samedi 27 décembre 2008

Vente de la bibliothèque de M. André Gide

Je découvre sur un site consacré aux frères Goncourt un article d'Alain Barbier Sainte Marie* qui analyse les lectures gidiennes des Goncourt par le petit bout de la lorgnette : "André Gide avait lu les Goncourt. Nous avons une liste des livres d'eux par lui possédés grâce au Catalogue de livres et manuscrits, édité par Edouard Champion, en 1925, à l'occasion de la vente à Drouot, les 27 et 28 avril de cette année, de «la bibliothèque de M. André Gide»."

Rien d'étonnant en effet de trouver "seize titres" des Goncourt dans le catalogue de la célèbre vente qui eut lieu à la salle 8 de l'Hôtel Drouot ces 27 et 28 avril 1925. Mais on aurait pu relever des appréciations plus documentées dans le Journal de Gide, de la consternation de Blanche notée le 19 janvier 1902 au conseil tiré du contre-exemple des Goncourt dans les Feuillets de 1921. Et j'en passe...

Surtout on ne peut laisser passer cette assertion : "Pourquoi cette vente par un lecteur aussi exercé et aussi amoureux des belles éditions, comme en témoignent l'abondance et la qualité des ouvrages reliés, livres avec envoi, et sur grand papier ? Parce qu'il avait besoin d'argent, sans aucun doute. Le 14 juillet suivant, il partirait pour le Congo, en compagnie du cinéaste Marc Allégret. [...] Les deux vacations à Drouot ont rapporté une belle somme à Gide : 121 692 fr. en 1925. De quoi faire un beau voyage…"

"André Gide vend ses livres. Cela peut arriver à tout le monde, même – où surtout par le temps qui court – à un homme de lettres. L'homme de lettres est généralement imprévoyant, mauvais administrateur de ses deniers, et d'ailleurs sujet à d'étranges vicissitudes : il peut gagner une fois cent mille francs, ou davantage, et dix-huit cents francs l'année suivante. [...] D'autre part il est souvent fantaisiste, capricieux et pourrait chercher de l'argent tout simplement de l'argent pour acheter autre chose. On en découvrirait même par hasard un ou deux qui appartiennent à la catégorie des bibliophiles spéculateurs [...].
Au surplus, aucun de ces cas n'est celui d'André Gide, qui ne vend qu'une partie de sa bibliothèque, et pour des raisons très particulières, telles qu'on les pouvait attendre de cet esprit subtil
." Paul Souday, dans Le Temps du 10 avril 1925, n'épargne pas André Gide : il y a pour lui pire que la cupidité qui n'a rien à voir dans cette affaire...

La question de l'argent nécessaire pour le voyage au Congo n'était en effet pas l'essentiel, ou si elle l'était, elle n'avait nullement besoin de la préface que fit Gide au catalogue de la vente. "L'amitié à l'encan" ou "A. Gide et son vilain geste" titre le Journal Littéraire. Gide qualifie lui même, dans les entretiens avec Jean Amrouche, la première préface de "jeu de massacre". La seconde, qui sera publiée, est donc atténuée.

Gide n'en dit pas moins les raisons qui le poussent à se séparer de quelques-uns de ses livres : c'est que leurs auteurs se sont auparavant séparés de lui. Il ne coupe pas les pages dédicacées pour bien montrer les éloges et témoignages d'amitié de ceux qui aujourd'hui l'ont renié ou le critiquent : Pierre Louÿs, l'ami de jeunesse, Francis Jammes, retourné à la religion, Albert Samain, critique enthousiaste des Nourritures, Maeterlinck...

Aux côtés de l'Anti-Corydon, dédicacé mais non coupé, on trouve aussi quantité de belles éditions, "livres qui ne me font souvenir que d'une crise de bibliomanie, dont je suis fort heureusement guéri", répond Gide à Paul Souday dans le Temps du 17 avril 1925. Il poursuit : "Vous le savez du reste et l'avez dit : l'amour de la littérature n'a que très peu de choses à voir avec celui des livres. Dans l'édition à 1 fr. 20, où je la relis à présent, que j'emporte avec moi en promenade et couvre de coups de crayon, l'Education Sentimentale ne me paraît pas moins admirable que dans cette première édition dont je me sépare et que je crois bien n'avoir jamais ouverte."

Cet esprit de détachement ménalquien s'explique aussi par plusieurs évènements : le Voyage au Congo sera une expédition difficile dont beaucoup ne reviennent pas. Gide a alors 55 ans. Fin 1924, il est opéré de l'appendicite et, convaincu qu'il pourrait ne pas s'en réveiller, rédige son testament par lettre à Roger Martin du Gard qu'il fait exécuteur testamentaire avec Jean Schlumberger. Il prend notamment des dispositions pour Elisabeth et leur fille Catherine. L'opération se passe bien mais sitôt après meurt Jean Rivière et s'en ensuit une tentative de récupération de l'écrivain par les catholiques, menée par sa propre épouse Isabelle Rivière.

Soucieux de sa figure, de ce qui restera de Gide après Gide, la vente de sa bibliothèque est pour lui une manière de "mise au net" : il l'expurge des amis anciens, des ennemis nouveaux, des volumes trop fastueux qui ne lui correspondent plus tout comme des auteurs qui ne correspondent plus à ses lectures actuelles.

On voit bien que le besoin d'argent (Gide n'a jamais eu à proprement parler "besoin d'argent") n'est qu'une motivation mineure de la vente. Il y a fort à parier d'ailleurs qu'une partie de la somme récoltée fut destinée à assurer l'avenir de sa fille Catherine. Avant de partir pour le Congo, Gide cède les droits des Faux-Monnayeurs qu'il vient d'achever à Elisabeth. Il vend à un collectionneur le manuscrit original : 16 000 francs qui serviront à acheter une auto à Elisabeth.

Alors qu'un collectionneur propose de racheter l'ensemble de la bibliothèque d'une seule pièce, Gide doit en faire l'estimation : 125 000 francs. La Petite Dame rapporte : "Elle a rapporté 123 000 francs. C'était vraiment se tromper de bien peu. Il s'était amusé à deviner ce que se vendrait chacun des livres ; c'est ainsi qu'il avait obtenu son total. Il avait estimé certains trop haut et tous les siens trop bas."**

Ce sont en effet les livres de Gide qui vont faire les meilleures enchères avec Leaves of Grass, de Walt Whitman. Faut-il y voir une façon pour Gide de savoir "ce qu'il vaut" ? Une autre motivation souterraine de cette vente ? Ce n'est pas exclu car il y a là une façon d'amusement tout gidien. L'amusement ! Comme souvent la Petite Dame est celle qui, connaissant le mieux son grand homme, aura le dernier mot :

"Il lit encore pour moi la préface au catalogue de le vente de ses livres ; c'est la deuxième version. La première, qu'il lit aussi et que Martin du Gard fit annuler, est un véritable jeu de massacre : à chacun des anciens amis dont il vend les oeuvres, il dit brutalement pourquoi. Evidemment, c'est une agression assez intempestive, qui risquait de le montrer plus rancunier qu'il ne l'est au fond, mais ça avait une allure plus franche, que je préférais peut-être. Peu de choses lui firent plus de tort dans l'opinion que cette vente ; les raisons qu'on veut y voir ne sont pas aisément défendables ; aucune, pourtant, je crois, ne couvre exactement la vérité. "The truth is rarely pure and never simple (Oscar Wilde). Ne jamais oublier, quand on le juge, l'importance pour lui de l'amusement."***

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* paru dans les Cahiers Edmond & Jules de Goncourt, n°5,1997, pp. 79-81.
** Cahiers de la Petite Dame, tome 1, p. 224
*** ibid., p.216

lundi 15 décembre 2008

Gide et La Bruyère

Comme je reprends ces derniers soirs La Bruyère, je découvre la préface de Jouhandeau qui m'avait totalement échappée... C'est sans doute un trait de la jeunesse que d'aller directement à ce qu'elle croit l'essentiel, en l'occurrence le texte, sans se soucier des prologues. Ainsi longtemps je sautais à pieds joints par-dessus les préfaces. Ainsi bien avant de découvrir André Gide j'ai contourné ses préfaces à Vol de nuit, La dame de pique, Le voyage en Orient ou à La faim.

Dans L'art de la Préface, paru récemment chez Gallimard, Pierre Bergé donne précisément celle aux Caractères aux côtés de celle de Gide aux Essais de Montaigne et celle de Malraux aux Cahiers de la Petite Dame. Bergé, qui a toujours si bien su soutenir le talent des autres, préfère mettre en lumière ces textes oubliés plutôt que de donner les siens, comme si tout avait été dit – pour en revenir à la Bruyère !

Gide était en désaccord profond avec cette pensée qui ouvre Les Caractères selon laquelle "Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent." "Depuis le sortir de l'enfance je me heurte à ce décret de La Bruyère et n'ai cessé de m'élever contre lui", écrit-il dans un Feuillet de 1937 pour soutenir le progrès moral comme technique.

Déjà, le 12 octobre 1921, il expliquait : "Chaque été je relis en partie Les Caractères ; non que j'admire particulièrement La Bruyère ; il est dix auteurs de ce temps que je lui préfère et qui m'étonnent davantage ; mais précisément il n'en est aucun dont l'étoile soit plus rassurante. Très souvent, et principalement dans le premier livre, on se demande si ce qu'il dit valait vraiment la peine d'être dit, tant cela paraît simple et raisonnable ; mais on lui sait gré de le dire pourtant, et si simplement. Il ne cherche ni à étonner ni à plaire ; mais à exprimer raisonnablement ce dont il est sûr."

Et de poursuivre : "Je suis tourmenté par le désir de refaire les caractères, il n'y aurait sans doute aucune immodestie à le tenter ; j'adopterais le plan du livre et chercherais à exprimer avec cette même simplicité les nouveaux aspects de notre époque, et tout ce qu'un "honnête homme" d'aujourd'hui peut penser raisonnablement sur les moeurs, sur la société et les éléments divers qui la composent, sur la littérature, sur la religion et sur les arts. J'y dirais d'aussi simples choses, et aussi simplement que ceci : Il faut sans doute moins de patience et moins d'effort pour mûrir un art qu'il n'en faut pour l'empêcher de se corrompre."

En 1925, une petite plaquette intitulée Caractères* paraît mais Gide qui reprend cette dernière "pensée", même si Gide n'aime pas ce mot. "J'ai deux choses toujours en train, dit-il, pour lesquelles je note tout ce qui me vient : Les Nouvelles Nourritures, auxquelles je n'écris guère que d'inspiration, quand ma plume ne peut aller assez vite pour suivre ma pensée, en métro, dans la rue, n'importe où ; puis, Les Nouveaux Caractères, à la manière de La Bruyère, où le bon sens surtout se fera entendre", confie-t-il à la Petite Dame qui le note le 9 août 1926.

Ce matériau classé sous les initiales N.C. pour Nouveaux Caractères ne donnera pas lieu à une parution à part. Il se répartira finalement entre Divers (voir note), Les Nouvelles Nourritures et le Journal, notamment dans les Feuillets. La simplicité et le bon sens continueront à séduire Gide tout au long de sa vie :

"Je relis les caractères de La Bruyère. Si claire est l'eau de ces bassins, qu'il faut se pencher longtemps au-dessus pour en comprendre la profondeur." (Journal, 26 septembre 1926, à Hammamet)

"Le soir, lu quelques pages de La Bruyère, qui m'ont lavé de toutes les agitations, les tourments, les médiocres et vaines contorsions de ce jour" (Journal, 21 octobre 1929)

A la fréquentation des Caractères, on en vient malgré soi à faire du La Bruyère : Jouhandeau n'a pas tort car si l'on remarque bien, les passages du Journal de Gide qui suivent l'évocation de la lecture des Caractères donnent eux aussi dans cette imitation. Dans la préface de Jouhandeau, on trouvera encore relevés deux traits des Caractères qui n'auront pas manquer de plaire à Gide : la dénonciation des injustices** et la singularité***.

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* Plaquette parue aux éditions La Porte Etroite en tirage confidentiel, ces textes seront repris en 1931 dans l'édition de Gallimard intitulée Divers.
** "Sans qu'il y ait chez La Bruyère l'intention de fronder, d'attenter à l'ordre établi, son honnêteté absolue et son information éclairée annoncent avec une sorte d'inévitable et inconsciente logique ce qu'il se contente d'appeler un avenir, ce que nous appellerons l'abolition des privilèges et l'échafaud. "Le peuple n'a guère d'esprit et les grands n'ont point d'âme. Je ne balance pas; je veux être peuple."", Marcel Jouhandeau, préface aux Caractères, Gallimard, 1965.
***"Il me semble qu'on n'a pas assez remarqué la liberté avec laquelle La Bruyère envisage parfois une sorte d'individualisme, de no man's land qu'il appelle singularité, où l'on accède par des voies réservées. On dirait qu'il prospecte un domaine réservé, au-delà du bien et du mal, hardiesse particulièrement sympathique chez un psychologue de son milieu et de son époque." Ibid.

Trois Nobel à Troyes

Vendredi à la salle des ventes Boisseau-Pomez de Troyes, parmi les 540 lots qui passeront aux enchères, sera proposé un recueil des manuscrits des discours de réception du prix Nobel de Martin du Gard (1937), Gide (1947) et Camus (1957) reliés par Paul Bonnet avec un ensemble de documents et lettres qui expliquent comment ces manuscrits sont parvenus entre les mains du collectionneur. L'ouvrage est estimé entre 3500 et 4000 euros.

"Une autre « rareté » avec un dossier du Vieux Colombier, réunissant des pièces manuscrites de Roger Martin du Gard et de Jacques Copeau. Un important recueil, très rare, relié en maroquin vert et doublé de daim rouge, « magnifiquement relié en 1958 dans le célèbre décor « irradiant » de Paul Bonet ». Un recueil qui pourrait atteindre 5 000 à 6 000 €", signale aussi l'Est-Eclair.

Plus rapide et mieux informé que moi, Philippe Brin donne le descriptif et les photos de ces lots sur son blog à RMG consacré.

lundi 1 décembre 2008

Mort de Béatrix Beck

Béatrix Beck est morte dans la nuit de samedi à dimanche à l'âge de 94 ans. (dépêche AFP)

La presse lui rend hommage évoquant bien entendu Léon Morin, prêtre (Prix Goncourt 1952 porté à l'écran). A noter l'entretien sur l'Express.fr avec la journaliste Valérie Marin La Meslée, qui co-signe le livre de souvenirs de Béatrix Beck intitulé Confidences de gargouille (Grasset, 1998). Le Monde évoquait il y a dix ans cet ouvrage.

La Petite Dame évoque sa rencontre avec Béatrix Beck qui allait peu après devenir la dernière secrétaire d'André Gide :

"Le même jour [6 janvier 1950], nous avons la visite de Béatrix Beck, l'auteur de Barny. A mon âge, on ouvre difficilement sa vie à des êtres nouveaux – à elle, tout de suite quelle sympathique et directe créature !" (Maria van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, tome 4, p.166)

Début octobre 1950, la Petite Dame note encore :

"La grande nouvelle, c'est qu'il a engagé Béatrix Beck comme secrétaire. Je le déplore un peu, mais en principe seulement (éviter d'avoir des rapports salariés avec des êtres auxquels on ouvre son amitié), et ravie d'avoir autour de moi un être aussi absolument sympathique et qui m'inspire une confiance entière." (ibid, p. 200)

C'est d'ailleurs Béatrix Beck qui préfacera la nouvelle parution du récit de Maria van Rysselberghe sur Emile Verhaeren "Il y a quarante ans" en 1968.

URSS : dupeurs et dupes

Pages de carnets autographes
(merci à Philippe Brin)


Transcription :

"Il importait de donner une direction à la marche, et vers un but qui ne fût pas trop éloigné. Je crois que de nombreux chefs aujourd'hui savent que cet oasis vers où l'on se dirigea est un mirage, mais qu'il est bon de laisser ignorer la déconvenue pour ne point décourager trop d'avancer. Mieux vaudrait enseigner aux hommes que ce paradis sera ce qu'il le feront ; qu'il ne peut y en avoir de tout fait ; que tout reste à la mesure de l'homme et que tant vaut l'homme tant vaudra la "constitution".
Mais aujourd'hui, vu cette frime, je ne vois plus, parmi les communistes stalinisés, que dupeurs et dupes. Mais les aveuglés, volontaires ou non, verront la preuve que Staline lutte contre la restauration du capitalisme dans ceci que, ceux qu'il accuse d'abord de la vouloir, cette restauration, il les fusille. Excellente façon tout à la fois de se débarrrasser d'eux et de se couvrir
."


Fort aimablement, Philippe Brin m'envoie la reproduction de deux pages de carnets autographes d'André Gide. Outre le plaisir de voir le trait sans rature d'une pensée "au courant de la plume", ce document donne une idée de ce que sont les "Feuillets" qu'on retrouve annexés au Journal en fin de chaque année.

Pour les Oeuvres complètes dont l'édition est confiée en 1931 à Martin-Chauffier, la Petite Dame donne dans ses Cahiers un aperçu de l'ampleur de ce matériau épars : feuilles volantes, pages arrachées à des carnets sur lesquelles Gide traite d'une idée, d'une personne, le plus souvent non datées, et qu'il faut par conjecture verser à la bonne année.

Ces deux pages sont "reprises pour la première fois par Martine Sagaert dans la nouvelle édition du Journal II (Pléiade 1997,p.590)", précise Philippe Brin. Ce qui les place à l'année 1937. On y voit en effet un Gide "Retour d'URSS", bien critique vis-à-vis de l'URSS de Staline. La démonstration et le ton sont ceux des "Retouches à mon Retour d'URSS" dont ces pages sont sans doute des fragments de réflexion.

L'allusion à la "constitution" vise très probablement l'adoption de la nouvelle constitution de l'URSS par le VIIIe Congrès des Soviets le 5 décembre 1936. La fin du texte, le deuxième procès de Moscou de janvier 1937. Gide porte ses Retouches à la NRF en mai 1937. Pour moi, ces feuillets datent donc des premiers mois de cette année 1937.

Il y a bien entendu un avant et un après au voyage que fit Gide en URSS en 36. Il y a aussi une profonde évolution entre les deux textes de critique que sont Retour et Retouches pourtant publiés à huit mois d'intervalle. Gide dira à la Petite Dame avoir regretté de ne publier dans le Retour d'URSS que ses conclusions et que les Retouches constituaient donc les raisonnements qui avaient conduit à ces conclusions.

Malraux voit juste lorsqu'il dit à Gide (et Gide le répète à la Petite Dame qui le consigne dans ses Cahiers, page 37 du tome 3) qu'il a vu dans le Retour le livre d'un homme ému, et dans les Retouches l'oeuvre d'un homme irrité. Irrité parce que jugé sinon calomnieux, mensonger, du moins ingrat. Gide s'emploie alors à expliquer pourquoi il brûle ce qu'il a aimé.

vendredi 21 novembre 2008

Il y a cent ans : la NRF resserrait les cravates

Il y a 100 ans, André Gide, Jacques Copeau, Jean Schlumberger, Michel Arnaud (Marcel Drouin), Henri Ghéon et Eugène Montfort fondent La Nouvelle Revue Française dont le premier numéro paraît le 15 novembre 1908. Montfort, ex-directeur des Marges, insère dans ce premier numéro, à l'insu des autres, un article contre Mallarmé signé Boquet, directeur de la revue lilloise Le Beffroi.

Cet attentat contre Mallarmé accusé "d'impuissance" fait éclater le groupe. Un second "premier numéro" – sans Monfort et ses amis – est publié en février 1909. André Gide sera le directeur de la NRF jusqu'en 1914. La Nouvelle Revue Française se veut le concurrent direct du Mercure de France, fondé en 1890, vivier des symbolistes et des jeunes auteurs dont André Gide qui lui donna ses premiers textes.

Au Mercure règne l'étonnant Remy de Gourmont, qui fait d'abord l'éloge des premiers ouvrages de Gide et l'accueille. "Le poste de commandement de Gourmont était le Mercure de France, celui de Gide la NRF. Grâce à eux, ces deux revues ont régenté les lettres dans le monde entier", commente Jean Dutourd. Entre les deux hommes toutefois, une incompréhension se change bientôt en "rivalité littéraire" de prédominance si l'on en croit Paul Léautaud :

"J'ai lu aussi de petits comptes rendus d'un livre, ou plaquette que Rouveyre vient de publier sur Apollinaire, et sur Gourmont. A propos de celui-ci, il en profite pour s'en prendre encore à Gide, dont il dit qu'il détestait Gourmont. Il parle encore là de ce qu'il connaît à peine. Il est bien certain que Gide ne pouvait guère aimer les tendances d'esprit de Gourmont, mais le débat se situait sur un bien autre plan. Rivalité littéraire, donc de prédominance, chez Gide. J'ai vu cela de près. Sans Gourmont, c'est peut-être au Mercure que Gide eût fait toute sa carrière, mais à condition d'être le premier. Or, la place était prise."

"Gourmond – une âme désespérément opaque", note Gide le 13 février 1907 dans son Journal. Déjà, dans une entrée de 1904, il expliquait son "malaise" devant Gourmont : une gêne et une hostilité. "[...] la pensée, chez lui, n'est jamais chose vive et souffrante ; il reste toujours outre et la tient comme un instrument." Montfort, qui rouvre Les Marges, oppose d'ailleurs "Gide contre Gourmont" en mai 1910. Mais qu'on ne s'y trompe pas : la NRF ne fait pas table rase des revues anciennes mais prône au contraire un retour au classicisme, à la littérature pour elle-même. Et c'est cela qui change tout, ainsi que le souligne François Nourrissier :

"Il faut faire un effort d'imagination pour mesurer, neuf décennies passées, la force de rupture que recelait la bombe NRF. Rupture avec quoi ? Avec qui ? Les six "gidiens" n'apparaissent pas dans un désert. On trouve là le faisandé et l'académique, le chauvin et le parisien, le décadent et le licencieux, Claudine et Colette Baudoche, la cambrure 1900 et les langueurs fin de siècle. La NRF ne va pas naître d'un désir, si banal en littérature, de faire table rase, mais d'un retour à la rigueur et aux inspirations classiques. On nettoie. On ne se débraille pas : on ressert les cravates."

C'est par ce texte de Nourrissier que le site des éditions Gallimard ouvre une très intéressante histoire de la NRF à consulter ici.

mardi 11 novembre 2008

14-18 ou le plus extraordinaire est toujours à venir

"Vers 3 heures, le tocsin a commencé à retentir. [...] J'ai couru chercher Mius dans le jardin, pour l'avertir ;et comme je revenais, n'ayant pu rencontrer qu'Edmond, j'ai vu Em. Dans l'allée aux fleurs, les traits décomposés, qui nous a dit en retenant mal ses sanglots : "Oui, c'est bien le tocsin ; Hérouard vient de Criquetot ; l'ordre de mobilisation est donné."
Les enfants étaient partis pour Etretat à bicyclette. Par besoin de m'occuper, j'ai voulu aller à Criquetot porter deux lettres et prendre possession de l'enveloppe chargée que je savais être arrivée. Le tocsin s'était tu ; après l'immense alarme promenée sur tout le pays, il n'y avait plus qu'un oppressant silence. Une pluie fine tombait par instants.
Dans les champs quelques gars prêts à partir continuaient leur labour ; j'ai croisé sur le route Louis Freger, notre fermier, appelé le troisième jour, et sa mère qui va voir s'en aller ses deux enfants. Je n'ai su que leur serrer la main sans rien dire
." André Gide, Journal, 1er août 1914.

Entre Cuverville où il apprend la mobilisation et où tout au long de la guerre il jouera son rôle de "châtelain" aux côtés de Madeleine en venant en aide du mieux qu'il peut aux habitants, et Paris où se poursuit tant bien que mal l'aventure littéraire et où là aussi il donne de son temps au Foyer Franco-Belge, Gide traverse la guerre en étant, si l'on peut dire, sur tous les fronts.

En 1914 paraissent Les caves du Vatican.

En 1915 et 1916, Gide connaît une crise morale et religieuse intense qui donnera naissance à Numquid et tu... ?. Ses amis se convertissent au catholicisme, Madeleine elle-même semble se rapprocher de Rome. Ouvrant par hasard une lettre de Ghéon, venue du front, elle a la confirmation de ses doutes sur les moeurs de son mari. Ce sont vingt pages arrachées au Journal de mai 1916. "[...]on eût dit les pages d'un fou", écrit Gide.

C'est aussi en décembre 1916 que dans le train qui les ramènent de l'enterrement de Verhaeren, Gide fait savoir à Elisabeth van Rysselberghe, par un étrange billet : "Je n'aimerai jamais d'amour qu'une seule femme ; je ne puis avoir de vrais désirs que pour les jeunes garçons. Mais je me résigne mal à te voir sans enfant et à n'en pas avoir moi-même." L'enfant, Catherine, naîtra quelques années plus tard.

En 1917, c'est le début de la liaison entre Gide et Marc Allégret, qui a alors 16 ans. Marc est d'abord X. dans le Journal, puis devient Michel, Gide se changeant pour sa part en Fabrice dont il parle, en narrateur, à la troisième personne. Mais "Que me sers de reprendre ce journal, si je n'ose y être sincère et si j'y dissimule la secrète occupation de mon coeur ?" se demande Gide le 20 septembre 1917.

Marc apporte la sérénité à Gide et une nouvelle exaltation qui lui permet de débuter Les Nouvelles Nourritures. En juin 1918, ils embarquent pour l'Angleterre. Madeleine brûle alors toutes les lettres qu'ils ont échangées depuis leur jeunesse. Il l'apprend après l'armistice, le 21 novembre 1918. "Je souffre comme si elle avait tué notre enfant...", commente Gide qui entre de nouveau dans une période tourmentée.

Et c'est le jour même de cet armistice que Madame Théo, Maria van Rysselberghe alias La Petite Dame, commence la rédaction de ses "Notes pour l'histoire authentique d'André Gide" :

"Saint-Clair, 11 novembre 1918.
Dater de la victoire ce cahier, où je prends la résolution de noter pour toi, selon la promesse que je te fis, tout ce qui éclaire la figure de notre ami et dont je sois témoin, m'incite à commencer aujourd'hui. Cela me coûte un grand effort : sentiment d'insuffisance d'abord, et aussi celui d'avoir trop tardé. Que de choses importantes j'aurais déjà pu conserver ainsi ! Mais, avec lui, le plus extraordinaire n'est-il pas toujours à venir ? Si pour le passé ma mémoire me fournit des souvenirs assez précis, assez vivants, j'y reviendrai peut-être
." Maria van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, tome 1, p.5.

vendredi 7 novembre 2008

De Gide à Borges, via Pierre Ménard

Jardin des Plantes, Montpellier. Gide a une vingtaine d'années et son nouvel ami Paul Valery le conduit à travers le Jardin des Plantes jusqu'au "tombeau de Narcissa". Là, les deux jeunes hommes évoquent le mythe de Narcisse et dessinent les plans de ce que sera le Traité du Narcisse chez Gide et Narcisse parle chez Valery. C'est dans ces mêmes allées du jardin botanique qu'ils croisent Paul Ménard, "l'auteur du Quichotte", poète symboliste nîmois, à qui Michel Lafon consacre Une vie de Pierre Ménard...

"À l'aide de documents irréfutables, il dévoile le rôle essentiel de Ménard et démontre que c'est lui et lui seul qui a fait de Borges le grand écrivain qu'il est devenu, en l'aidant et en le conseillant jusqu'à sa disparition en 1937. Il révèle aussi que Ménard a joué le même rôle de conseiller occulte auprès de nombre d'écrivains alors débutants, dont André Gide et Paul Valéry. Ainsi, les premiers vers du Cimetière marin seraient de la plume de Ménard, tandis que Valéry lui rend hommage sous les traits de M. Teste", affirme la quatrième de couverture.

"Le temps est donc venu de rendre hommage à Pierre Ménard et à son abnégation, car cet homme discret et même effacé n'est autre que l'inventeur, par plumes interposées, de la littérature moderne.
Réflexion sur les rapports entre réalité et fiction, ce roman* s'attache également aux relations étranges mais bien réelles entre écrivains vivants et disparus, à ces absents qui accompagnent, et quelquefois guident, le geste d'écrire. Car c'est bien de fantômes qu'il s'agit, que l'auteur convoque au final dans l'un des derniers lieux sauvages de Montpellier, ce Jardin des Plantes que chérissait Ménard
."

Michel Lafon, Une Vie de Pierre Ménard, Gallimard, 2008, 192 pages, 16€

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* Car les lecteurs des Fictions de Borges auront compris qu'il s'agit là non pas d'une biographie, ou pour mieux dire non pas de l'écriture mais de l'invention d'une vie...

mercredi 5 novembre 2008

Correspondance avec Léon Blum

Aux portraits de Gide donnés dans le billet précédent, on pourrait ajouter celui qui figure sur la couverture de la correspondance entre Léon Blum et André Gide parue le mois dernier aux Presses Universitaires de Lyon : un "Masque" de Félix Vallotton. Je reviendrai sur ce Livre des Masques et son auteur Rémy de Gourmont...

Mais restons en à cette nouvelle publication : 57 lettres, 33 de Blum, 24 de Gide et le résumé conjectural de 14 autres lettres perdues, 10 de Gide, 4 de Blum. "Cette correspondance, inédite à l'exception [de deux lettres] , a néanmoins déjà fait l'objet de nombreuses exploitations de la part des chercheurs, historiens et littéraires, mais n'a jamais été lue ni étudiée pour elle-même, dans sa continuité et dans sa cohérence propres", explique Pierre Lachasse qui a établi, présenté et annoté cette correspondance.

Car c'est surtout par son paratexte que vaut cette correspondance somme toute très réduite et souvent faible par le contenu même des lettres échangées : on peut y voir une biographie croisée de Blum et Gide qui s'étend tout au long des 61 ans d'une amitié aux fils parfois distendus mais jamais rompus. Une amitié qui aurait pu se dissoudre si elle était restée dans le domaine littéraire des débuts, mais retrouvera un second souffle quand le domaine politique et social rapprochera de nouveau André et Léon.

Léon Blum, André Gide, Correspondance 1890-1951, édition établie, présentée et annotée par Pierre Lachasse, Presses Universitaires de Lyon, 2008, 216 pp., 18 €

lundi 3 novembre 2008

Gide le poseur

Bien que d'un milieu bourgeois et fortuné, le petit André Gide n'a pas grandi au milieu d'oeuvres d'art. Le confort tout protestant de La Roque, des appartements parisiens ou même de la maison de l'oncle Gide à Uzès se devait d'être avant tout pratique et sobre. Pour la décoration des murs, le portrait austère de quelque ancêtre ou le plus souvent les travaux au crochet de Madame Gide mère suffisaient bien.

C'est en pénétrant chez le peintre Jean-Paul Laurens qu'il a la confirmation de ce piètre décor familial : "Ce jour-là, tout à coup, mes yeux s'ouvrirent, et je compris aussitôt combien l'ameublement de ma mère était laid". Dans l'atelier du peintre, "tout [lui] paraissait flatter les regards et l'esprit"*. Une révélation qu'il doit à son cousin Albert Démarest, élève de Laurens.

Nous sommes en 1888, Gide a dix-neuf ans, Albert en a vingt de plus. Albert personnifie pour Gide "l'art, le courage, la liberté"**. Jean-Paul Laurens incarne alors l'art le plus académique qui soit tout en osant des positions anticléricales et républicaines. Il ne faut pas croire cependant que Gide n'a aucune culture picturale :

"En attendant, ma mère, très soucieuse de sa culture et de la mienne, et pleine de considération pour la musique, la peinture, la poésie et en général tout ce qui la surplombait, faisait de son mieux pour éclairer mon goût, mon jugement, et les siens propres. Si nous allions voir une exposition de tableaux – et nous ne manquions aucune de celles que Le Temps voulait bien nous signaler – ce n’était jamais sans emporter le numéro du journal qui en parlait, ni sans relire sur place les appréciations du critique, par grand-peur d’admirer de travers, ou de n’admirer pas du tout."***

Toujours dans Si le grain ne meurt, on apprend aussi qu'encore plus jeune, Gide allait au musée du Luxembourg où il admirait davantage les nudités que les anecdotes historiques... La sculpture de Jean-Antoine-Marie Idrac  représentant "Mercure inventant le caducée" le met en émoi. "Je n'étais peut-être pas d'abord très sensible à la peinture – moins qu'à la sculpture – assurément mais animé par un tel désir, un tel besoin de compréhension, que mes sens bientôt s'affinèrent."****

Albert Démarest joue un rôle d'initiateur certain. Il sera aussi le premier à peindre André Gide, dans le rôle d'un violoniste. Le côté "poseur" qui a été si souvent reproché à Gide, et qu'il entretenait d'ailleurs par des exercices devant le miroir, trouve sa raison d'être. Le 8 mai 1911, dans le Journal, il est chez un certains R.B., peintre graveur qui veut faire son portrait : "C'est une manière de flatterie à quoi je me laisserai toujours prendre", confesse Gide.

Peu de temps après avoir pénétré l'atelier de Laurens, Gide obtient d'effectuer son premier voyage seul, rejoint de temps en temps tout de même par une mère inquiète. Ce n'est pas encore l'Afrique du Nord mais la Bretagne, où l'on peut situer l'autre choc esthétique important d'André Gide. Au Pouldu, il loge dans la même auberge que Gauguin, Séruzier et un autre qu'il pense être Filigier.

"[...] la rareté des meubles et l’absence de tentures laissaient remarquer d’autant mieux, rangé à terre, un assez grand nombre de toiles et de châssis de peintres, face au mur. Je ne fus pas plutôt seul que je courus à ces toiles ; l’une après l’autre je les retournai, les contemplai avec une satisfaction grandissante ; il me parut qu’il n’y avait que d’enfantins bariolages, mais aux tons si vifs, si particuliers, si joyeux que je ne songeais plus à repartir. Je souhaitai connaître ces artistes capables de ces amusantes folies."*****

Un peu plus tard dans le salon de Mallarmé, Gide retrouve Gauguin, rencontre Whistler. En 1890, il rencontre Jacques-Emile Blanche dans le salon de Bonnières. Blanche signera trois portraits célèbres de Gide dont celui "Au café Maure de l'exposition universelle de 1900" :



Il admire Maurice Denis à qui il demande d'illustrer Le Voyage d'Urien en 1892. En 1893, on le retrouve dans son Journal, en pleurs devant l'Homme au Gant du Titien, au Louvre. En 1895, lors du voyage en Italie raconté dans les Feuilles de Route, il approfondit sa connaissance de la peinture des maîtres italiens, affirme de nouveau son goût pour la sculpture.

A la charnière des dix-neuvième et vingtième siècles, plus que jamais, littérature et peinture cheminent ensemble. En 1899 chez le poète Vielé-Griffin que Gide fait la connaissance du peintre Théo van Rysselberghe, et de son épouse Maria, la Petite Dame. En 1903, Théo peint "La lecture" qui met en scène autour d’Emile Verhaeren, le peintre Cross, Maurice Maeterlinck, André Gide et Francis Viélé-Griffin, le biologiste Henri Ghéon, le médecin Félix Le Dantec ainsi que critique d'art Félix Fénéon debout contre la cheminée :



Théo van Rysselberghe signe encore un portrait de Gide en 1907 (on lui doit aussi un buste en 1920) :
En 1912, Gide a rasé sa moustache, il pose encore pour Jacques-Emile Blanche :




En 1914, Paul-Albert Laurens, fils de Jean-Paul Laurens évoqué plus haut et camarade de classe de Gide à l'Ecole Alsacienne, réalise un portrait (gravure au vernis mou) pour l'édition originale limitée des caves du Vatican :





En 1919, le célèbre illustrateur Paul-Emile Bécat, spécialiste des dessins de littérature érotique dont ceux des Chansons de Bilitis de l'ami de jeunesse de Gide Pierre Louÿs, donne ce dessin :






Encore de Paul-Albert Laurens, le portrait grave de 1924 :



Lors du voyage en Angleterre avec Marc Allégret en 1918, Gide rencontre sa future traductrice, celle qui sera toujours amoureuse de lui : Dorothy Bussy. Née Stratchey, elle est l'épouse du peintre français Simon Bussy. Tous deux deviendront des amis proches de Gide et ce dernier écrira une préface au catalogue de l'exposition Bussy à la galerie Charpentier en 1948. Bussy fait plusieurs fois son portrait, dont celui-ci, de 1925 :






Et cet autre de 1939 :




André Gide sera aussi beaucoup photographié tout au long de sa vie, par Marc bien sûr, mais aussi par Berenice Abbott, Lady Ottoline Morell, ou Gisèle Freund. Mais pour achever ce tour d'horizon des peintres de Gide, je donne deux oeuvres plus tardives. Celle d'Edouard Mac Avoy tout d'abord, de 1949 :





Et celle-ci, posthume, du frère aîné du peintre Balthus, Pierre Klossowski, de 1954 :



_______________________________
* Si le grain ne meurt, Folio, p.234
** Ibid. p.227
*** Ibid. p.166
**** Ibid p. 233
***** Ibid pp. 243-244

lundi 27 octobre 2008

Gide au Congo dans le BAAG n°160

Gide au Congo, 1925, photographie de Marc Allégret

En ouvrant le dernier Bulletin des Amis d'André Gide (n°160 d'octobre 2008) que je viens de recevoir, je découvre que le Voyage au Congo est là aussi à l'honneur.

On y trouve :

- "Gide à Léré", article des souvenirs de Jean Bénilan, chef de subdivision du régime colonial qui accueillit Gide et Allégret à Léré ;
- Deux transcriptions des débats à la Chambre sur la question des concessions en A.E.F. et qui font appel aux témoignages du Voyage au Congo ;
- Une nouvelle partie (la dixième parue dans le BAAG) du dossier de presse du Voyage au Congo et du Retour du Tchad ;
- Enfin un fort intéressant article de Jocelyn Van Tuyl intitulé "Témoignages littéraires sur la préhistoire du sida". Ou comment au travers des récits de Céline, Conrad, Leiris et surtout Gide et Allégret se dessine un moment de l'histoire (les débuts de la colonisation, le déplacement des populations) où des pratiques (consommation de viande de singe, proximité avec eux, vaccinations, variolisations, tourisme sexuel, prostitution) auraient pu favoriser la transmission et la mutation du virus immunodéficitaire simien en virus immunodéficitaire humain.

mercredi 22 octobre 2008

Les photographies du voyage au Congo

Marc Allégret, André Gide... et Dindiki,
un pérodictique potto offert par un chef villageois

Le 19 juillet 1925, Gide et Marc Allégret embarquent à Bordeaux pour l'Afrique. Un périple de dix mois à travers l'Afrique équatoriale française et le Congo belge pour le compte du ministère des colonies : une "mission" acceptée avant tout pour ce qu'elle offrait d'officiel et donc de facilités pour voyager dans ces pays. Le Journal de Gide s'expatrie dans Voyage au Congo et Retour du Tchad.

Le Voyage au Congo restera comme l'un des premiers livres anticolonialistes. Gide y dénonce les horreurs commisent par les grandes compagnies qui exploitent le caoutchouc et pour ce faire les populations, les massacrant sans hésiter pour asseoir leur autorité. Cela sans pour autant idéaliser l'homme noir - Gide n'est pas à l'abri de certains préjugés racistes de son époque même si son "Moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête" deviendra fort célèbre.

Ce qui donnera aussi du poids à son plaidoyer, c'est qu'il ne condamne pas le colonialisme en bloc, saluant au passage les comportements plus "humains" de certains gouverneurs et leur bon travail. La presse se déchaîne et le témoignage de Gide devient un argument dans les querelles politiques de l'époque. Mais la plus grande partie de ce journal africain laisse voir un Gide naturaliste en explorateur du dimanche. Savoureux.

Tout au long de ce voyage, Marc ne reste pas inactif. Il prend de nombreuses photographies et filme les rencontres avec les peuples. Là où Gide s'intéresse surtout aux plantes et aux animaux, Marc voit les costumes, les constructions, les danses, la vie quotidienne des hommes et des femmes. Des centaines de photographies non pas anthropologiques ou purement ethnologiques mais composées ou cadrées avec soin pour montrer la différence.


A lire :
Gide André, "Voyage au Congo" suivi du "Retour du Tchad", et illustré de soixante-quatre photographies inédites de Marc Allégret, Paris : Librairie Gallimard, NRF, 1929
Les textes sont également disponibles en format poche dans la collection Folio.

Allégret Marc, "Carnets du Congo, Voyage avec Gide",Presse du CNRS, 1993

A voir :
Allégret Marc, "Voyage au Congo", documentaire, noir et blanc, 101 minutes, production : Société du Cinéma du Panthéon / Pierre Braunberger, Les Films du Jeudi, 1927

A consulter en ligne :
Les archives photographiques de la Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine montrent plus de 600 clichés pris par Marc Allégret au cours de ce voyage.

Une page sur Marc Allégret, cinéaste et photographe

mardi 21 octobre 2008

Jef Last : l'ami hollandais


Brièvement évoqué dans l'univers gidien, Jef Last reste un inconnu en France. C'est pourtant une figure étonnante des bouleversements du XXe siècle à qui un film rend hommage (et dont j'emprunte le titre pour ce billet), journaliste, poète, romancier, essayiste et traducteur (français, chinois, japonais), auteur de pas moins d'une soixantaine d'ouvrages... Je donne ici un aperçu de sa vie et de sa rencontre avec Gide, complétant les éléments glanés dans le Journal de Gide et les Cahiers de la Petite Dame par des éléments puisés sur ce site consacré à Last, éléments que j'ai tenté de traduire du néerlandais.
Jef Last, autoportrait

Un an avant le congrès de la Mutualité évoqué dans le billet précédent, l'Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires organise le 23 octobre 1934 une séance qui devait être un compte-rendu du Congrès des Ecrivains soviétiques. Gide accepte de la présider. C'est là qu'il rencontre Jef Last.

"Belle séance en somme", consigne la Petite Dame dans son journal de ce jour. "A noter [...] Jef Last, marin hollandais, écrivain, emballant, savoureux, ironique, à travers un français impossible". Une excellente impression aussi sur Gide qui invite le "marin hollandais" au Vaneau deux jours plus tard.
"Ils ont abordé beaucoup de questions, entre autres celle de l'homosexualité en Russie où Jef Last avait été déjà en 32, et où il vient de retourner au Congrès des Ecrivains soviétiques", nous apprend la Petite Dame. Jef Last possède aussi des documents de Marinus Van der Lubbe, l'incendiaire du Reichstag, dont il a été un ami proche et auquel il consacrera plus tard un livre.

Qui est exactement ce marin ? Josephus Carel Franciscus Last est né en 1898 à La Haye d'un père officier dans la marine indienne, conservateur, hostile aux artistes, et d'une mère soumise, dont la seule occupation était l'organisation de réceptions et la gestion du personnel de maison. Lors d'une visite d'une usine avec son père, Jef Last qui a six ou sept ans voit un bel ouvrier blond. Plus que son homosexualité, c'est l'attirance vers le milieu ouvrier qu'il souligne en écrivant plus tard au sujet de cet épisode : "Je pense que je suis devenu socialiste ce jour-là."
Plus tard, Last étudie le Chinois. Officiellement, c'est pour devenir plus tard fonctionnaire aux Indes orientales néerlandaises. En secret, il traduit des poèmes et fréquente les cercles des Jeunes Travailleurs. Il abandonne ses études en 1919 pour devenir pêcheur de harengs puis marin dans la marine marchande.
Il épouse Ida, la fille d'un célèbre professeur de lettres, en 1923, avec qui il a une première fille la même année (deux autres suivront). Il quitte femme et enfant pendant neuf mois en 24 pour partir étudier le chinois à l'université Columbia de New-York mais exerce plutôt tout un tas de petits boulots pendant ce séjour.
Son épouse partage ses vues communistes. Elle est même beaucoup plus engagée que lui. Le couple va se radicalisant d'année en année. Jef Last commence à publier des recueils de poésie et des romans. Il écrit aussi pour des revues et c'est pour l'une d'entre elle qu'il part en URSS pour la première fois. Conservant son oeil critique, il en est expulsé.

C'est donc au retour d'un second séjour qu'il rencontre Gide en 1934. Le vieux Gide a l'autorité morale et littéraire. Last lui apporte sa riche expérience du monde ouvrier, de la littérature prolétaire et de l'URSS. Mariés et homosexuels, ils ont en commun le questionnement intérieur sur cette double vie.

Evoquant sa rencontre avec Maurice Lime (autre écrivain ouvrier), Gide en vient à parler de sa relation avec Last : "J'éprouvais avec Last déjà cette sorte de sympathie subite et violente qui bondit par-dessus les barrières factices et à laquelle les odieuses différences sociales semblent ne donner que plus d'élan." (Journal, 6 octobre 1935)

Si bien que Gide entraîne Last au Maroc au printemps suivant. Et il sera aussi du voyage en URSS. Sans renier l'idéal, l'un comme l'autre constatent les dérives et les exactions du régime communiste. Au contact de Gide, Last prend du large avec le Parti et à nouveau prend le large : il s'engage dans la guerre d'Espagne du côté des républicains où sa position en marge du Parti lui fait courir beaucoup de risques.

On le retrouve pendant la seconde guerre mondiale chef de la résistance hollandaise. Et le 20 mai 1946, le voilà de retour au Vaneau. "Naturellement, il n'y en a que pour Jef, que de choses n'a-t-il pas à raconter de sa vie clandestine durant l'occupation ! C'est dix fois qu'il a manqué d'être fusillé, sa fille aînée a été mise dans un camp de concentration, elle servait de courrier dans la Résistance", note encore la Petite Dame. En 47, Last accompagne encore Gide dans une tournée de conférences qu'il donne en Allemagne.

Puis en 1950, Last embarque pour l'Indonésie. Professeur à Bali pendant 4 ans, puis docteur en sinologie à l'Université de Hambourg en 1957, il voyage dans tout l'Orient. En 1966, il écrit "Mon ami André Gide", recueil de souvenirs qui, à ce jour, n'a toujours pas été traduit en français. Il meurt à l'âge de 73 ans le 15 février 1972 à Laren, Pays-Bas.

Gide et Last

Quelques livres de Jef Last :
ZUYDERZEE, trad. du néerlandais par Eckman , préface d'André Gide, Collection Du monde entier, Gallimard, 1938.
LETTRES D'ESPAGNE, Collection blanche, Gallimard, 1939.
ANDRE GIDE CORRESPONDANCE AVEC JEF LAST 1934-1950, Presses Universitaires de Lyon, 1985
et on espère toujours une traduction de "Mijn Vriend André Gide", Van Ditmar,1966...

lundi 20 octobre 2008

Au Congrès de 1935

Je viens de retrouver quelques belles photographies de l'agence Magnum, parmi lesquelles celle-ci :


On y voit Malraux, à la tribune du Congrès des Ecrivains en juin 1935. A sa droite à la table : André Gide, Paul-Vaillant Couturier et Jean-Richard Bloch. A l'arrière plan, un portrait de l'écrivain russe Maxime Gorki (Photo de David Seymour pour l'agence Magnum).

Ce "Congrès international des écrivains pour la défense de la Culture" s'est déroulé au Palais de la Mutualité entre le 21 et le 25 juin 1935 à l'instigation de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR). Quelques 230 "délégués" venus de toute l'Europe doivent y faire une allocution – tous n'y parviendront pas dans le temps imparti, temps de parole souvent monopolisé par les grandes "stars" de la défense du communisme – parmi lesquels : Boris Pasternak qui remplace au pied levé Maxime Gorki, Mann, Brecht, Musil, Huxley, Wells, Giono, Barbusse, Dabit, Guéhenno, Cassou, Crevel, Mounier, Rolland, Vitrac, Forster, Nizan, Benda, Aragon, Roger Martin du Gard, Guilloux... et bien sûr Gide et Malraux qui en sont en quelque sorte les animateurs.

Face à eux, encore des écrivains, des intellectuels, hommes politiques qui se mêlent à la foule de quelques 3000 étudiants et ouvriers. Si le Congrès est aujourd'hui devenu une légende, il était à l'époque un événement incontournable : la salle de la Mutualité est bondée jusque dans ses couloirs et dans les cafés proches où se poursuivent les débats. Nous sommes à quelques encablures du Front Populaire. La Grande Guerre est encore toute proche, moins cependant que la prochaine que beaucoup redoutent déjà. Les nouvelles venues de l'Allemagne nazie alimentent à raison ces inquiétudes.

Aux communistes déclarés et autres thuriféraires de l'URSS se mêlent ainsi une grande part de pacifistes et d'autres comme Gide pour qui le marxisme n'est pas très clair (il a eu bien du mal à lire Le Capital) mais qui voit là une occasion de développer une morale nouvelle et de faire jouer aux arts une plus grande part dans la vie de l'individu. On sait depuis les procès truqués de Moscou que l'URSS a des défauts, mais de deux maux, à savoir nazisme et communisme, beaucoup sont ceux qui appellent à choisir celui qui est à leurs yeux et à leur époque le moindre. D'ailleurs la France a choisi en signant le pacte franco-soviétique un mois avant ce congrès.

Peu de traces de cet événement dans le Journal de Gide qui y déplore le monopole de l'éloquence face à tant de délégués venus de loin et qui n'auront pas même l'occasion de s'exprimer. Il s'y peint dans sa posture habituelle du gaffeur confondant la déléguée indienne avec la déléguée grecque... En revanche, les pages de cette époque montrent bien que sa prise de position reste sur le plan moral et esthétique bien avant d'être politique.

Il faut chercher du côté de la Petite Dame pour trouver l'ambiance des séances et de leurs prolongations, de ces cinq jours "d'indescriptible encombrement", de "confluent de circonstances", "un véritable embouteillage", "un hourvari". "Les trois grosses vagues qui soulevèrent [le congrès] d'un accueil spontané, chaleureux, furent les Russes, en bloc, le discours et la personne de Gide, et l'Allemagne en exil."

"Gide fut simplement parfait", assure la Petite Dame qui n'a pas son pareil pour critiquer Gide quand il ne donne pas le meilleur de lui-même. Pour bien se rendre compte de "l'adhésion" de Gide au communisme ou plutôt de ce qu'il espère de l'URSS, avant le Voyage en URSS et ses Retouches, je donne ici le texte d'un message téléphonique de Gide au peuple russe à l'occasion de l'anniversaire de la révolution le 5 décembre 1935. Il résume ses positions de principe et à la fois anticipe son courageux revirement de 1936 :

"En m'adressant à l'Union Soviétique, il me semble que je m'adresse à l'avenir. Il importe que l'Union Soviétique sache ce qu'elle est pour nous. Quelque chose a eu lieu en Russie, quelque chose qui a rempli de terreur ceux qui se croyaient à l'abri de la crainte, rempli d'espoir ceux qui n'avaient plus d'espérance. Vous nous avez précédés sur cette route montante où la douloureuse humanité fait un immense effort pour vous suivre. Je voudrais que vous sentiez là-bas que nos regards anxieux restent fixés sur vous, chargés de reconnaissance pour hier, d'attente encore pour demain, et j'allais dire : d'exigence.
Il nous semble que c'est un engagement que vous avez pris devant l'histoire ; un engagement pour l'avenir. Dans le coeur de chacun de nous qui vous écoutons, l'écho de ces grands jours qui ébranlèrent notre vieux monde, retentit comme une promesse.
Je pense qu'en cet anniversaire solennel chacun de nous, depuis les hauts dirigeants jusqu'au plus humble travailleur, se demande : Ceux qui sont morts en 1917 et à qui nous devons la vitoire peuvent-ils être contents de nous ?
Je vous salue de tout mon coeur, nouveaux héros qui ne vous reposez pas dans la victoire, forces de la Russie nouvelles qui saurez assumer jusqu'au bout votre tâche : celle de demeurer la jeunesse du monde.
"

(Ce texte a été publié par Les Nouvelles Littéraires le 29 décembre 1935 mais n'a été depuis repris ni dans Littérature engagée, le recueils de textes établi par Yvonne davet en 1950 ni dans aucune biographie de Gide. Le Bulletin de l'Association des Amis d'André Gide l'a exhumé en juillet dernier dans son numéro 159.)

mercredi 15 octobre 2008

Gide et Malraux

Sur le site La République des Lettres, Marie-Michèle Battesti-Venturini signe un article sur l'amitié littéraire entre Gide et André Malraux. Il y est notamment beaucoup question du tronc commun de leurs influences littéraires.

C'est une forte estime mutuelle, une admiration du nouveau venu à la littérature pour son aîné et une admiration aussi chez Gide face à ce brillant esprit, tout particulièrement dans la conversation, don que Gide n'a pas toujours... Plus encore qu'un proche de Gide, Malraux était profondément "du Vaneau", c'est à dire de ce milieu fécond autour de Gide qui avait tant d'influence sur l'univers de la littérature, de la politique et de la morale, ainsi qu'il l'explique dans sa préface aux Cahiers de la Petite Dame.

lundi 13 octobre 2008

Nobel de littérature, 1947-2008

"Ai-je dit déjà qu'il paraît qu'il est question de Gide pour le prix Nobel ? Il ne sait trop s'il s'en épouvante à l'idée des corvées qui s'ensuivront, ou s'il s'en réjouit", note la Petite Dame.

Fin octobre 1947, les rumeurs vont bon train. Elles ont raison : "Le 13 novembre, vers 5 heures, une agence de presse téléphone à André Gide pour lui apprendre qu'il avait le prix Nobel." Gide est à Neufchâtel, mais le "Monsieur Gide est en Suisse" de la concierge du Vaneau semble une ruse pour les journalistes...

Courriers, télégrammes, téléphonages, visites... L'appartement du Vaneau est pris d'assaut et c'est la Petite Dame, restée seule à bord, qui reçoit les journalistes. "Heureusement qu'on n'a qu'un Gide, et qu'on n'a qu'une fois le prix Nobel !" s'exclame-t-elle. Et elle s'amuse de la grande confusion de la presse dans ses descriptions de la famille Gide où se mêle le lien du sang, celui de l'encre et celui des amitiés :

"Je sais bien que dans notre famille, il est malaisé de s'y reconnaître, et que la logique mène à l'absurde, c'est ainsi que Gide a eu trois gendres : Lambert, Herbart et Richard Heyd, que Catherine a été la fille d'Alissa, et Elisabeth la femme de Gide, que Nicolas a été son troisième petit-fils, les deux fils de heyd étant les premiers, etc."

Gide n'ira pas à Stockholm recevoir son prix, sa santé n'étant pas très bonne. On peut lire sur le site de la Fondation Nobel le discours de présentation que fit Anders Österling, académicien suédois, et le discours de remerciements de Gide lu par l'ambassadeur de France en Suède.

Le Monde donne ici un petit historique des Nobel de littérature français à l'occasion de l'obtention du prix par Le Clezio cette année.

lundi 6 octobre 2008

Sur le front éditorial

Gallimard réédite "En URSS 1936" de Pierre Herbart. Un journal du séjour que le gendre de Gide fit en URSS pour la revue Littérature Internationale. Il y est longuement question du voyage que Gide fit lui-même en URSS, averti avant même de partir par un Pierre Herbart plein de désillusions. Lire ici une critique parue dans l'Humanité.

Hamid Grine évoquait lors de récents entretiens ce projet : Le Café de Gide vient de paraître en Algérie aux Editions Alpha. Je n'ai pas encore pris connaissance de ce roman mais l'article qu'on peut lire ici à son sujet est assez alléchant.

mercredi 1 octobre 2008

Gide et Freud

1922 : L'Introduction à la psychanalyse, première traduction française d'une œuvre importante de Freud vient de paraître chez Payot et commence ce que Jules Romains appelle "la saison Freud" dans la NRF du 1er janvier 1922, raillant bien davantage les salons qui s'emparent du phénomène que le phénomène lui-même. Martin du Gard est lui aussi très impressionné et l'écrit à Marcel de Coppet le 5 février. Tout l'entourage de Gide est en effervescence.

"Freud. Le freudisme… Depuis dix ans, quinze ans, j'en fais sans le savoir", rétorque Gide dans son Journal le 4 février 1922. Bien avant cela serait-on tenté de dire en citant l'exergue à Paludes (1895), cette sotie placée sous le signe de l'inconscient – "On dit toujours plus que CELA." - "Cette part d'inconscient, que je voudrais appeler la part de Dieu."

Gide a très probablement entendu parler de Freud dès 1918 lors de son voyage en Angleterre. Le frère de son professeur de langue anglaise Dorothy Bussy n'est autre que James Strachey qui s'intéressa très tôt aux études de Freud avant d'entamer une cure avec le maître dans les années 20, de devenir psychanalyste et traducteur de ses oeuvres vers l'anglais.

L'auteur de l'excellent Gide à Cambridge, David Steel, est aussi celui de deux études sur Gide et Freud* dans lesquelles on apprend que Gide dit avoir rencontré l'oeuvre de Freud pour la première fois au printemps de 1921 dans une lettre à André Lang citée par Steel. Et c'est vers Dorothy Bussy que Gide se tourne dans une autre lettre du 26 avril 1921 pour tenter de rencontrer Freud ou du moins d'en obtenir une préface à Corydon :

"J'achève la lecture (dans la Revue de Genève) d'un troisième article de Freud sur"l'Origine et le développement de la psychanalyse" – (je n'ai pas pu me procurer les deux premiers) [...]. C'est décidément très sérieux. A vrai dire il ne me dit rien (Freud) que je n'aie déjà pensé ; mais il met au net une série de pensées qui restaient en moi à l'état flottant – disons : "larvaire". [...] Il faut absolument que j'entre en relation avec Freud. Votre frère le connaît n'est-ce pas, et ne refusera pas de m'introduire auprès de lui [...] Je rêve déjà d'une préface de lui à une traduction allemande de Corydon, qui pourrait bien peut-être précéder la publication française. [...] Cette préface de Freud pourrait souligner l'utilité et l'opportunité du livre."

Un contact semble bien s'établir entre les deux hommes, bref, au moins une lettre perdue lors de l'arrivée du nazisme mais attestée par Anna Freud et une réponse qui va décevoir Gide : Freud lui refuse la préface mais aussi toute caution à son Corydon. Une édition confidentielle en a été faite en 1920 et Gide attendra 1924 pour en donner une édition "officielle". Quatre années au cours desquelles la percée de Freud est à la fois un soutien aux théories de Gide mais aussi une concurrence qui opère sinon sur le même champ de bataille, du moins tout près...

Fin 1921 et début 1922, Gide participe aux soirées de la psychanalyste Eugenia Sokolnicka, où il se montre un élève curieux mais finalement pris entre assoupissement et rires (voir les comptes-rendus qu'en fait Gide dans son Journal le 16 mars 1922 et la Petite Dame dans ses Cahiers). Pour Gide, les théories freudiennes sont trop systématiques et il a horreur des systèmes.

"Ah que Freud est gênant ! [...] Que de choses absurdes chez cet imbécile de génie !". Le mot est lâché ce 19 juin 1924 dans le Journal. Il y entre aussi un peu de cette mauvaise foi coutumière chez Gide qui, lorsqu'on lui refuse quelque chose ou qu'on le déçoit, n'hésite pas à faire passer à la trappe des passages de son Journal voire à le ré-écrire...

Il réglera encore ses comptes dans le plus psychanalytique de ses romans : Les Faux-monnayeurs** où l'on retrouve notamment Mme Sokolnicka devenue Mme Sophroniska en analyste du petit Boris. Un "cas" qui sera à son tour étudié en 1930 dans la célèbre revue de psychanalyse Almanach der Psychoanalyse par le Dr. Editha Sterba sous le titre "Le suicide d'un écolier dans le roman d'André Gide Les Faux-Monnayeurs", article inédit en français cité lui aussi par David Steel.

Du Journal des Faux-Monnayeurs au roman lui-même jusqu'à ce prolongement viennois, on peut encore poursuivre la mise en abyme chère à Gide et conclure par le commentaire que fait Roger Bastide dans Anatomie d'André Gide :

"Gide, il est vrai, semble avoir connu Freud assez tard. Il le lit mal d'abord; il croit reconnaître en lui ses propres idées; c'est une attitude banale, et que nous trouvons chez d'autres écrivains; on ne voit alors en Freud que le théoricien de la sexualité et il est évident que la littérature française s'est toujours intéressée à dépister les jeux du sexuel. Lorsqu'il le lira ensuite avec plus d'attention, il comprendra mieux tout ce qui le sépare de la psychanalyse et il attaquera la méthodologie de Freud. Le psychiatre de Vienne croit guérir ses malades en changeant ses démons en anges; il ne se doute pas que ses anges sont aussi dangereux que les diables infernaux, pour fuir les flammes on se réfugie dans un ciel sans nuages; mais Gide déteste la fuite; nous sommes dans le réel et nous devons vivre avec lui. Ainsi l'analyste des Faux-Monnayeurs croit avoir guéri le petit Boris de ses pratiques masturbatoires; elle n'a fait que changer le contenu de son cérémonial sexuel et le nouveau rituel qui le remplacera, dans l'imaginaire, conduira finalement l'enfant que l'on avait cru sauver et qui se serait certainement sauvé s'il avait continué ses plaisirs solitaires, à la plus impitoyable des morts."

__________________________

* David Steel, "Gide et Freud", Revue d'histoire littéraire de la France, janvier-février 1977, n°1, pp. 48-74 et "Gide lecteur de Freud", Littératures contemporaines, 1999, n°7, pp. 15-36
** Voir Jean-Yves Debreuille, "La psychanalyse en question dans Les faux-monnayeurs", Semen, 09, Texte, lecture, interprétation, 1994

lundi 15 septembre 2008

La Querelle du Peuplier

Le site Maurras.net vient de mettre en ligne deux textes inauguraux de la polémique sur l'enracinement et le déracinement selon Barrès, polémique connue sous le nom de "Querelle du Peuplier" et qui opposa à partir de 1903 non seulement Gide et Maurras mais les partisans de l'un et de l'autre au travers des gazettes, revues littéraires et journaux de l'époque. Une controverse morale et botanique savoureuse.

mercredi 3 septembre 2008

Lieux gidiens : le Sud

Le Sud attire Gide, toute sa vie. Né à Paris, en terrain neutre, il a pour moitié dans ses veines l'humide Normandie maternelle et pour moitié le lumineux Languedoc paternel, comme il aime d'ailleurs à le rappeler pour expliquer ses contradictions. Les voyages en Afrique du Nord ont d'ailleurs ce but "thérapeutique", à la manière de la médecine chinoise, de "réchauffer" les humeurs gidiennes, jusqu'à les embraser...

Gide passera aussi beaucoup de temps dans le Sud de la France, toujours au motif de fuir le froid et les maladies. Au motif aussi d'y rejoindre ses amis, d'y travailler dans un climat meilleur. D'ailleurs à la naissance de sa fille Catherine, il apprécie pouvoir se rendre auprès de l'enfant et de sa mère, Elisabeth van Rysselberghe, installées à la Bastide Franco, à Brignoles dans le Var : le climat est une raison suffisante "aux yeux de Cuverville" (i.e. Madeleine, son épouse de la brumeuse Normandie) pour justifier le voyage.

Nombreux sont les proches qui lui offrent refuge dans le Sud de la France dont les van Rysselberghe à Saint-Clair au Lavandou où le peintre Théo pose son chevalet en 1911, Elisabeth à la Bastide Franco dont la direction lui a été confiée par Emile Mayrisch et aux Audides à Cabris. Ou encore les Mayrisch eux-mêmes à la villa La Malbuisson à Bormes-les-Mimosas, construite en 1915, puis à la Messuguière à Cabris où Aline Mayrisch retrouve son amie de toujours Maria van Rysselberghe.

Ou encore à Hyères à la Villa Noailles : "Gymnastique, natation dans une assez vaste piscine, jeux nouveaux, dont je ne sais les noms, avec volants, balles, ballons de toutes tailles – un surtout, que nous jouons à quatre (le très agréable professeur de gymnastique, Noailles, Marc et moi) avec un ballon de médiocre grosseur qu'il s'agit de point laisser retomber en deça d'un filet haut tendu qui départage les deux camps. On joue à peu près nus, puis, en moiteur, on court se plonger dans l'eau tiède de la piscine."

Ce Gide en sueur, presque nu, jouant au volley-ball à soixante-et-un ans (nous sommes le 3 janvier 1930), c'est celui du Sud. Et il s'en faudrait de quelques degrés de latitude sud supplémentaire pour jouer à d'autres jeux : "Je voudrais oublier tout; vivre un long temps parmi des nègres nus, des gens dont je ne saurais pas la langue et qui ne sauraient pas qui je suis; et forniquer sauvagement, silencieusement, la nuit, avec n'importe qui sur le sable...", implore-t-il le 13 mai 1937 à Cuverville.

lundi 1 septembre 2008

Un télégramme d'outre-tombe

"L'enfer n'existe pas – STOP – Tu peux te dissiper – STOP – Préviens Claudel – STOP – Signé : André Gide"

Voilà sans doute le télégramme et canular littéraire le plus fameux, reçu le 20 février 1951 par François Mauriac. Soit deux jours après la mort de Gide au Vaneau.

Ce petit bleu d'outre-tombe a été attribué à divers auteurs potentiels : Jean-Paul Sartre, Roger Nimier ou encore Anne-Marie Cazalis (voir cette chronique du NouvelObs).

"On a beaucoup ri d'un télégramme que Mauriac a reçu peu de jours après la mort de Gide", note Julien Green le 28 février dans son Journal.

L'année suivante le Vatican, qui espérait une conversion jusqu'au dernier souffle de Gide, inscrit l'ensemble de son oeuvre à l'index. Le 2 juin 1952, à la suite d'un décret du 24 mai 1952 de la Suprema Sacra Congregatio Sancti Officii, "Andreae Gide opera omnia" est inscrite à la liste des "librorum prohibitorum". L’Osservatore romano l'accuse d'être "un négateur du Christ ", "Un poète de la joie la plus trouble et de la gloire la plus vaine."

samedi 16 août 2008

Gide, Wilde et Rachilde

Où l'on retrouve Gide, Wilde et Rachilde : voici un excellent texte qui éclaire très bien le contexte moral, littéraire et politique du procès de Wilde, de la parution de Corydon et des éreintements subis par Gide, paru dans le Bulletin Bimestriel de la Société Oscar Wilde et mis en ligne sur le site Rue des Beaux Arts.

(Je vous conseille également l'étude qui suit, sur le roman Mensonges Mensonges, premier livre de Stephen Fry mais paru en France après Hippopotame.)

Ereintements V : Un malfaiteur

"Un malfaiteur : André Gide" est une petite brochure de 47 pages parue en 1931 chez l'éditeur Albert Messein. Elle est signée Etienne Privaz et précédée d'une lettre-préface où Adolphe Retté attire l'attention de l'abbé Bethléem sur "l'intérêt social à proclamer l'ordure et la malfaisance du sieur Gide" ainsi que d'une préface d'outre-tombe attribuée à Christophe de Beaumont, "archevêque heureusement trépassé de Paris".

Dit comme cela, le pamphlet semble déjà bien étrange... Il ne s'agit en fait de rien de moins que d'une accusation de meurtre, Privaz accusant Gide d'avoir perverti l'âme de son fils et de l'avoir poussé au suicide : "Gide, inverti fameux, prince acclamé et couronné en France de l'Impudicité, a, du souffle pestilentiel de ses livres obscènes, flétri l'âme de mon enfant, a envoûté de leur obsession son esprit, l'a poussé, du dégoût d'avoir ingéré ses ordures, à se libérer de son supplice par la mort."

La virulence est grande contre Gide et ses livres : "gidisme puant", "bête puante lâchée sur les jeunes gens", "démoniaque auteur", "horreurs où il y a autant de crétinisme que de satanisme", "pyramide d'insanités en un français qui n'en est pas un", "cadavres d'enfants qui par milliers sans doute, sont morts d'avoir, comme mon fils, mangé de vos nourritures"*.

"L'amusant", comme dirait Gide, c'est que la lettre d'outre-tombe de Christophe de Beaumont (signé Privaz ou Retté probablement) s'en prend aussi à Barrès, France, Claudel... Nous ne sommes pas seulement dans la critique catholique classique mais bien chez les plus intégristes d'entre les catholiques, comme en témoigne l'allusion à Monseigneur Baudrillart, croisé de l'anti-bolchévisme qui deviendra un collaborateur zélé.

La brochure serait restée confidentielle si des journalistes et critiques n'en avaient pas fait mention, comme Mauclair, déjà grand pourfendeur de la NRF, du lien entre Gide et "les Boches"... "J'ai enfin pu parvenir à me procurer la petite brochure : Un malfaiteur : André Gide, qui servit de prétexte au fielleux article de Mauclair que je lisais récemment, en tête de la Petite Gironde je crois", note Gide le 23 juin dans son Journal.

"Amas d'imputations sans fondement, de citations inexactes, d'attaques virulentes (et tout aussi bien contre Barrès, Brunschwicg, et même Claudel – que contre moi; mais Mauclair ne retient que ces dernières). Une partie de la brochure est signé "Archevêque de Beaumont, heureusement décédé" : ... Bref : une galéjade.", juge-t-il. La Petite Dame confirme que cette attaque n'a pas entamé ses "bonnes dispositions".

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* On songe bien sûr à "l'effet Werther"...

mardi 12 août 2008

Ils en parlent : Les Faux-Monnayeurs

Céline, sur le blog Enlivrez-vous, a lu Les Faux Monnayeurs.

Ils en parlent : nouvelle rubrique

- Quoi de neuf ?
- André Gide !

Je débute aujourd'hui une nouvelle rubrique intitulée "Ils en parlent..." pour renvoyer vers des blogs ou sites où des lecteurs racontent et résument leurs lectures gidiennes. Deux raisons à cela : donner à entendre des voix d'aujourd'hui qui aiment (ou n'aiment pas) les livres de Gide et compléter mes billets d'un Gide vu "par le petit bout de la lorgnette" par d'autres qui évoquent vraiment les oeuvres, et souvent mieux que je ne saurais le faire !

Je pourrais en ajouter une troisième : créer des liens entre toutes ces blogueuses et ces blogueurs qui évoquent, comme moi, André Gide, décidément toujours d'actualité.

lundi 11 août 2008

Ereintements IV : Henri Massis

Pour Henri Massis, La Porte Etroite, "confession animée d'une inquiétude spirituelle", laissait encore espérer en Gide. Mais avec le livre Les Caves du Vatican, "L'espoir dont il fut précédé, les conditions mêmes où il grandit, où il se forma, où il amassa sa détestable substance, nous obligent à délivrer de ses entraves et de ses scrupules notre sentiment, à dénoncer tout ensemble la faillite esthétique et morale de qui osa le concevoir."

Cette critique des Caves paraît en juin 1914 dans l'Eclair. Massis "sonne le tocsin" note Gide dans son journal, le 12 juillet. "Somme toute, ce que Massis et les autres me reprochent c'est de s'être mépris, dans leurs premiers jugements sur moi." On ne lui pardonnera pas, en effet, après l'incompréhension de La Porte Etroite, d'être Gide.

En 1921 dans la Revue Universelle, pour la sortie de Morceaux Choisis, Massis trouve l'épithète qu'il appliquera désormais à Gide : "Il n'y a qu'un mot pour définir un tel homme, mot réservé et dont l'usage est rare, car la conscience dans le mal, la volonté de perdition ne sont pas si communes : c'est celui de démoniaque. Et il ne s'agit pas ici de ce satanisme verbal, littéraire, de cette affectation de vice, qui fut de mode il y a quelque trente ans, mais d'une âme affreusement lucide dont tout l'art s'applique à corrompre."

Il y a urgence à protéger les jeunes gens de cette influence démoniaque. Les attaques ne cesseront plus, où l'on retrouve également la critique du classicisme hypocrite. La polémique enfle et l'on parle bien davantage des "attaques de Béraud" que des livres de Gide. Chacun prend position, s'engouffre dans la brèche ouverte par Massis (Béraud), tandis que des soutiens plus ou moins étonnants viennent contre-attaquer. "Ce ne sont pas ceux qui m'attaquent, qui me font peur, tant que ceux qui vont me défendre", note Gide.

Mais Massis lui-même s'inquiète : il pense que ces attaques ont avancé la sortie de Corydon que Maritain lui-même est venu demander à Gide de ne point publier, avant de lui proposer de s'en remettre à Dieu par la prière... Avec Corydon, Massis prononce "La faillite d'André Gide", nouvel article en septembre 1929 toujours dans la Revue Universelle.

"La méthode de Massis et de son clan est de dénier toute valeur à ceux qu'ils ne peuvent annexer" (Journal, 13 mars1930). Et point de valeur possible en dehors de la catholicité. Gide est insaisissable, c'est donc qu'il est faux ("Gide est le faux-fuyant : il est faux et fuyant", dit Paul Claudel).
Contrairement à Henri Béraud, Henri Massis n'a jamais de ligne de conduite : anti-dreyfusard, nationaliste, catholique et anti-moderniste, il est aussi germanophobe, ce qui lui fera condamner le nazisme. Mais il écrira ses sympathies pour le régime fasciste de Mussolini, son appui à Salazar. Ainsi on peut lire dans sa biographie sur le site de l'Académie Française :

"Engagé aux côtés des intellectuels de droite, Henri Massis fut l’un des principaux rédacteurs du Manifeste des intellectuels français pour la défense de l’Occident et la paix en Europe, publié en octobre 1935 en soutien à la politique d’expansion mussolinienne. Il se rallia, après la défaite de 40, au maréchal Pétain, et occupa un temps un poste de chargé de mission au secrétariat général de la Jeunesse. Son anticollaborationnisme certain lui valut cependant, après un mois d’internement administratif à la Libération, de ne pas être autrement inquiété."

Henri Massis a en effet été élu à l'Académie Française le 19 mai 1960, après un échec en 1956. "Ses essais et études sur Romain Rolland, Renan, France, Barrès, Psichari, Proust, Lyautey, Maurras, ses entretiens avec Mussolini, Salazar, Franco, ses écrits politiques, dont Défense de l’Occident, fut le plus célèbre, composent une œuvre nombreuse", précise encore le site de l'Académie.

dimanche 10 août 2008

Deux miroirs

"Je ne suis qu'un petit garçon qui s'amuse – doublé d'un pasteur protestant qui l'ennuie." (Journal, 22 juin 1907)

Cet autoportrait d'André Gide, et sans doute l'une de ses citations les plus connues, est assez fidèle. Les oeuvres de Gide sont toutes écartelées entre ces deux tentations du jeu et du je, de l'élan joyeux vers l'autre et de l'introspection douloureuse ou pour le moins sévère.

Deux livres toutefois me semblent montrer plus précisément la part de l'un et l'autre : le petit garçon est plus sensible dans Les Cahiers de la Petite Dame où Maria van Rysselberghe comble le souhait le plus cher d'André Gide – se montrer tel qu'il est – et le pasteur dans le Journal de Gide lui-même.

Il est d'ailleurs fort intéressant de noter que, bien qu'écrits ensemble à partir de novembre 1918, ces deux journaux ne coïncident que très rarement dans le choix des faits à noter, de l'humeur si variable d'André Gide au long d'un même jour et des relations qu'ils font de ce jour...

samedi 9 août 2008

Ereintements III : Oeuf Dur et caviar

"C'est la revue des braves gens.
Le numéro un franc.
Abonnez-vous à dix francs les douze.
L'Oeuf Dur gagne à être connu."

Ainsi se vend la revue l'Oeuf Dur, fondée en 1921 par George Duveau, Francis Gérard (pseudonyme littéraire de Gérard Rosenthal), Jean-Pierre Lafargue et Maurice David (pseudonyme de Jean Albert-Weil). Revue dans laquelle on peut lire Carco, Cocteau, Cendrars, Morand, Mac Orlan, Radiguet, Drieu La Rochelle ou encore Max Jacob.

Autant d'auteurs réunis un temps dans le mouvement surréaliste et qui éclateront sur tout le spectre politique, de la droite extrême au communisme militant. Henri Béraud, encore lui, est encore anarchiste lorsqu'il y collabore. L'Oeuf Dur devait servir de tremplin à son attaque contre André Gide.

Gide se souvient, dans les entretiens radiophoniques donnés à Jean Amrouche, avoir reçu cet article de Béraud en épreuves, envoyé par des "amis" qui étaient selon lui tout prêts à tuer la critique dans l'oeuf... Dans ses cahiers, la Petite Dame est plus précise : c'est en fait le directeur de l'Oeuf Dur qui lui envoie l'article intitulé "La nature a horreur du Gide", espérant une réponse à publier dans ses colonnes.

Gide, pour toute réponse, renvoie l'article précédé de la mention "bon à tirer". Mais en janvier 1923, le douzième numéro de l'Oeuf Dur sort avec un sommaire caviardé de la charge de Béraud et amputé d'autant de pages... Nul ne sait ce qui s'est passé. La réaction de Gide semble avoir désarçonné la rédaction de "la plus touchante, la plus exacte des jeunes revues" comme elle se qualifie en dernière page.






Le sommaire caviardé de l'Oeuf Dur



En 1924, l'Oeuf Dur, sous la plume de Pierre Naville, fera toutefois paraître une critique de Gide à l'occasion de la parution des Incidences : "Tout de même, l'influence d'André Gide me paraît sérieusement compromise, et grâce précisément aux disciples avortés et aux jeunes larves qui grouillent sur son cadavre. Et à ceux qui voudront me le faire prendre pour une statue, je répondrai seulement que l'homme le moins humble et le plus dénué de sensualité n'aura de prise sur les générations futures que comme le faux prophète qu'il a voulu être et dans la mesure seulement où les malades se laisseront tuer."

Pierre Naville n'est pas un inconnu pour Gide. Arnold Naville, le père de Pierre* est son ami. Et le jeune homme, trotskyste engagé, se rapprochera de Gide dix ans plus tard. Malgré une "influence compromise", Naville demandera l'appui de Gide pour aider Trotsky et sera assez proche de l'écrivain "le moins humble". Gide de son côté apprécie Naville mais gardera toujours une certaine méfiance, comme envers tous les "partisans".


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* Le père aussi de Claude Naville, de quatre ans l'aîné de Pierre, mort en 35. En 36 paraîtra une œuvre posthume de Claude Naville regroupant des essais sur Gide, le communisme et l'URSS.

Ereintements II : René Johannet

Dans un article de La Revue Française titré "L'Allemagne et nous", René Johannet s'en prend en décembre 1921 à Gide au travers de ses rapports avec les intellectuels allemands, Curtius notamment.

"Ce qui est aussi grave [que de nommer un protestant au poste de haut-commissaire en Rhénanie, nda], c'est la tentative qui s'ébauche, de nouer des conversations entre intellectuels non représentatifs des deux pays. Je dis cela surtout pour la France. [...] Causer avec M. Gide c'est proprement causer avec le vide, car M. André Gide, en tant qu'autorité sociale, est exactement égal à zéro. S'il n'était qu'égal à zéro !"

"M. Gide n'incarne pas même une école littéraire, pas même la revue où il écrit. Son oeuvre est le scandale intellectuel et moral le plus impuni du siècle", poursuit, quelques lignes plus loin, René Johannet. Extrait repris par Gide dans son Journal et qu'il commente : "En plus des annonces, je ne reçois que des éreintements." "A croire que je les paie", s'amuse-t-il quelques mois plus tard en pleine attaque des Béraud-Massis.

Toujours les mêmes griefs chez Johannet : moeurs douteuses, protestantisme qui se refuse à la conversion, oeuvre d'aucun intérêt... Il faut dire que les livres de Gide, hormis La Porte Etroite, n'ont été reçus que par quelques intellectuels. Mêmes les Nourritures ne deviendront commercialement rentables que quelques années plus tard... grâce en grande partie à ces attaques dont Gide va bénéficier.

En s'attaquant à Gide, les critiques vont amener le public à chercher à mieux connaître ce qui lui est reproché, et la jeunesse, attirée par l'odeur de soufre supposé, va s'emparer des livres de Gide. Le genre de reproche de Johannet ira même jusqu'à lui donner plus fermement la place d'auteur français qui compte, de contemporain capital. C'est Gide le vertébré face aux carapaces maurassiennes.

vendredi 8 août 2008

Ereintements I : Henri Béraud

(J'entame aujourd'hui sous le titre "Ereintements" une recension des critiques faites à Gide.)

Années 20 : deux critiques mènent principalement campagne contre Gide : Henri Beraud et Henri Massis.

Béraud a tout d'abord aimé Saül. Mais avec les Nourritures Terrestres, l'Immoraliste, Les Caves et bientôt Corydon, tout se gâte. Béraud se lance contre la "Croisade des longues figures", titre d'un recueil des articles pamphletaires* qui paraît en 24, visant Claudel, Gide et Romains, ces auteurs français trop exportés selon son goût et qui donnent une si piètre image de la littérature française...

Il reproche notamment à Gide d'utiliser un style d'apparence classique uniquement par hypocrisie, pour mieux diffuser ses idées subversives – Béraud a horreur, en littérature, des idées. Un style où il relève maintes fautes (une manie, un côté pion qu'il a en commun avec Gide) Mais très vite Béraud s'en prend à tous les "gidards de la giderie" : la NRF vue comme une franc-maçonnerie, comme la voient les théoriciens du complot s'entend.

Béraud joue grassement sur le chapitre des moeurs de Gide : "M. Gide, André pour les garçons"... Et lorsque Léon Daudet, dans l'Action Française elle-même, vient prendre étonnamment en 1923 la défense de Gide et de la NRF contre Massis, ce dernier a beau jeu de détourner les compliments de Daudet qui voit en Gide un écrivain "terrible et pénétrant"...

La bassesse des attaques le disqualifie. "Violente attaque (dans les Nouvelles Littéraires) de Henri Béraud, auteur du Triomphe de l'obèse** – qui ne me pardonne pas ma maigreur. Très divertissant. – Tout de même les articles de Massis étaient d'une autre encre; celui-ci me fait l'effet d'un idiot." (Journal). Gide ne sera pas le seul à penser ainsi, d'autant que ceux qui se rangent du côté du pourfendeur des longues figures de la NRF sont presque tous des auteurs blackboulés par la NRF...

Le goût du pamphlet poussé à l'extrême, de l'extrême gauche à l'extrême droite, du Canard enchaîné à Gringoire, lui vaudra une condamnation à mort à la Libération. Camus et Mauriac prennent sa défense, de Gaulle le gracie : il n'y a dans son dossier aucune trace d'intelligence avec l'ennemi. Aucune trace d'intelligence tout court, chez Béraud ? Pierre Assouline fait ici très bien le point sur le cas Béraud.

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* On retrouve ici une vingtaine d'articles de Béraud dans les Archives Gidiennes
** Le titre exact est le Martyre de l'obèse.

mercredi 6 août 2008

Claudel, le marteau-pilon

"Jeune, il avait l'air d'un clou; il a l'air maintenant d'un marteau-pilon. [...] Il me fait l'effet d'un cyclone figé. Quand il parle, on dirait que quelque chose en lui se déclenche; il procède par affirmations brusques et garde le ton de l'hostilité même quand on est de son avis." (1er décembre 1905, Journal)

Cette impression d'un Claudel "marteau-pilon" n'est pas seulement un portrait physique. Ses jugements littéraires à l'emporte-pièce, son catholicisme intransigeant voire intolérant, son prosélytisme de converti et son nationalisme, tout cela est aux antipodes d'un Gide toujours fluctuant. "Gide est le faux-fuyant : il est faux et fuyant", écrira Claudel. Il n'a pas tout à fait tort :

""Si je consentais à être franc avec moi-même, je crois bien que je dirais que je déteste Claudel." Comme tu lui demandais où il en était avec lui : "J'ai dû arrêter la correspondance; il devenait vraiment trop pressant, il me donnait rendez-vous au pied des autels ! Je n'en pouvais plus."", note la Petite Dame dans ses Cahiers (15 septembre 1918, t.1).

Dès 1912, Gide écrit dans son Journal : "Je voudrais n'avoir jamais connu Claudel. Son amitié pèse sur ma pensée, et l'oblige, et la gêne... Je n'obtiens pas encore de moi de le peiner, mais ma pensée s'affirme en offense à la sienne." Mais les deux hommes n'en continuent pas moins de s'admirer, et de s'écrire jusqu'à la fin des années 30, Gide toujours heureux de se frotter à ce qui lui ressemble le moins, Claudel ne désespérant pas de le mener à la conversion.

Même en 1947, alors que la rupture est consommée, Gide ne peut s'empêcher d'aller serrer la main et féliciter pour son article sur Kafka un Claudel interloqué... Mais revenons encore un peu en arrière. En 1931, alors que la pièce Un Taciturne de Roger Martin du Gard vient d'être montée avec Jouvet, Claudel, à la seule lecture d'un compte-rendu dans un journal, écrit à Jouvet pour lui retirer l'Annonce faite à Marie.

Martin du Gard devient sous la plume de Claudel "un écrivain immonde" dont il ne veut "même pas se rappeler le nom". Un Martin qui a reçu "fameux coup sur la tête" : un coup de marteau-pilon qui donne à Gide l'occasion d'une mise au point : "Mais croyez-moi, il vise bien plus l'homme de Jean Barois que l'auteur du Taciturne, ça vient de loin ! Il procède par intimidation et vous voyez bien que cela réussit, mais naturellement qu'il sait bien qu'on tenait à son estime, j'y tenais moi aussi, j'ai appris à m'en passer, vous ferez comme moi."

A l'étonnement d'Hélène Martin du Gard, Gide répond encore : "Où prenez-vous que Claudel soit si intelligent ? Il a du génie, oui, mais aucune intelligence dans ses jugements littéraire; il fait du reste fi de l'intelligence et le prouve. Et toutes ses dernières oeuvres sont tendancieuses." A ces explications notées par la Petite Dame (5 décembre 1931, t. 2), il faut ajouter l'entrée du lendemain dans le Journal de Gide, revenant sur l'évènement :

"Il n'y a nullement lieu de chercher à "excuser" Claudel. Je l'aime et le veux ainsi, faisant la leçon aux catholiques transigeants, tièdes, et qui cherchent à pactiser. Nous pouvons l'admettre, l'admirer; il se doit de nous vomir. Quant à moi, je préfère être vomi que vomir."

Et avec la version théâtrale des Caves du Vatican, en 1950, Gide tend une nouvelle fois à faire la pige à Claudel par une pièce irrévérencieuse, à se faire vomir une dernière fois. Et comme prévu, Claudel vomit : "La moralité publique y gagne beaucoup et la littérature n'y perd pas grand chose", écrit-il à la mort d'André Gide en 1951.

jeudi 31 juillet 2008

Wilde, entre les lignes

"Ceux qui n'ont approché Oscar Wilde que dans les derniers temps de sa vie, imaginent mal, d'après l'être affaibli, défait, que nous avait rendu la prison, l'être prodigieux qu'il fût d'abord... C'est en 1891 que je le rencontrai pour la première fois."

Cet "être prodigieux" qu'évoque Gide dans Prétextes, il le rencontre aux mardis de Mallarmé l'année même où Wilde publie le Portrait de Dorian Gray et lui-même les Cahiers d'André Walter. "Wilde ne m'a fait, je crois, que du mal. Avec lui, j'avais désappris à penser. J'avais des émotions plus diverses mais je ne savais plus les ordonner", juge d'abord Gide dans l'entrée du 1er janvier 1892 de son Journal. Un mal pour un bien : ébranlé dans ses certitudes face à l'esprit et surtout l'immoralisme de Wilde, assumé aussi bien dans sa vie que dans ses oeuvres sans pour autant renoncer à la rigueur artistique, Gide doute.

Le hasard fait se croiser leurs routes encore à deux occasions : en mai 1894 à Florence et en janvier 1895 à Blidah. Cette rencontre algérienne que Gide, dans un premier instinct, cherche à fuir, est longuement relatée notamment à la fin de Si le grain ne meurt. "Wilde avait observé jusqu'à ce jour vis-à-vis de moi une parfaite réserve. Je ne connaissais rien de ses moeurs que par ouï-dire; mais dans les milieux littéraires que nous fréquentions l'un et l'autre à Paris, on commençait de jaser beaucoup."

Wilde voyage avec "Bosie", le jeune lord Alfred Douglas. Gide note la tyrannie qu'il exerce sur Wilde et le mélange d'agacement et "d'amoureux plaisir de se laisser dominer" de ce dernier. Wilde "tombe le masque". Quelques jours plus tard, à Biskra, Gide note cette pensée de Wilde qui sera si souvent citée : "J'ai mis mon génie dans ma vie, je n'ai mis que mon talent dans mes oeuvres". A Biskra encore, Wilde se fera le pourvoyeur de Gide en lui "offrant" Mohammed, le petit musicien.

Deux mois plus tard, le procès que lance Wilde contre le marquis de Queensberry, le père de Bosie, se retourne contre lui et l'envoie pour deux ans en prison. A sa sortie, Wilde s'installe à l'été 1897 en France, à Berneval-sur-Mer, près de Dieppe, sous le nom de Sebastian Melmoth. C'est là que Gide vient lui rendre visite et c'est là qu'il s'entend dire "Ecoutez, dear, il faut maintenant que vous me fassiez une promesse. Les Nourritures terrestres, c'est bien... C'est très bien... Mais, dear, promettez-moi : maintenant n'écrivez plus jamais Je."*

Un conseil littéraire en forme d'avertissement que Gide ne suivra qu'à moitié en publiant Corydon (1924), puis plus du tout dans Si le grain ne meurt (1926). Mais revenons à cette fin du dix-neuvième siècle. Wilde et Gide se verront encore deux fois à Paris. Lors de leur dernière rencontre, Wilde apparaît à Gide "profondément misérable, triste, impuissant et désespéré" et quelques jours plus tard, par lettre, Wilde demandera 200 francs à Gide.

Pour la suite, qu'on me permette de citer la quatrième de couverture du livre de Gide sur Oscar Wilde : "En décembre 1900, alors qu'il séjournait dans le sud algérien, à Biskra, André Gide apprit par les journaux la mort d'Oscar Wilde. L'éloignement ne lui permettant pas de se joindre au cortège qui suivit la dépouille du poète, il décida d'écrire aussitôt "ces pages d'affection, d'admiration et de respectueuse pitié ". Réunis pour la première fois en 1946, ces deux courts textes d'André Gide sur Oscar Wilde (In memoriam et le De profundis) furent publiés respectivement en 1903 (In Prétextes) et en 1905."

Si longtemps Gide a admiré l'esprit de Wilde, sa conversation plus que son oeuvre, sa maîtrise nouvelle de l'anglais lui fera revoir progressivement son jugement. "Certainement, dans mon petit livre sur Wilde, je me suis montré peu juste pour son oeuvre et j'en ai fait fi trop à la légère, je veux dire : avant de l'avoir connue suffisamment", note Gide dans son Journal (29 juin 1913). Et Gide annonce "Plus tard j'espère bien pouvoir revenir là-dessus et raconter alors tout ce que je n'ai pas osé dire d'abord. Je voudrais aussi expliquer** à ma façon l'oeuvre de Gide, et en particulier son théâtre – dont le plus grand intérêt gît entre les lignes."

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* Il faut noter que Proust fera à Gide la même recommandation : "Je lui apporte Corydon dont il me promet de ne parler à personne; et comme je lui dis quelques mots de mes Mémoires : "Vous pouvez tout raconter, s'écrie-t-il; mais à condition de ne jamais dire : Je." Ce qui ne fait pas mon affaire."
** C'est Gide qui souligne.