autour de moi ; et c'est vous l'interlocuteur auquel je m'adresse, même quand je ne songe pas à lui donner votre visage. Et si je suis content d'une heure de travail, c'est vous que j'associe immédiatement à ma joie. Et si je me consulte : ce n'est qu'en apparence, car en réalité c'est vous que je consulte à travers moi. Cela, sans exaltation, comme une habitude heureuse. Vous ne saurez jamais bien tout ce que je vous dois."

Cet extrait d'une lettre du 9 octobre 1922 de Martin du Gard à Gide ne doit pourtant pas laisser penser qu'il s'agissait d'idolâtrie de la part du jeune auteur pour l'écrivain de douze ans son aîné... Loin s'en faut ! Leur amitié autorise à dire bien franchement ce que chacun pense des directions littéraires ou idéologiques prises. Les Cahiers de la Petite Dame montrent bien leurs rapports faits d'estime mutuelle et, au nom de cette estime, les nombreuses mises au point et joutes verbales au cours desquelles ces deux esprits brillaient si bien.

Roger Martin du Gard, qui n'aimait rien tant que des personnages vraisemblables, se servira à de nombreuses reprises de Gide pour modèle, ou tout du moins d'épisodes de sa vie, pour les faire vivre aux personnages de ses livres*. Gide de son côté lui dédiera Les Faux Monnayeurs mais d'une manière générale, son ami Martin influera bien moins sur son oeuvre que sur sa façon de la publier, de la défendre et de la corriger.

Encore une fois, ce blog n'a pour prétention que de donner des pistes de lecture ou de re-lectures par des évocations plutôt que par des commentaires de textes. Il y aurait long et profond à dire sur le lien Gide-Martin, ce qui a été déjà fait en grande partie. Mais le mieux est encore de lire leur volumineuse correspondance, 897 lettres réunies dans deux volumes chez Gallimard.

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* Voir à ce sujet "Reflets littéraires d'une amitié : André Gide dans Les Thibault de Roger Martin du Gard", Harald Emeis, L'Harmattan, 2007

mercredi 23 juillet 2008

Faire l'amitié

Un très beau texte de Claude Martin paru sur le site de FR3 lors de la diffusion du magazine Un siècle d'écrivains, et sauvegardé par le site de l'Académie de Rouen, à lire ici.

mardi 22 juillet 2008

Gide et les femmes : Elisabeth (deuxième partie)



Nous avions laissé ici Elisabeth van Rysselberghe à la naissance de sa fille Catherine, dont le père n'est autre qu'André Gide.


André Gide, Catherine, le Petite Dame et Elisabeth

A l'arrière plan, "l'Oncle Martin", Roger Martin du Gard


Elisabeth retourne s'installer avec Catherine à la Bastide Franco qu'elle dirige. Pour les gens de là-bas, la version officielle sera que Catherine est une enfant adoptée, Elisabeth ayant pris de s'éloigner dès que la grossesse fut visible. Une version confortée après tout par les rumeurs qui courent au sujet d'Elisabeth : une femme aussi libre ne peut être que lesbienne...


En octobre, Elisabeth revoit son père pour la première fois depuis la naissance de Catherine. Le peintre Théo van Rysselberghe voit ses soupçons se confirmer : "Ce n'est pas la peine de dissimuler une paternité, qui se lit si clairement dans tous les traits de ce petit visage." Gide est à la fois soulagé que Théo sache la vérité et fièrement amusé de cette ressemblance.


Fin 1926, la bastide Franco est vendue. Elisabeth et Catherine s'installent à Saint-Clair, dans l'ancien atelier de Théo, mort en décembre de la même année. Rester dans le midi était, on l'a vu, un souhait profond d'Elisabeth qui s'y épanouit. Cela convient aussi très bien à Gide puisque le climat est une raison suffisante "aux yeux de Cuverville" – c'est-à-dire à ceux de son épouse – pour lui permettre des séjours fréquents auprès de Catherine.


A Paris, dès 1928, c'est rue Vaneau que Gide s'installe aux côtés de Maria van Rysselberghe. Deux appartements sur le même palier pour le père et la grand-mère de Catherine, plus deux studios : l'un pour recevoir Elisabeth lors de ses visites à Paris, l'autre pour Marc Allégret.


22 juin 31 : "Je reçois une lettre d'Elisabeth qui me dit : "Pierre Herbart est installé au "pin". [...] ; demande à Bypeed qui c'est, c'est lui qui me l'a fait connaître dans notre petit voyage à Roquebrune. C'est Cocteau qui, lors de ce même séjour à Roquebrune en mai 1927, avait présenté Herbart à Gide.


1er juillet 31, autre lettre d'Elisabeth à sa mère où Herbart est "l'oiseau rare" dans une cage dont toutes les portes sont ouvertes...


Le 22 août 31, toujours dans une lettre, elle annonce à sa mère : "Pierre Herbart et moi, nous allons nous marier pour simplifier la situation et légitimer l'enfant qui va venir, je l'espère, j'en suis certaine." Mais elle ajoute : "Ce mariage sera ce que nous le ferons."


Il faudra revenir, ailleurs, sur Pierre Herbart, ce jeune homme plein de charme et d'intelligence, aimant les garçons, ravi à Cocteau par Gide, et choisi à la fois par Elisabeth pour époux et par Gide comme proche. Rien d'étonnant à cela : Elisabeth et Gide ont toujours partagé les mêmes goûts, les mêmes élans et la même vision libre de l'amour...


Le second enfant d'Elisabeth, Jean, qu'elle eût cette fois avec Herbart, ne survivra pas. "Nous avons compris que la la mort de Jean n'était pa un simple ratage qui pourrait se réparer, mais bien un drame définitif", écrit Herbart à sa belle-même Maria van Rysselberghe. Le petit fantôme hante désormais Saint-Clair. Catherine allant en pension en Suisse, Elisabeth choisit de suivre Pierre Herbart dans ses déplacements.


Gide s'inquiète un peu de ce que Catherine pourrait appeler Herbart "papa". Mais dans l'immédiat, Gide n'est le père de la petite que pour le cercle des intimes, ceux que Roger Martin du Gard appelle "les" Gide. Catherine appelle Gide par son sobriquet trouvé il y a longtemps par Copeau, Bipède, et anglicisé par Whity, l'amie d'Elisabeth, en Bypeed.


Herbart intégrant définitivement le cercle gidien et prenant de plus en plus de place dans le monde des idées, s'installe avec Elisabeth dans l'espace géographique gidien de Paris et du Vaneau. La mort de Madeleine, en avril 1938, permet à Gide de reconnaître officiellement sa fille. Après-guerre, Elisabeth peut retrouver le sud de la France.


Après la mort de Gide, en 1951, les documents sur Elisabeth se font rares. En 1955, elle fait paraître une traduction de Canicule, de Donald Windham. Il semblerait que ses relations avec Pierre Herbart se soient distendues, ce dernier mourant à Grasse a été jeté dans la fosse commune puis enterré à Cabris.


Tout comme sa mère Maria, la Petite Dame, Elisabeth a joué dans le vie de Gide un rôle très important. Elisabeth poursuit une lignée de femmes de tête : la veuve Monnom, sa grand-mère, éditrice de l'avant-garde belge, Maria-La Petite Dame, sa mère, infatigable oreille et petit Eckermann de Gide, Elisabeth, la rebelle solaire et enfin Catherine, l'inattendue fille d'André Gide aujourd'hui gardienne d'une oeuvre qui a tant compté, compte et comptera pour longtemps encore.

samedi 19 juillet 2008

Gide traducteur

Pour faire suite au précédent billet sur les prix André Gide, évoquons le Gide traducteur.

Il existe officiellement huit traductions publiées par Gide :

Rabindranath Tagore, L'Offrande lyrique (Gitanjali). NRF, 1913.
Joseph Conrad, Typhon. NRF, 1918, 200 p. Achevé d'imprimer : 25 juin 1918 ; préoriginale dans La Revue de Paris, 1er mars 1918, pp. 17-59 ; et 15 mars 1918, pp. 334-381.
William Shakespeare, Antoine et Cléopâtre. Lucien Vogel, 1921.
Rabindranath Tagore, Amal et la Lettre du Roi. Lucien Vogel, 1922.
William Blake, Le Mariage du Ciel et de l'Enfer. Claude Aveline, 1923.
Alexandre Pouchkine, La Dame de pique. Éd. de la Pléiade, 1923.
William Shakespeare, Hamlet. Jacques Schiffrin, 1944.
Prométhée (de Goethe). Henri Jonquères / P. A. Nicaise, 1951.

Huit œuvres majeures auxquelles il faut ajouter des traductions collectives comme les quelques poèmes des Feuilles d'herbe de Walt Withman ou Le coup de pistolet de Pouchkine, nouvelle traduite avec son ami Jacques Schiffrin. Mais aussi des participations dans l'ombre d'autres amis comme la traduction de Un conte de bonnes femmes, de Arnold Bennett, signée Marcel de Coppet mais relue et revue par Gide, Martin du Gard, Coppet et la Petite Dame lors d'un séjour au château du Tertre, demeure bellêmoise de Roger Martin du Gard. Nous y reviendrons...

Gide ne traduit bien évidemment pas Tagore du bengali... L'auteur Indien a reçu le prix Nobel en 1913 grâce à une partie de ses livres traduits en anglais et remarqués entre autres par le poète Yeats. Les parents de Gide ont toujours refusé de lui enseigner l'anglais pour pouvoir converser devant le petit André sans qu'il les comprît. Ses seuls rudiments lui provenaient sans doute de Anna Schackelton, la dame de compagnie écossaise de sa mère avec qui allait herboriser.

Toutefois, même avec ces seuls rudiments, Gide se plonge dans les auteurs anglais dans le texte, armé de dictionnaires, tout comme d'ailleurs dans des lectures en allemand. Mais il ne maîtrise que très imparfaitement la langue de Shakespeare comme en atteste une lettre adressée à sa mère en 1895 qui commence par "My swith mother"...

En 1909, il étudie plus avant l'anglais, ne pratiquant que des auteurs anglophones, s'inscrit à l'école Berlitz en 1910, prend en 1911 un professeur particulier qu'il dépasse bientôt. Il a alors 42 ans. "Je ne me suis mis à l'anglais que très tard ; mais résolument, et n'eut de cesse que je ne puisse lire couramment tant d'auteurs de toutes sortes qui font de la littérature anglaise la plus riche du monde entier", écrit-il à la fin de sa vie dans Ainsi Soit-Il.

Sa rencontre avec l'angliciste et anglophile Valery Larbaud lui ouvre de nouveaux horizons en Grande-Bretagne où il commence à être lu et apprécié par les francophones et où il veut exporter la NRF. Arnold Bennett écrit sur Gide dans la revue The New Age. Par l'entremise de Larbaud, Gide rencontre Joseph Conrad. Pendant la première guerre mondiale, Gide découvre nombre d'auteurs anglais dont Blake.

Son voyage le plus important en Angleterre a lieu en 1918, voyage en compagnie de Marc Allégret et épisode de sa vie tout aussi important. Pendant qu'il sillonne l'Angleterre en compagnie de son ami, sa femme, Madeleine, relit une à une ses lettres et les brûle dans une cheminée du château de Cuverville...

Adopté par la famille – le clan – Strachey dont les enfants fréquentent le cercle très libéré de Bloomsbury aux côtés de Virginia Woolf ou John Meynard Keynes, Gide devient l'élève de Dorothy Strachey devenue Dorothy Bussy après son mariage avec le peintre Simon Bussy. Dorothy lui donne des cours d'anglais mais s'aperçoit bien vite de son immense culture. Gide connaît par cœur des vers anglais... Dorothy deviendra alors l'amie, l'éternelle amoureuse et la traductrice de Gide vers la langue anglaise.

Voilà qui fera de Gide un traducteur finalement très consciencieux, moins écrivain que traducteur, contre toute attente. Début août 1929, Gide, la Petite Dame et Marc viennent passer quelques jours au Tertre chez Martin du Gard. Ils seront rejoints par Christiane, la fille de Martin, et son mari Marcel de Coppet. La Petite Dame raconte dans ses cahiers :

"Durant les quinze jours que nous allons passer ici, on se propose de revoir la traduction que Coppet fit de Old Wive's Tale de Bennett. [...]
Les questions de principe au sujet des traductions sont le leitmotiv qui va revenir et pendant le travail et à travers toutes nos conversations, source de plaisanteries, d'allusions et de petites irritations aussi ; c'est que Gide et Martin du Gard sont d'un avis très opposé : Martin tient que rien n'est intraduisible, qu'il suffit de descendre assez loin dans la pensée, de se donner de la peine, que peu importe si pour un mot d'anglais, il faut deux phrases françaises, que du reste la concision n'est pas un mérite en soi et puis que nous sommes tous intoxiqués par le plaisir de comprendre, de goûter la saveur de l'anglais et que nous voulons faire passer cette saveur dans le français même au détriment de la langue. Gide ne pense pas ainsi. Le premier soir, devant ces déclarations de Martin, il lui dit : "Attention, je vais être méchant, ce que vous dites là va trop dans votre sens, faites attention que justement Les Thibault se traduisent très facilement ; j'ai envie de dire que s'ils contenaient plus d'intraduisible, ils n'en vaudraient que mieux." En montant se coucher, Bypeed demande un dictionnaire d'allemand, il est en train de lire Zauberberg de Thomas Mann, qu'il trouve décidément très remarquable." (Les Cahiers de la Petite Dame, tome 2, pages 24-25)

Le lendemain, 3 août 1929, le travail reprend :

"Avec Gide, tout travail est consciencieux, minutieux. On avance lentement et puis à chaque correction proposées le débat se rouvre : Martin veut qu'un livre traduit en français ait l'air d'être écrit en français, que le lecteur n'y soit pas dépaysé ; alors que, dans les changements que propose Gide, on sent toujours la crainte de faire s'évanouir ce qui est spécifiquement anglais ; il cherche l'exactitude par le mot à mot ou par l'équivalence. Martin, lui, veut tout chambarder pour faire une bonne page de style au tour bien français. Pour le spectateur, tout cela est très amusant, cette petite lutte est passionnante et passionnée parce que chacun y révèle ses préoccupations et en est conscient. A se sentir tout seul de son avis, Martin grossit son indignation : "Je suis le seul à avoir conservé le sens du français, toutes les nuances vous échappent. J'espère bien ne jamais être traduit en aucune langue par des types comme vous. Ah ! ce texte, il vous hypnotise on ne fait de bonne traduction qu'en ignorant la langue étrangère, aidé de quelqu'un qui vous donne la matière brute. Oui, c'est entendu, notre langue est pauvre, et l'humour anglais est incomparable, et intraduisible, etc." Il bouffonne avec verve pour nous divertir."


En août 1929 au Tertre, Gide et Martin du Gard
entourent Marcel de Coppet et revoient sa traduction
de Old Wive's Tale de Bennet

vendredi 18 juillet 2008

Prix André Gide 2007-2008

Le 23 juillet prochain à l'ambassade de France à Berlin seront remis les sixièmes prix André Gide. Créé par la Fondation DVA pour encourager le dialogue culturel entre l'Allemagne et la France, le prix André Gide couronne tous les deux ans une traduction de l'allemand vers le français et une du français vers l'allemand.

Les lauréats du Prix André Gide 2008 sont le Munichois Georg Holzer et la Parisienne Barbara Fontaine. Georg Holzer reçoit ce prix pour la traduction du recueil de sonnets de Pierre de Ronsard, "Les amours de Cassandre". Barbara Fontaine est récompensée pour la traduction en français du roman de Stephan Wackwitz, "Un pays invisible". Ils reçoivent chacun la somme de 10 000 euros.

Ce prix rappelle combien Gide tenta dès la fin de la première guerre mondiale de mieux faire se comprendre les Allemands et les Français. Cela notamment par l'entremise des Mayrsich et du Cercle de Colpach que j'ai déjà évoqués ici.

Il faut aussi songer que l'oeuvre d'André Gide fut reçue en Allemagne peut-être plus fortement, plus profondément d'ailleurs. C'est ce que déplore la revue Latinité en 1931 dans une "enquête" qui visait à saisir l'influence de Gide en Europe, influence que les auteurs de cette "enquête" partiale jugeaient déjà bien néfaste mais prétendaient plus simplement nulle... Un document très intéressant.

mercredi 16 juillet 2008

Lieux gidiens : Villa Montmorency

Le magazine Le Point décrit ce qu'est devenue la Villa Montmorency, cité privée du 16e arrondissement de Paris où Gide fit construire une maison baroque, invivable, qu'il revendit bien vite pour s'installer au Vaneau avec la Petite Dame.

Lieux gidiens : La Roque

Le site littéraire du Nouvel Observateur, Bibliobs.com, publie une "Balade en Calvados" avec André Gide.
Il s'agit en fait d'une évocation de la vie de Gide à La Roque-Baignard, petite commune du Calvados où se trouvait le château familial.

C'est en 1851 que le château et son domaine sont achetés par le grand-père maternel d'André Gide. Peu de temps avant, l'oncle de Gide, père de Madeleine sa cousine et sa future femme, avait acheté non loin de là le Chateau de Cuverville-en-Caux. Cuverville était le lieu où l'on passait l'été avant de retrouver La Roque en septembre.

André Gide hérite de La Roque par sa mère qui, devenue veuve, en a fait sa demeure personnelle.
Gide le vendra en 1900 (et vendra les dernières fermages en 1909) pour s'installer à Cuverville, dont Madeleine a fait sa maison, sa retraite, son tombeau.

L'article de Bibliobs.com explique comment, selon une longue tradition, le châtelain est devenu maire. Il renvoie aussi à un extrait de l'Immoraliste dans lequel le héros est propriétaire d'un domaine nommé La Morinière, voisin de La Roque et qui existe bel et bien, mais qui est en réalité une transposition de La Roque.